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ОСТ 20 1911

LES GRANDS

PROCÈS POLITIQUES.

BOULOGNE.

FAITS PRÉLIMINAIRES.

Dans la journée du 6 août 1840, une sourde rumeur circulait à Paris; on parlait d'un grave événement dont Boulogne-sur-Mer aurait été le théâtre. Le prince Napoléon-Louis, renouvelant la tentative de Strasbourg, avait effectué une descente à main armée sur nos côtes.

Le lendemain le Moniteur publiait les dépêches télégraphiques suivantes :

Boulogne, 6 août, 8 heures et demie du matin.

Le sous-préfet à M. le Ministre de l'intérieur.

Louis Bonaparte vient de faire une tentative sur Boulogne. Il est poursuivi et déjà plusieurs des siens ont été arrê

tés.

Boulogne, 6 août, 9 heures trois quarts.

Le sous-préfet à M. le Ministre de l'intérieur.

Louis Bonaparte est arrêté. Il vient d'être transféré au château, où il sera bien gardé.

La conduite de la population, de la garde nationale et de la troupe de ligne a été admirable.

BOULOGNE.

1

Cette publication fut suivie des rapports des autorités civiles et militaires. Nous donnons les plus importants de ces documents.

Rapport du capitaine Col-Puygélier, commandant la caserne de Boulogne.

Mon commandant,

Ce matin vers six heures moins un quart, M. Aldenize, lieutenant de voltigeurs au 42° régiment de ligne, est arrivé très-empressé à la caserne, et a dit au sergent-major Clément Allons, vite, aux armes! que les grenadiers et voltigeurs descendent lestement. Pendant qu'en effet tout le détachement descendait, le prince Louis, a-t-il dit, est entré avec un nombreux état-major et une quarantaine d'hommes armés, militairement habillés et coiffés de schakos portant le numéro 40; M. Aldenize a aligné les deux compagnies, a appelé les sous-officiers, et le prince Louis, embrassant à droite et à gauche, a dit à tous les sous-officiers et à tous les soldats qu'ils seraient décorés ; qu'il rentrait en France pour la venger de l'humiliation qu'elle subissait depuis dix années, qu'il comptait sur tous les braves, et autres choses analogues.

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a

Pendant ce temps un grenadier s'était échappé, et était venu me prévenir. Je suis accouru, mais la porte de la caserne était fortement occupée par ces individus qui sont tombés sur moi et m'ont dit : « Prisonnier!» (entre autres un grand colonel). J'ai mis sabre en main et me suis vigoureusement prononcé pour arriver à mes soldats qui étaient dans la cour de la caserne. Le prince Louis s'est présenté et m'a dit Capitaine, soyez des nôtres, et vous aurez tout ce que vous voudrez, etc. » Je lui dis: « Prince Louis ou non, je ne vous connais point; Napoléon, votre prédécesseur, avait abattu la légitimité, et c'est à tort que vous voudriez ici réclamer; qu'on évacue ma caserne. » Tout en luttant et criant ainsi, je m'approchai de mes soldats qui, sitôt qu'ils m'ont aperçu, sont accourus et ont repoussé hors de la porte ce groupe ennemi. Tous les officiers du détachement se trouvaient alors près de moi, et pendant que j'ordonnais ma troupe le groupe a voulu rentrer et parlementer; mais alors je leur

ai signifié de se retirer où que j'allais employer la force. Comme je m'adressais particulièrement au prince Louis, il m'a tiré un coup de pistolet dont la balle à atteint un grenadier à la bouche.

Aussitôt j'ai fait refouler le groupe et refermer la porte. J'ai fait distribuer des cartouches à tous mes hommes, après les avoir bien instruits de ce qui se passait, et j'ai pris de mon autorité les mesures suivantes : J'ai envoyé deux tambours escortés de quatre hommes armés battre la générale en ville; j'ai envoyé un détachement de vingt hommes, commandé par un sous-lieutenant, prendre les ordres du comman dant de place et s'assurer du château; j'ai doublé la garde de l'arsenal, et j'ai envoyé un sous-lieutenant et vingt hommes s'assurer du port. C'est peu de temps après toutes ces dispositions que j'ai reçu de vous l'ordre de me transporter sur la place de la Ville-Haute je vous ai trouvé.

Je dois vous assurer, mon commandant, qu'en cette circonstance critique, depuis le soldat jusqu'au capitaine, tout le monde s'est parfaitement acquitté de son devoir, malgré l'or, l'argent, les promesses et tout autre moyen de séduction. Je me réserve même, dès que j'en aurai le temps, de vous signaler particulièrement ceux qui se sont le plus distingués. Je présume avoir à vous faire un rapport très-avantageux sur M. Rugou, sous-lieutenant des grenadiers, qui a poursuivi les fuyards jusqu'au bord de la mer, où ils ont été pris en plus grand nombre.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Rapport du commandant de place de Boulogne, au général commandant la 16a division militaire.

Mon général, lorsque j'ai reçu la dépêche télégraphique que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, déjà et depuis midi et demi j'avais eu l'honneur de vous envoyer un rapport aussi détaillé que le peu de temps que j'avais à moi m'avait permis. M. le sous-préfet s'était chargé de vous le faire passer le plus tôt possible, et je pense que vous l'avez déjà

reçu.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous l'écrire, c'est à la fer

meté du capitaine commandant le détachement du 42a de ligne, dont je vous ai envoyé le rapport, et qui fort heureusement est arrivé à la caserne presqu'en même temps que le prince Louis et sa troupe, que l'on doit la bonne direction qu'a prise cette affaire; ainsi, je ne saurais trop vous recommander cet officier. Du reste, tout le monde a rivalisé de zèle dans cette circonstance; officiers, sous-officiers et soldats de la troupe de ligne et de la garde nationale, tous ont fait leur devoir.

Puissamment secondé par les autorités civiles et M. le colonel de la garde nationale, il nous a été facile de nous emparer de presque tous les hommes qui avaient débarqué avec le prince Louis, et si par hasard quelques hommes nous ont échappé, ce que je ne pourrais affirmer, ce ne serait dans tous les cas que des agents secondaires et de peu d'importance; des ordres sont donnés d'ailleurs pour les traquer partout où on les rencontrerait, et déjà quelques prisonniers nous ont été amenés par les douaniers, la gendarmerie, etc.

Un paquebot anglais s'était chargé du transport des révoltés et avait facilité leur débarquement sur les côtes près de Boulogne, entre cette ville et Vimereux : c'est à peu près au même point où on les a presque tous pris, et au moment où ils cherchaient à se rembarquer.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire dans ma première dépêche, c'est à la troupe de ligne et à la garde nationale que j'avais envoyées après eux et qui étaient guidées par M. le sous-préfet, que l'on doit leur arrestation. Pour moi, je suis forcé par ma position de rester dans la place pour prendre les dispositions nécessaires pour la défendre, et principalement pour le château, où je me suis établi de suite, et où je suis encore en ce moment avec une force suffisante pour parer à tout événement et pour la garde des prisonniers qui s'y trouvent tous réunis.

Toute la journée, le procureur du roi de Boulogne et M. le procureur-général de la Cour royale de Douai, qui se trouvait accidentellement ici, ont procédé à l'interrogatoire des prisonniers dont je joins ici la liste.

Nous n'avons de blessé jusqu'à présent que le militaire du 42° qui a reçu le coup qui était destiné au capitaine, ainsi que vous l'aurez vu par le rapport de cet officier.

Du côté des révoltés, il se trouve en ce moment à l'hôpital civil le colonel Voisin, qui a été atteint de plusieurs coups

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