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Ils laissèrent Lombard dans la colonne, où deux citoyens de Boulogne le firent prisonnier, et ils s'enfuirent les uns vers le rivage, où ils essayèrent de gagner le bateau qui les avait portés; les autres vers la ville ou dans les campagnes.

Les premiers, parmi lesquels était Louis Bonaparte, le colonel Voisin, Faure, Mésonan, Persigny, d'Hunin, parvinrent à entrer dans un canot qu'ils s'efforcèrent de pousser au large. Ils ne voulurent pas s'arrêter sur l'ordre qui leur en fut donné: on tira sur eux quelques coups de fusil qui blessèrent le colonel Voisin et tuèrent le sieur Faure. Le mouvement qui s'opéra dans le canot le fit chavirer. D'Hunin se noya. Les autres se mirent en devoir de gagner à la nage le paquebot, mais le commandant du port, Pollet, qui avait été dépêché pour le saisir, les ayant aperçus, les retira de l'eau et les fit prisonniers. Presque tous ceux qui s'étaient sauvés dans les rues de la ville ou dans les campagnes éprouvèrent le même sort. Au total on arrêta cinquante-sept personnes, non compris le capitaine de l'équipage du bateau le Château d'Édimbourg, qui depuis a été mis en liberté, comme nous l'avons dit plus haut.

C'est ici le lieu de rendre publiquement et solennellement à toute la population de Boulogne-sur-Mer, à ses magistrats, à la garde nationale, à ses chefs, comme à ceux de sa garnison, la justice qui leur est due. Dans cette mémorable circonstance, personne n'a failli et personne n'a hésité dans l'accomplissement du devoir. Aucun n'a mesuré le danger, tous ont bravement payé de leur personne. Gloire et honneur à la fois à ces citoyens dévoués, dans les efforts desquels toute la France s'est reconnue! Éclatante preuve de l'attachement du pays au gouvernement et à la dynastie de 1830! La France ne se laissera jamais imposer un gouvernement par la violence, la révolte et la trahison; elle veut maintenir ce qu'elle a elle-même établi, et nul n'aura la puissance de la contraindre à se désavouer.

Il ne suffisait pas que l'exécution de l'attentat eût été empêchée, il fallait encore que ses auteurs fussent placés sous la main de la justice; le gouvernement a rempli ce devoir en les déférant à la Cour des Pairs, si bien placée pour reconnaître avec une pleine indépendance l'existence et la nature des faits qui leur sont imputés, pour en apprécier impartialement les conséquences et leur attribuer, dans une juste mesure, le degré de culpabilité qui en peut ressortir. Nous allons maintenant, par une scrupuleuse analyse de

l'instruction à laquelle nous nous sommes livré, et qui a été conduite avec toute la célérité que comportait le soin religieux qui doit être apporté en de telles affaires; nous allons, dis-je, essayer, messieurs, de vous donner une idée exacte de la part que chacun des inculpés est présumé avoir prise à l'attentat dont vous devez connaître.

Mais, avant d'entrer dans ces détails, vos précédents nous imposent le devoir d'appeler l'attention de la Cour sur sa compétence. Il serait inutile d'exposer, même brièvement, toutes les charges de l'instruction, si vous deviez plus tard vous dessaisir.

Les principes vous sont familiers. Ils sont écrits dans la Charte et dans les nombreux arrêts déjà rendus par la Cour.

L'article 28 de la Charte porte : « que la Chambre des << Pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats « à la sûreté de l'État qui seront définis par la loi. »

Ainsi donc, tant qu'une loi spéciale n'aura pas défini les crimes de trahison et des attentats à la sûreté de l'État, ils rentreront tous, d'une manière générale, dans les attributions de la Chambre des Pairs, dont la compétence n'aura de limite que dans la prudence du gouvernement qui la saisit, et, en définitive, dans l'appréciation que la Cour en fait toujours elle-même. A cet égard, vos précédents ont posé des principes, ont fondé une jurisprudence qui offrent à l'État et aux citoyens les garanties les plus rassurantes.

Dans l'esprit de la Charte, là haute juridiction de la Chambre des Pairs est constituée pour opposer une digue aux graves commotions qui peuvent naître de certains attentats dont les dangers s'accroissent par la combinaison et la nature des faits qui les constituent, du nombre de ces faits, des lieux où ils se sont passés, du but que leurs auteurs se sont proposé, et enfin des personnes qui y ont pris part, de la position et du rang que ces personnes tiennent dans l'Etat. Quand toutes ces circonstances manquent, il n'y a pas de raison pour enlever à l'autorité judiciaire ordinaire une action à laquelle elle suffit parfaitement.

Mais quand, au contraire, elles se rencontrent plus ou moins complétement, et surtout quand elles viennent toutes à se réunir, il y a évidemment lieu de recourir au pouvoir qui a été institué en vue de situations parfaitement analogues à celles qui se produisent. Ne pensez-vous pas, messieurs,

que tel est le cas qui résulte du compte que nous venons de vous rendre?

La gravité des faits, leur nombre, leur longue préméditation, la persévérance de ceux qui les ont préparés et accomplis, le but qu'ils se proposaient, le nom dont ils se sont Couverts, la situation de quelques-unes des personnes que l'instruction a mises en état de prévention, le rang militaire qui a appartenu, qui même, pour certains d'entre eux, appartenait encore, au moment de l'attentat, à plusieurs de ceux qui y auraient participé, les prétentions de leur chef qu'il n'a jamais désavouées, même après la sévère leçon qu'il venait de recevoir, tout nous semble concourir à exiger votre haute intervention, et nous serions tenté de dire qu'il faudrait rayer de la Charte l'article 28, dont la sage prévoyance est cependant incontestable, si vous ne deviez pas retenir, pour les juger, les faits consommés à Boulogne dans la journée du 6 août dernier.

