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traitaient de chouans tous les individus qui ne 1795. partageaient pas leur esprit de rapine et de meurtre ils firent taire leurs affections particulières, pour s'entourer des hommes dont l'existence dépendait de la conservation du nouvel ordre de choses.

CHAPITRE IV.

Tableau de l'intérieur de la France pendant les premiers mois de l'an 4.

DES
Es deux factions jacobines, celle des or-
léanistes paraissait la plus puissante pendant
les premiers mois de la quatrième année de
l'ère républicaine. On pensait même générale-
ment qu'elle était sur le point d'étouffer la ré-
publique, et de relever la constitution de 1791,
en plaçant sur le trône un prince qui ne fût
pas descendant de Louis XV. Mais bientôt la
distinction de cordelier et de jacobin s'éva-
nouit sans retour; une nouvelle combinaison,
inspirant de nouveaux sentimens, modifia
d'une manière différente les affections révolu-
tionnaires.

Quoique le papier-monnaie eût insensible-
ment perdu une partie considérable de sa
valeur numérique, par la trop grande quantité
d'assignats mis en circulation
par le

gouver

nement, l'absolue dépréciation de ce sigue d'échange date cependant des mois qui suivi- AN 4. rent les événemens de vendémiaire. Ce fut le tems de la plus effroyable famine dans Paris. Les familles qui n'étaient pas salariées par la république, ou qui n'avaient pas partagé les horribles profits de l'agiotage, dévorant leurs larines amères, attendaient en vain quelque soulagement dans la calamité dont elles étaient dévorées; les malheureux avaient usé jusqu'à l'espérance, ce baume réparateur, cette dernière consolation que l'indulgente nature nous conserve dans les angoisses de la vie. Combien de fois j'ai vu des mères de famille recueillir, pour nourrir leurs enfans, des débris d'herbes et de légumes rejetés au coin des rues, et dont les animaux auraient refusé de se nourrir! Scène de douleur dont le souvenir ne saurait s'effacer de mon ame!

La chûte des assignats, dont la masse effrayante montait à plus de cinquante milliards, fut accélérée dans une proportion si rapide, qu'au mois de ventose, une livre de pain fut payée cent livres (assignats); une livre de viande, trois cents livres ; une paire de souliers, trois mille livres ; une demi-corde de bois, vingt mille livres. Les assignats ne valaient plus les frais de leur fabrication. Il fut question de les remplacer par d'autres papiers; ils furent nommés mandats territoriaux. Mais

la confiance n'existait plus. Les mandats terri1795. toriaux étaient décrédités avant de sortir des presses nationales.

Au milieu d'une subversion incalculable, réduisant aux dernières extrémités de la misère les propriétaires de maisons dans les grandes villes, les rentiers et presque tous les individus qui vivaient de leurs revenus, de quelque nature qu'ils fussent, et qui rendaieut totalement nulles les ressources de la république; les fournisseurs des armées, les agioteurs, et en général tous les agens de la révolution, s'exemptaient de la loi commune. Ils étaient payés en papiers; mais, pour solder les plus minces objets, on leur distribuait des sommes si prodigieuses en assignats ou en mandats, que bientôt, ne trouvant plus de facilités pour les convertir contre des pièces d'or et d'argent emmagasinées par eux, ils prirent le parti de les employer en biens.

nationaux.

On ne parlait alors en France que par millions. Les prodiges opérés sous la régence, par le systême de l'Ecossais Jean Lass, étaient peu de chose auprès de ceux qui s'opéraient sous nos yeux. Les possesseurs des assignats vous disaient que la république vendait à des prix exhorbitans, où l'on ne pouvait atteindre; mais ces prix prétendus exorbitans ne représentaient aucune valeur réelle. On se procurait

un joli presbytère, avec sa cour et son jardin, pour douze louis d'or, qui valurent jusqu'à AN 4. deux cents quarante mille livres en assignats. Le château et le parc de Gaillon, appartenant auparavant aux archevêques de Rouen, estimés deux cent mille écus, furent vendus pour une somme de papier, laquelle, avec ses accessoires payés en argent, ne représentait pas trente mille livres ; c'était à peine un pot-devin raisonnable pour un tel marché.

Presque tous les biens nationaux étaient vendus de cette manière. Mirabeau avait osé dire à la tribune de la constituante, qu'il s'agissait moins de vendre les biens nationaux que de les distribuer aux amis de la révolution; ce procédé avait son exécution presque littéralement. La plupart des héritages appartenant avant la révolution au roi, au clergé, aux émigrés, eurent bientôt de nouveaux propriétaires.

Ces riches et superbes aubaines furent la proie de tous les individus possesseurs de grandes sommes d'assignats; et comme les jacobins des deux factions partageaient presque exclusivement cet avantage, l'immense fortune territorjale qui en résultait pour eux, leur faisant oublier d'anciens démêlés dont les causes n'existaient plus, ramenait leurs soins réciproques vers la conservation de ces magnifiques héritages dout ils étaient devenus les

maîtres par une espèce d'enchantement. Il 1795. n'était plus question de jacobins chez les nouveaux riches. On passait même condamnation sur ces vastes scènes de brigandages, dont le souvenir effraiera nos neveux. Ceux qui couvraient les Marat, les Robespierre, les Lebon, les Carrier, de l'exécration méritée, n'éprouvaient aucune contradiction apparente.

Il s'était fait dans Paris une métamorphose générale ; elle surpassait celles dont l'ingénieux Ovide nous a tracé la peinture.

Tandis que des hommes et des femmes qui avaient possédés cent mille écus de rente, demandaient l'aumône dans les places publiques, les sales et hideux jacobins, aux cheveux noirs et plats, aux yeux hagards et sanguinolens, aux propos insultans et féroces, à l'habillement crasseux et cynique; ces spoliateurs de la fortune publique, ces brise-scellés, ces fournisseurs de tribunaux révolutionnaires, ces voleurs, ces incendiaires, ces noyeurs, ces buveurs de sang, ces sans-culottes étaient transmués, par art de féérie, en autant de seigneurs maniérés, qu'on eût presque pris pour des petits- maîtres. Leurs dégoûtans haillons se remplaçaient par des ameublemens précieux ; les greniers dans lesquels ils avaient caché leurs vols sous le voile d'une feinte indigence, se changeaient en magnifiques palais; et leurs gros bâtons noueux, en voitures élégantes. Un

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