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qu'il reçoive la mort. Voilà ce qui révolte la raison, le bon sens, la logique, la justice, en un mot toutes les idées du droit. Que si les principes que vous avez consacrés, que si les actes les plus solennels de votre gouvernement mettent en dehors de la juridiction de la chambre des pairs le prince Louis-Napoléon, que si vous voulez être juges, au moins jugez humainement les choses humaines. Rendons-nous compte des circonstances au milieu desquelles a éclaté l'entreprise de Boulogne. Je ne fais ici ni de la politique, ni de l'hostilité, je prends des faits incontestés.

Le pouvoir en France est aujourd'hui confié à un ministère dont l'origine est récente. Ce ministère a lutté avant de se constituer pendant plusieurs années dans une ardente et vive polémique.

Il a gémi profondément sur la politique qui avait été suivie au nom du gouvernement de la France à l'égard de l'étranger; il a vu de la timidité, je ne veux pas me servir d'un autre mot, dans toutes nos relations avec les États de l'Europe; il a gémi de ce délaissement de la Belgique jusque dans la question du Luxembourg; il a gémi, le ministère qui gouverne aujourd'hui, de l'abandon d'Ancône sans condition, il a accusé l'exigence funeste qui nous avait aliéné la Suisse et le sentiment d'attachement qu'elle avait depuis tant de siècles pour la France, il a accusé cette politique désolante qui, renfermant toute la pensée de la France dans les intérêts matériels, dans les calculs des besoins privés, frémissait à l'idée de guerre, et laissait effacer la grande influence de la France sur les Espagnes devant l'influence ennemie de l'Angleterre. (Très-bien.)

Qu'est-il arrivé? A peine ce ministère a-t-il touché le pouvoir, qu'il a senti l'état politique de l'Europe, qu'il a vu se préparer et s'ourdir des plans injurieux pour sa dignité, menaçants peut-être pour ses intérêts; qu'il a vu se préparer quelque chose comme la réunion de presque tous les Etats de l'Europe contre la France isolée et rejetée du congrès et des transactions des rois. Il s'est alarmé d'une pareille situation. Il a senti qu'il fallait affranchir cette France dévouée à l'égoïsme, à l'individualisme, du joug matériel qui éloignait toute pensée de sacrifice; qu'il fallait d'autres sentiments dans cette fière et glorieuse patrie. Il a voulu réveiller des souvenirs, et il est allé invoquer la mémoire de celui qui avait promené la grande épée de la France depuis l'extrémité du Portugal jusqu'à l'extrémité de la Baltique. Il a

voulu qu'elle fût montrée à la France, cette grande épée qui avait presque courbé les Pyramides, et qui avait preque entièrement séparé l'Angleterre du continent européen. Toutes les sympathies impériales, tous les sentiments bonapartistes ont été profondément remués, pour réveiller en France cet esprit guerrier. La tombe du héros, on est allé l'ouvrir, on est allé remuer ses cendres pour le transporter dans Paris et déposer glorieusement ses armes sur un cercueil.

Vous allez juger, messieurs; est-ce que vous ne comprenez pas ce que de telles manifestations ont dû produire sur le jeune prince? Est-ce dans cette enceinte, où je vois tant d'hommes décorés de titres qu'ils n'ont pas reçus avec la vie, qu'il me sera interdit de dire ce que cette grande provocation au souvenir de l'Empereur a dû remuer dans le cœur de l'héritier d'un nom héroïque?

Soyons hommes, messieurs, et comme hommes jugeons les actions humaines. Faisons la part de toutes choses. Jusqu'où a-t-on été? Sous un prince qui, dans d'autres temps, avait demandé à porter les armes contre les armées impériales, et à combattre celui qu'il appelait l'usurpateur corse, on a senti un tel besoin de réveiller l'orgueil de ce nom en France, et les sentiments qui sont liés au souvenir de l'empire, que le ministre a dit : « Il fut le légitime souverain de notre pays.» (Mouvement d'assentiment.)

