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et sur lesquels le directoire pût se reposer, en ce qui regarde les opinions qui ne se com- AN 4. mandent pas, et dont il n'eût à craindre que l'exagération facile à diriger. On se servit d'un grand nombre de jacobins ; quelquesuns d'eux se rendirent si redoutables au gouvernement, qu'on fut obligé de les destituer. L'expérience apprenait au cinq directeurs que les moyens et les hommes employés à faire des révolutions, ne sont pas ceux dont ils faut se servir quand elles sont achevées; ainsi l'architecte enlève les machines qui lui avaient été nécessaires pour démolir, et les échafaudages élevés pour réédifier.

Trompés dans leur attente, les désorganisateurs résolurent de faire usage de la force pour maîtriser l'administration. Le plus vaste complot fut ourdi avec tant d'art, que, malgré l'étendue de ses ramifications, les agens destinés à le faire réussir ne connaissaient pas euxmêmes le chef du parti qui les mettait en

œuvre.

Un jeune homme nommé Babeuf, se donnant le surnom de Gracchus, et qui joua dans cette intrigue le rôle principal, n'était que l'agent obscur et secondaire d'une faction dont peut-être il ignorait lui-même une partie des secrets. Quelle faction! est-il donc des hommes tigres, qui, trouvant une inconcevable volupté dans le malheur de leurs semblables, se plaisent à déchirer des victimes

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humaines? Cette idée que pourraient justifier 1796. les crimes commis pendant la révolution, n'est pas dans la nature. Mais il est d'expérience que le joug salutaire des lois est insupportable aux individus qui, l'ayant brisé trouvèrent leurs avantages particuliers dans les convulsions de l'anarchie; accoutumés à tout braver dans les tems d'orage, tout gouvernement régulier leur est à charge; semblables à ces tourbillons de vent dont l'effet, dans un violent incendie, rallume sans cesse les flammes dévorantes que des mains généreuses s'efforcent d'éteindre.

CHAPITRE VII.

Principes des conspirateurs.

IL importait aux desseins des conspirateurs

qu'ils fussent favorisés par un homme dont le nom était cher aux républicains ; ils choisirent Drouet, très-propre, par son enthousiasme et par son ignorance au rôle de Seïde qu'ils lui destinaient.

La conjuration devait éclater le vingt-deux floréal. Un comité d'insurrection, établi pour diriger le mouvement, s'assemblait sous le nom de directoire secret de salut public. Il correspondait avec des agens révolutionnaires

agens

placés dans les différens quartiers de la commune de Paris, partagée par eux en douze AN 4. arrondissemens. Ces rendaient compte au directoire secret de salut public, des dépôts ou des magasins de subsistances, d'armes et de munitions qui pouvaient exister dans chaque arrondissement, des ateliers qui s'y trouvaient, du nombre des ouvriers, du genre de leurs travaux et de leurs opinions.

Ils étaient chargés de faire un recensement exact des patriotes aisés, qui pouvaient donner l'hospitalité aux frères des départemens, qu'on faisait venir à Paris pour aider les Parisiens à renverser le trône des tyrans. Ils devaient engager les mêmes patriotes à fournir une contribution volontaire pour payer les frais de l'insurrection; ils devaient encore donner la liste des espions de la police, dont on pouvait s'aider; il leur était enjoint d'organiser des compagnies de groupeurs, qui devaient se rendre journellement dans le jardin des Tuileries, et sur les autres points où se rassemble la multitude, et lire les numéros les plus récens des journaux patriotes.

On exhortait ces agens à se mêler euxmêmes dans les rassemblemens, pour diriger et échauffer l'esprit public; ils présentaient les renseignemens au comité secret de salut public, et recevaient ses réponses par le moyen d'intermédiaires; de cette manière, les mem

bres de l'autorité supérieure avec laquelle ils 1796. correspondaient, leur étaient inconnus.

Une partie des principes de la conspiration se trouve expliquée dans une lettre de Babeuf à Joseph Bodson, inventoriée par le ministre de la police, insérée dans la collection des pièces trouvées au domicile de ce conspirateur.

CHAPITRE VIII.

Lettre de Gracchus Babœuf.

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E ne suis pas surpris, écrit Babeuf à son ami, «que ma conduite présente une certaine nuance de variation. Mes opinions n'ont jamais varié sur les principes, mais elle a changé sur les hommes. Je confesse de bonne foi que je m'en veux aujourd'hui d'avoir eu autrefois de fausses idées sur le gouvernement révolutionnaire, établi par Robespierre, S.t- Just, Couthon, etc.

» Je

pense que ce gouvernement était celui qui convenait le mieux pour faire réussir une révolution. Tout ce qui s'est passé depuis que ni ces hommes ni ces institutions ne sont plus, justifie mon assertion. Je ne pense pas, comme toi, qu'ils aient commis de grands

crimes, et fait périr de bons républicains. La réaction thermidorienne leur fut plus fatale. An 4. Je n'examine pas si Hébert et Chaumette étaient innocens; quand cela serait, je justifie encore Robespierre; ce dernier pouvait avoir, à bon droit, l'orgueil d'être le seul capable de conduire à son vrai but le char de la révolution.

>>Des brouillons, des hommes à demi-moyens selon lui, et peut être, selon la réalité, avides de gloire et remplis de présomption, peuvent avoir été aperçus par notre Robespierre, avec la volonté de lui disputer la direction du char. Alors celui qui avait l'initiative, a dû concevoir que tous ces ridicules rivaux, même avec de bonnes intentions entraveraient, gâteraient tout.

>> Je

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suppose qu'il eût dit: Jettons sous l'éteignoir ces farfadets importuns et leurs bonnes intentions, mon opinion est qu'il fit bien, Le salut de vingt-cinq millions d'hommes ne doit point être balancé contre des ménagemens envers quelques individus équivoques. Un régénérateur doit voir en grand; son devoir est de faucher tout ce qui le gène, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa prompte arrivée au terme ; fripons, imbécilles, présomptueux, c'est égal, tant pis pour eux; pourquoi se trouvaient-ils là! Il est vrai que ce principe pouvait nous écraser

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