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fiance en la cour de Vienne. On parlait de 1796. trahison; la noblesse piémontaise abandonnait

en foule le pays, pour s'enfoncer dans le midi de l'Italic.

D'un autre côté, le grand duc de Toscane, craignant d'attirer dans ses états les armes françaises, refusait le passage aux renforts venus de Rome et de Naples pour se joindre à l'armée du comte de Beaulieu. Ce contretems ne permettait pas à ce général d'envoyer les moindres secours à l'armée pié

montaise.

CHAPITRE XV.

Les Français entrent dans Ceva. Bataille et prise de Mondovi.

Le général Serrurier entra dans la ville de

E

Ceva, le 28 germinal, au point du jour; on y trouva d'immenses provisions. L'artillerie de siège n'avait pu suivre la rapidité de l'armée française dans les sinuosités des montagnes; il fallut se contenter d'investir la citadelle, qui refusait d'ouvrir ses portes, et l'armée continua de marcher en avant.

Colli, dont l'armée, après les échecs qu'il venait d'éprouver, montait à peine à douze

mille combattans, ne pouvait résister longtems aux divisions françaises dont il était atta- AN 4. qué de front, tandis que celle de Massena, ayant passé le Tanaro sur un pont jeté auprès de Ceva, l'environnait presque entiérement. Il fut obligé d'abandonner ses retranchemens pendant la nuit du 2 au 3 floréal, pour prendre le chemin de Mondovi; sa marche était retardée par la pesanteur de l'artillerie et des munitions qu'il conduisait avec lui. Les Français l'atteignirent au point du jour, auprès du village de Vico. Toute son habileté ne lui servit, dans cette journée, qu'à mettre ses bagages en sureté derrière les rivières d'Elera et de Pesia. Son armée, rompue de toute part, sauva avec beaucoup de peine son artillerie. Les Français entrèrent le même jour dans Mondovi, place qui pouvait faire une meilleure résistance.

La rivière de Stura était alors presque la seule barrière qui arrêtait la marche de Bonaparte sur Turin, dont on n'était éloigné que de treize lieues. L'armée de Beaulieu, réduite à moins de trente mille hommes effectifs J n'offrait aucune ressource. Colli fut obligé de passer la Stura. Il campa entre Coni et Cherasco. Cette dernière ville, fort importante par sa situation, au confluent de la Stura et du Tanaro, était munie d'une enceinte bastionnée, fraisée et palissadée.

La journée du 4 fut employée par les Fran1796. çais à passer l'Elera, à jeter plusieurs ponts sur le Pesia. Le soir, l'avant-garde arriva à Carru; le lendemain, après quelques chocs peu importans de cavalerie, elle entra dans la petite ville de Besne. Le quartier-général de Serrurier se porta, le 6, sur la ville de Fossano, quartier-général de Colli, tandis que Massena attaquait Cherasco. Les deux places furent enlevées presque en même tems. Colli s'était replié dans les environs de Turin. Les Français, maîtres du cours du Tarano, campaient au milieu de la plaine de Piémont, prêts à faire le siège de la capitale où le roi de Sardaigne s'était renfermé avec les débris de ses forces.

Une bataille excédait rarement autrefois les bornes d'une journée; mais aucune histoire ne présenta le tableau d'une campagne qui n'était qu'une suite de batailles journalières et continuelles. Cet art nouveau d'abréger la guerre est un des phénomènes de la révolution française, dans laquelle tous les événemens semblent prendre un caractère extraordinaire et colossal. Pichegru en donna un premier exemple dans sa campagne de Hollande; Bonaparte, dont le caractère se composait de feu et de salpêtre, le perfectionna.

Depuis seize jours, l'armée française se battait sans interruption, contre les Autri

chiens et les Piémontais; ses triomphes semblaient la rendre insensible à la fatigue dont AN 4. elle devait être excédée. Le siège de Turin était résolu, et déjà l'artillerie de siège approchait pour hâter des attaques. Dans ces circonstances, Bonaparte prononça, à la tête de son armée, un de ces discours que les anciens historiens mettent souvent dans la bouche des généraux, et qu'il n'est pas sûr qu'ils aient prononcés.

Soldats, vous avez en quinze jours remporté six victoires, pris vingt-un drapeaux, cinquante pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont ; vous avez fait quinze cents prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes.

>> Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie; vous égalez aujourd'hui, par vos services, l'armée conquérante de Hollande et du Rhin; dénués de tout, vous avez supléé à tout; vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et quelquefois sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté, étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Graces vous en soient rendues, soldats, la patrie reconnais

sante vous devra en partie sa prospérité; et 1796. si, vainqueurs de Toulon, vous présageâtes l'immortelle campagne de l'an 3, vos victoires actuelles en présagent une plus belle encore.

» Les deux armées qui naguères vous attaquaient avec audace, fuient épouvantées devant vous. Les hommes pervers, qui riaient des privations auxquelles vous étiez condamnés, et se réjouissaient dans leurs pensées du triomphe de vos ennemis, sont confondus et tremblans.

» Mais, soldats, il ne faut pas le dissimuler, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste encore à faire; ni Turin, ni Milan ne sont à vous; les cendres des vinqueurs de Tarquin sont encore foulées par vos ennemis.

» Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne, vous êtes aujourd'hui abondamment pourvus; les magasins pris à vos ennemis sont nombreux; l'artillerie de siège est arrivée; la patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses. Justifierez-vous son attente? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute, mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. En est-il d'entre vous dont le courage s'amolisse ? En est-il qui préféreraient de retourner sur les sommets de l'Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures d'une soldatesque esclave? Non, il n'en

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