Page images
PDF
EPUB

millions pour envoyer les hommes à la boucherie, mais jamais aucun ministre n'employa AN 5. cette somme en améliorations territoriales. Avec deux cents millions, les landes de Bordeaux auraient été mises en valeur ; toutes les rivières de France, contenues dans leurs lits, offriraient de nouvelles provinces à une superbe culture; la France entière serait coupée en canaux navigables.

Si chaque peuple européen connaissait ses véritables intérêts, ni la terre, ni la mer ne se feraient mutuellement la loi. Il s'établirait une influence réciproque, un équilibre d'industrie et de puissance entre les nations méditerranées et les nations maritimes; chacune cultiverait et recueillarait sur l'élément qui lui est propre. Les empires jouiraient de la même liberté d'importation et d'exportation qui règne entre les provinces d'un même empire; chaque peuple parviendrait à la prospérité à laquelle il est appelé par la nature.

1797.

CHAPITRE XVI.

Observations sur la nature des liaisons de l'Angleterre avec la plupart des puissances de l'Europe.

[ocr errors]

L est un peuple, en Europe, plus flatté de dominer par l'étendue de son commerce et par l'immensité de ses richesses, que de posséder sur le continent quelques provinces qui lui seraient fréquemment contestées. Ce peuple, se renfermant dans son île, et affectant un désintéressement dont sa position topographique lui fait une loi, ne manque jamais, en entrant dans toutes les guerres élevées en Europe, de protester qu'il ne veut point faire de conquête, et que s'il prend les armes, c'est uniquement pour maintenir l'équilibre de l'Europe. Ces grands mots font leur effet, parce que la plupart des hommes sont entraînés par l'arrangement des phrases, autant que par force des choses. On s'allie avec une puissance dont les intentions se montrent si pures, sans penser qu'elle vole à son but, qu'on se sacrifie pour elle.

la

Cependant ses armateurs détruisent le commerce, non-seulement des nations belligérantes, mais des neutres. On s'aperçoit trop

tard que la prétendue générosité de cette nation consiste à gêner les échanges de tous les AN 5. peuples, et à s'enrichir par cette manœuvre. On arrêterait dans leur source la plus grande partie des guerres maritimes, si toute l'Europe était d'accord, par un engagement solemnel, de consacrer pour la guerre de mer les principes adoptés dans les guerres de terre. Les hommes armés n'attaquent que les hommes armés ; et après la conquête, si les vainqueurs s'emparent des biens appartenant au gouvernement vaincu, ils respectent ceux des particuliers, ils protègent le paisible agriculteur, le paisible marchand.

1

Ainsi les escadres ne devraient attaquer que les escadres, les vaisseaux armés que les vaisseaux armés, sans attenter à la propriété des paisibles navigateurs, n'ayant ni moyens. ni envie d'attaquer personne. Le plus fort, dira-t-on, enfreindrait toujours cette loi bienfaisante; non sans doute, s'il était unanimement décidé que le transgresseur serait regardé comme l'ennemi de tous les peuples de l'Europe.

Il serait injuste d'attribuer plus de désintéressement à un gouvernement qu'à un autre. Rome et Carthage, Athènes et Sparte, Pompée et César tendaient à l'augmentation de leur puissance avec une ardeur égale. La dif

férence était seulement dans la manière d'aller 1797. à leur but. Rome, en guerre contre Chartage, ne parlait que de délivrer les peuples opprimés par la république africaine; Pompée se couvrait, contre César, du prétexte spécieux de défendre la liberté publique. Au fond, on voulait dominer et avoir beaucoup d'argent. C'est le but des grands comme des petits, des Etats comme des particuliers. L'envie et l'ambition sont deux monstres aussi anciens que le monde; ils habitent les palais et les cabanes.

Lorsque la Grande Bretagne, au commencement de ce siècle, entra dans la guerre de la succession d'Espagne, elle assurait n'avoir aucun projet d'aggrandissement. Cependant, par la paix, elle se fit céder en Amérique la baie d'Hudson, l'île de Terre-Neuve, l'Acadie, dont elle étendit les limites à volonté ; en Europe, Minorque et Gibraltar, et enleva presque tout le commerce espagnol par le traité de l'Assiento.

Le gouvernement d'Angleterre, conduit par le desir de se venger de Louis XVI, regardé comme l'auteur de l'indépendance des Anglo-Américains, fomenta les troubles élevés en France, sous le régime de l'assemblée constituante, sans prévoir quelles en seraient les suites. Mais lorsque la république fut proclamée, et que le supplice du descendant de

soixante rois eut fixé le caractère de la révo-
lution, le cabinet de Saint-James crut entre- AN 5.
voir un moyen de transformer, en spécula-
tions financières, des dispositions diplomati-
ques qui n'avaient eu jusqu'alors qu'un but
vague de vengeance.

L'Angleterre, malgré l'étendue de son négoce et de ses ressources, était accablée par une dette nationale à-peu-près égale à celle de la France en 1787. Son systême, suivi depuis quarante ans, était d'augmenter perpétuellement chez elle la masse du numéraire, par les reviremens du commerce; de diminuer ainsi peu-à-peu la valeur de l'argent, et par conséquent le capital de sa dette. L'immense, l'incalculable commotion qui devait accompagner la chûte de l'antique monarchie française, offrait l'occasion de parvenir à ce but d'une manière plus prompte. Il s'agissait de s'emparer de tout le commerce de l'Europe. Alors, d'un côté, les énormes profits des commerçans devaient augmenter le revenu public, établi presque tout en Angleterre sur des impôts indirects; de l'autre, le numéraire s'avilissait par la surabondance qui en entrait dans la circulation. Celui qui devait cent francs, n'en doit plus que cinquante, lorsque le numéraire est devenu si commun, que l'écu de six livres ne vaut plus réellement que trois livres;

[ocr errors]
« PreviousContinue »