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corps de la nation ni distinction de caste supé1796. rieure qui divise, ni peuple qui réclame contre des prétentions à sa charge. Sous son régime ne se trouvait ni patron audacieux qui s'élève, ni client qui rampe. Le gouvernement ne devait jamais se trouver forcé d'entreprendre des guerres extérieures pour empêcher le peuple vexé par les nobles, de se retirer sur le Mont sacré. Un territoire immense préservait de l'esprit de conquête, une autorité suffisante garantissait toutes les propriétés.

La constitution de 1795 s'éloignait également de la démocratie fougueuse d'Athènes du régime monacal de Sparte, et de l'aristocratie de Rome. L'histoire des anciennes républiques ne pouvait rien présager de fâcheux à l'égard de la république française. Son gouvernement possédait même l'unité d'action qui caractérise la monarchie. Chez les Romains, les deux consuls étaient remplacés tous les ans. Dans ce mode d'administration, l'esprit du nouveau gouvernement devait très - souvent différer de l'ancien. Cette versatilité pouvait nuire aux affaires publiques. En France, au contraire un seul des directeurs était renouvellé chaque année; le fond du directoire restait le même, ce qui constituait un gouvernement perpétuel, obviait aux régences et prévenait les dangers des élections. Tout le monde apercevait les défauts de la consti

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tution française ; cependant elle contenait des germes de perfectibilité capables de se déve- Ax 4. lopper à l'aide de l'expérience.

Mais j'ai déjà observé que les hommes placés au gouvernail de l'Etat ne possédaient aucun des talens nécessaires pour le manier. La constitution fut si souvent violée, que bientôt elle ne présenta plus aucune garantie. Une lutte scandaleuse s'établit entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Les factions déchaînées menaçaient d'ensanglanter de nouveau la France; chacun sentait le besoin impérieux d'un meilleur ordre de choses; chacun appelait par ses vœux un gouvernement capable de raffermir les bases ébranlées de la France. On ne savait comment s'opérerait ce changement, devenu nécessaire, lorsque la fortune ramena parmi nous, du fond de l'Egypte, le seul homme qui réunissait la volonté, le pouvoir et le talent de gouverner. Je rapporterai, dans les livres suivans, l'événement presque inconcevable qui brisa la constitution de 1795, et plaça sur le trône de France une nouvelle dynastie

VII.

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1796.

CHAPITRE V I.

Conjuration de floréal.

Les partisans de la constitution de l'an

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mier, écrasés le premier prairial an trois, lorsqu'ils se croyaient au moment de gouverner révolutionnairement la France, s'étaient réunis au gouvernement, à l'époque des événemens du treize vendémiaire, dans l'espoir que le nouveau directoire, attaché à eux par les liens de la reconnaissance, leur confierait toutes les principales places, et qu'ils se serviraient de leur influence par écraser la nouvelle organisation, et pour faire prévaloir leur systême.

Les circonstances dans lesquelles le directoire prit possession de l'autorité exécutive, étaient singulièrement épineuses. Depuis plusieurs mois, les dépositaires du pouvoir, qui allait cesser d'être, ne voyaient que le jour présent, et léguaient tous les embarras de l'avenir au régime constitutionnel. Le trésor public épuisé, les fortunes particulières chancelantes, quelques armées désorganisées et repoussées par les ennemis, les fauteurs de l'ancien régime triomphans, les assassinats d'un

grand nombre d'hommes impunis ; d'autres symptômes encore annonçaient le retour d'une AN 4. terreur en sens inverse du passé. Malheur au pays où les forfaits sont punis par les forfaits, et où, sans consulter la loi, on extermine les hommes au nom de la nature!

« Il fallait arrêter tout court ce désordre (1), ce dépérissement politique, et que le gouvernement repoussât le funeste héritage de la déconsidération conventionnelle ».

La lutte de vendémiaire avait égaré plusieurs hommes estimables; d'autres, frappés d'apathie, n'aimaient pas à se voir placés entre deux partis; une troisième et nombreuse classe d'hommes s'était retirée des affaires, esclave de ce qu'on appelait alors l'opinion publique.

On ne se fait pas une juste idée de l'influence et de la nature de l'opinion publique, de cette force morale qui entraîne les hommes. Il faut, pour l'apprécier, au milieu des convulsions révolutionnaires, l'avoir étudié dans les sections de Paris, ou à la barre de la convention nationale, réclamant à la fois et violant toutes les formes; sans cesse injuste dans son impatience, mais presque toujours de bonne foi dans ses vues; ne s'avouant jamais

(1) De la force du gouvernement actuel de la France et de la nécessité de s'y rallier, par Benjamin Constant.

sa fougueuse et tyrannique inconséquence; 1796. abusant des institutions réprouvées par elle,

et foulant aux pieds les lois qu'elle avait exigées puissance arbitraire et mystérieuse, elle a toujours un but louable, et le dépasse presque toujours; ennemie implacable des moyens qui la gênent, elle se rend l'instrument docile de celui qui la flatte, fût-ce même pour l'entraîner dans le sens le plus opposé à ses intentions; elle croit juste tout ce qu'elle ordonne, comme si c'était la volonté générale, et l'exécute avec violence, comme si elle n'était que la volonté d'une faction; elle se plaint comme si on l'opprimait, et menace comme si elle était toute-puissante; elle méconnaît ses amis, lorsqu'en la servant, ils cherchent à arrêter ses écarts; variable à l'excès, un rien la forme, un rien la détruit, un rien la fait pencher vers les partis les plus opposés.

Diriger l'opinion publique sans gêner la volonté générale des citoyens, c'est la tâche la plus difficile, et cependant une des plus essentielles d'un gouvernement républicain, sur-tout dans les premiers tems de son établissement. Les circonstances augmentaient cette difficulté, lorsque le directoire prit en main les rênes du gouvernement français.

Il fallait employer des esprits ardens qu'il pouvait être nécessaire de contenir, mais qu'il ne fût pas besoin de pousser en avant,

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