C'est alors que le jeune prince a vu se réaliser ce qui n'était encore que dans les pressentiments des hommes qui gouvernent. Il a vu signer le traité de Londres; il s'est trouvé au milieu des hommes qui ourdissent ce plan combiné contre la France, et vous ne voulez pas que ce jeune homme, téméraire, aveugle, présomptueux tant que vous voudrez, mais avec un cœur dans lequel il y du sang, et à qui une haine a été transmise, sans consulter ses ressources se soit dit : « Ce nom qu'on fait retentir, c'est à moi qu'il appartient! C'est à moi de le porter vivant sur les frontières! il réveillera la foi dans la victoire. » Ces armes, qui les déposera sur son tombeau? Pouvez-vous disputer à l'héritier du soldat ses armes? Non, et voilà pourquoi, sans préméditation, sans calcul, sans combinaison, mais jeune, ardent, sentant son nom, sa destinée, sa gloire, il s'est dit : « J'irai et je poserai les armes sur sa tombe, et je dirai à la France: Me voici.... voulezvous de moi? (Vive sensation.)

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Soyons courageux! disons tout avant de juger. S'il y a eu un crime, c'est vous qui l'avez provoqué par les principes

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que vous avez posés; par les actes solennels du gouvernement; c'est vous qui l'avez inspiré par les sentiments dont vous avez animé les Français, et, entre tout ce qui est Français, l'héritier de Napoléon lui-même.

Vous voulez le juger, et pour déterminer vos résolutions, pour que plus aisément vous puissiez vous constituer juges, on vous parle de projets insensés, de folle présomption.... Eh! messieurs, le succès serait-il donc devenu la base des lois morales, la base du droit? Quelle que soit la faiblesse, l'illusion, la témérité de l'entreprise, ce n'est pas le nombre des armes et des soldats qu'il faut compter, c'est le droit, ce sont les principes au nom desquels on a agi. Ce droit, ces principes, vous ne pouvez pas en être juges. (Vive adhésion.)

Et ici je ne crois pas que le droit au nom duquel était tenté le projet puisse tomber devant le dédain des paroles de M. le procureur général. Vous faites allusion à la faiblesse des moyens, à la pauvreté de l'entreprise, au ridicule de l'espérance du succès; ou bien, si le succès fait tout, vous qui êtes des hommes, qui êtes même des premiers de l'État, qui êtes les membres d'un grand corps politique, je vous dirai: Il y a un arbitre inévitable, éternel, entre tout juge et tout accusé; avant de juger devant cet arbitre et à la face du pays qui entendra vos arrêts, dites-vous, sans avoir égard à la faiblesse des moyens, le droit, les lois, la constitution devant les yeux: « La main sur la conscience, devant Dieu et devant mon pays, s'il eût réussi, s'il eût triomphé, ce droit, je l'aurais nié, j'aurais refusé toute participation à ce pouvoir, je l'aurais méconnu, je l'aurais repousse.» Moi, j'accepte cet arbitrage suprême, et quiconque devant Dieu, devant le pays, me dira: «S'il eût réussi, je l'aurais nié ce droit!». celui-là je l'accepte pour juge. (Mouvement dans l'auditoire.)

Parlerais-je de la peine que vous pourriez prononcer? Il n'y en a qu'une si vous vous constituez tribunal, si vous appliquez le Code pénal : c'est la mort! Eh bien ! malgré vous, en vous disant et en vous constituant juges, vous voudrez faire un acte politique; vous ne voudrez pas froisser, blesser dans le pays toutes les passions, toutes les sympathies, tous les sentiments que vous vous efforcez d'exalter; vous ne voudrez pas le même jour attacher le même nom, celui de Napoléon, sur un tombeau de gloire et sur un échafaud. Non, vous ne prononcerez pas la mort! (Bravo, bravo!)