Il nous reste maintenant à retracer les preuves du crime et les charges qui pèsent sur chacun des inculpés. Cette tâche ne peut être ni longue ni difficile après les détails dans lesquels nous sommes déjà entrés.

C'est au moment même de la consommation du crime que ses auteurs ont été arrêtés. Ils ont été surpris les armes à la main, provoquant les troupes à la trahison et à la défection par la corruption et la violence, par la séduction d'un grand nom, par des promesses, des distributions d'argent. Des proclamations invitaient la population elle-même à la révolte en même temps que des décrets et des arrêtés prononçaient la déchéance de la famille royale. Détruisant d'une main le pouvoir légitime, de l'autre les conjurés organisaient l'usurpation. A ce double fait joignez les aveux constants, uniformes, persévérants de plusieurs d'entre eux, la manifestation précise de leurs intentions, de leurs regrets d'avoir échoué par suite de l'attitude ferme et décidée de la population, de l'armée et de l'administration; et vous aurez la réunion de toutes les preuves exigées pour l'établissement d'un fait. »

De tous les faits qui précèdent, le rapporteur conclut que le crime imputé aux prévenus est constant et avéré, et pour en compléter la preuve, il énumère successivement les charges qui, selon l'accusation, pèsent sur chacune des personnes impliquées dans cette affaire.

« Nous voilà, messieurs, continue M. Persil, parvenu au terme de la pénible tâche qui nous a été imposée.

Dans le commencement de ce rapport, destiné à faire passer sous vos yeux la série de tous les faits qui ont constitué l'attentat de Boulogne, nous en avons qualifié le principe; une incroyable audace, une aventureuse présomption, une délirante ambition, ont seules pu nous l'expliquer.

Abusant de la protection qui leur était accordée par des institutions qu'ils voulaient néanmoins renverser, et sous l'égide du respect justement commandé par notre législation pour la liberté de la presse, des conjurés ont pu fonder dans le sein même de la capitale une presse quodienne, destinée à populariser leur cause, à lui créer des partisans. Leurs émissaires, suppléant au nombre par l'activité de leurs démarches, ont parcouru le pays, inquiété les populations, cherché à ébranler la fidélité des troupes, et, par un odieux einbauchage, entraîné des malheureux que le besoin livrait sans défense à leur coupable séduction.

Un jour, dans l'enivrement de leur présomptueuse folie, ils ont pu, au nombre de cinquante à soixante, partant de l'étranger, descendre sur nos côtes, et tenter de s'emparer de l'une de nos villes, d'où ils croyaient pouvoir s'élancer sur la capitale.

Vous jugerez les auteurs de cet odieux attentat, et, autant qu'il est en vous, vous préviendrez par la sage fermeté de vos décisions le retour de tant d'égarements si funestes. Vous vous serez ainsi acquittés envers le pays et envers la couronne des devoirs que votre haute situation vous impose. Le gouvernement (nous n'en doutons pas) remplira aussi les siens il saura, par la prudence et par la vigueur de ses mesures, empêcher le retour de ces malheurs dont la périodicité pourrait être considérée comme une insulte pour le pays, qui s'en indigne. »

:

Arrêt de mise en accusation (16 septembre).

La Cour des Pairs se déclara compétente :

« Attendu qu'il appartient à la Cour d'apprécier si les attentats dont la connaissance lui est déférée rentrent, par leur gravité et leur importance, dans la classe de ceux dont le

jugement lui est réservé par l'article 28 de la Charte constitutionnelle;

« Attendu qu'il résulte de l'instruction à laquelle il a été procédé au sujet des faits qui se sont passés à Boulogne-surMer le 6 août dernier, et qui ont été déférés à la cour par ordonnance du roi du 9 du même mois, que, soit à raison de la qualité des personnes qui y auraient pris part, soit à raison des moyens employés pour en préparer l'exécution par une bande armée, soit enfin à raison du but évident de renverser la constitution de l'État, par la violence et la guerre civile, ces faits constituent le crime d'attentat à la sûreté de l'Etat défini par les articles 87 et suivants du Code pénal et présentent les caractères de gravité qui doivent déterminer la cour à en retenir la connaissance;

Au fond, en ce qui touche;

Le prince Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, le comte Charles-Tristan de Montholon, Jean-Baptiste Voisin, DenisCharles Parquin, Hippolyte-François-Athale-Sébastien Bouffet Montauban, Etienne Laborde, Séverin-Louis Le Duff de Mésonan, Jules-Barthélemy Lombard, Henri Conneau, Jean Gilbert-Victor Fialin de Persigny, Alfred d'Almbert, Joseph Orsi, Prosper Alexandre dit Desjardins, Mathieu Galvani, Napoléon Ornano, Jean-Baptiste-Théodore Forestier, Martial-Eugène Bataille, Jean-Baptiste-Charles Aladenize, Pierre-Jean-François Bure, Henri Richard Sigefroi de Querelles (absent), Flandin Vourlat (absent);

« Attendu que de l'instruction résultent contre eux charges suffisantes d'avoir commis à Boulogne-sur-Mer, le 6 août dernier, un attentat dont le but était, soit de détruire, soit de changer le gouvernement, soit d'exciter les citoyens ou habitants à s'armer contre l'autorité royale, soit d'exciter la guerre civile en armant ou en portant les citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les autres;

Crimes prévus par les articles 87, 88, 89 et 91 du Code pénal. »

D

La Cour ordonna la mise en accusation des personnes susnommées et déclara qu'il n'y avait lieu de suivre contre les autres accusés.

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