Vous ferez donc un acte politique, vous entrerez dans les considérations politiques, vous mettrez la loi de côté. Ce

n'est plus ici une question d'indulgence, c'est la raison politique qui déterminera le corps politique.... Pourrez-vous prononcer selon vos lois la détention perpétuelle? Une peine infamante! Messieurs, j'abandonne tout ce que j'ai dit. Je laisse de côté l'autorité du principe politique; je ne parle plus de l'impossibilité de prononcer sans que le peuple soit convoqué et ait prononcé entre le droit constitué par vous et le droit consacré par les constitutions de l'empire et renouvelé dans les Cent jours; je laisse de côté les considérations prises de ce qu'a fait votre gouvernement, je ne parle plus des sentiments si naturels, si vrais qui repoussent la condamnation; et je me borne à dire que vous ne jetterez pas une peine infamante sur ce nom. Cela n'est pas possible à la face du pays; cela n'est pas possible en ces jours et en ces temps.

Une peine infamante sur le nom de Napoléon, serait-ce là le premier gage de paix que vous auriez à offrir à l'Europe? (Vive sensation.)

Sortez des considérations générales du devoir et du législateur, et redevenez hommes, et croyez que la France attache encore un prix immense, un honneur immense aux sentiments naturels de l'homme.

On veut vous faire juges, on veut vous faire prononcer une peine contre le neveu de l'Empereur, mais qui êtes-vous donc? Comtes, barons, vous qui fûtes ministres, généraux, sénateurs, maréchaux, à qui devez-vous vos titres, vos hon

neurs?

A votre capacité reconnue sans doute, mais ce n'est pas moins aux munificences mêmes de l'Empire que vous devez de siéger aujourd'hui et d'être juges.... Croyez-moi, il y a quelque chose de grave dans les considérations que je fais valoir.... Une condamnation à une peine infamante n'est pas possible. En présence des bienfaits de l'Empire, ce serait une immoralité.

En présence des engagements qui vous sont imposés par les souvenirs de votre vie, des causes que vous avez servies, de vos serments, des bienfaits que vous avez reçus, je dis qu'une condamnation serait immorale! et il y faut penser sérieusement, il y a une logique inévitable et terrible dans l'intelligence et les instincts de peuples, et quiconque, dans le gouvernement des choses humaines a violé une seule loi morale, doit attendre le jour où le peuple les brisera toutes sur luimême. (Ce discours est suivi d'une assez longue agitation.)

Discours de M. de Montholon.

M. DE MONTHOLON se lève et lit d'une voix très-faible quelques lignes que répète ensuite M. de la Chauvinière, sur la demande de plusieurs membres de la cour. Les voici :

<< Messieurs les pairs,

« J'étais en Angleterre, où des intérêts de famille m'avaient appelé.

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J'y vis souvent le prince Napoléon; souvent il me confia ses pensées sur l'état de la France, son projet de convoquer un congrès national, son espérance de rendre un jour aux Français l'union politique que l'Empereur avait si glorieusement fondée.

« Toutes ses idées manifestaient un ardent amour de la France, un noble orgueil du grand nom qui lui a été transmis, et je retrouvais en lui un vivant souvenir des longues méditations de Sainte-Hélène.

Mais jamais il ne m'a parlé d'entreprises prochaines, de préparatifs pour une expédition en France.

« Lorsque, croyant aller à Ostende, je me trouvai à bord du paquebot que montait le prince, et qu'il me fit connaître sa détermination, j'ai pu lui soumettre quelques observations; mais il était déjà trop tard!

« Je n'ai pas quitté le neveu de Napoléon, je ne l'ai pas délaissé sur la côte de France.

« J'ai reçu le dernier soupir de l'Empereur. Je lui ai fermé les yeux. C'est assez expliquer ma conduite. Je me vois sans regret accusé aujourd'hui pour avoir pris une résolution dont la bonne opinion que j'ai des hommes me persuade que chacun de vous, messieurs les pairs, eût été capable.

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M BERRYER, se levant. La défense de M. de Montholon se borne à ces seuls mots : « Je n'ai pas voulu délaisser sur la côte de France le neveu de l'Empereur, dont j'avais reçu le dernier soupir, et à qui j'avais fermé les yeux. »

Je n'ajoute qu'un mot pour répondre à l'objection qui consiste à dire Est-il possible que M. de Montholon n'ait rien connu de la détermination prise par le prince Louis?

Le prince Louis l'affirme, il l'a déclaré dès les premiers

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