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En cas de condamnation par contumace, ajoute l'article 28, la dégradation civique est encourue au moment de l'exécution par effigie. L'article 472 du Code d'instruction. criminelle règle en quoi consiste l'exécution par effigie: elle consiste dans l'apposition, constatée par procès-verbaux, d'affiches contenant le texte de l'arrêt. Le dernier alinéa du texte ajoute : « Les effets que la loi attache à l'exécution par effigie seront produits à partir de la date du dernier pro«< cès-verbal constatant l'accomplissement de la formalité de «<l'affiche prescrite par le présent article. »>

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Aucune indécision n'est donc possible quant au point de départ des déchéances résultant soit de la dégradation civique, soit de l'interdiction légale. En ce qui concerne l'incapacité spéciale prévue par l'article 3 de la loi de 1854, c'est au contraire une question assez compliquée de savoir à quel moment précis elle est encourue. Cette déchéance est un reste de l'ancienne mort civile, un des effets de cette peine conservée comme accessoire des peines perpétuelles afin de ménager la gradation entre elles et les peines temporaires. On peut alors soutenir qu'elle est encourue comme l'était, d'après le Code civil, la mort civile elle-même. Or, d'après le Code, le moment où la mort civile était encourue variait selon que la condamnation était contradictoire ou par

contumace.

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Etait-elle contradictoire, l'article 26 rattachait la mort civile non à la condamnation, mais à l'exécution. C'était un sursis. « Les condamnations contradictoires, dit le texte, n'emportent la mort civile qu'à compter du jour de leur « exécution, soit réelle, soit par effigie. » L'exécution réelle forme le cas le plus habituel après une condamnation contradictoire. S'agit-il de la peine de mort, l'exécution réelle a lieu quand le condamné cesse de vivre; s'agit-il de la peine des travaux forcés ou de la déportation, le moment de l'exécution réelle est celui de l'entrée du condamné dans l'établissement où la peine est subie, le tout constaté par procèsverbaux. L'exécution par effigie se produit en cas d'évasion du condamné entre la condamnation et l'exécution.. Les formes en sont indiquées par l'article 472 du Code pénal.

La condamnation était-elle par contumace, on sursoyait à la mort civile qui n'était encourue que plus tard elle n'était encourue que cinq ans après l'exécution par effigic

(article 27). Cela se comprend. Les effets de la mort civile sont graves et même terribles; une fois produits, ils sont irrémédiables, par exemple en ce qui concerne la dissolution du mariage. Or, en cas de condamnation par contumace, il se peut que l'accusé n'ait pas pu se présenter; peutêtre était-il au loin, peut-être n'avait-il pas été prévenu de la poursuite; en tout cas, il a été condamné sans avoir été entendu ni défendu (articles 468 et 470 C. d'inst. crim.). On peut douter que la condamnation ait été prononcée à bon escient. Alors on surseoit à ses effets. De là le délai de cinq ans de l'article 27; on l'a appelé le délai de grâce. Pendant ce délai, le condamné n'est pas mort civilement; il reste integri status. Donc, s'il meurt, si la peine est commuée, s'il se présente et purge sa contumace, il n'aura pas encouru la mort civile (article 31 C. civ.). Au bout des cinq ans, la mort civile est encourue. La longue résistance apportée par le condamné à se présenter rend improbable qu'il y ait eu erreur : la mort civile est encourue et ses effets se produisent. Seulement elle n'est pas encourue irrévocablement. Le condamné peut encore se présenter et purger sa contumace ; il le peut tant que la prescription de la peine n'est pas acquise. c'est-à-dire pendant vingt ans (article 635 C. d'inst. crim.. S'il se présente et qu'il soit condamné à nouveau, la mort civile restera encourue depuis l'expiration des cinq ans qui ont suivi l'exécution par effigie de la première condamnation. S'il se présente et qu'il soit acquitté ou condamné à une peine n'emportant pas mort civile, il aura cessé d'être mort civilement depuis le moment où il s'est présenté (article 30 C. civ. et 476-2° C. d'inst. crim.). S'il ne se présente pas, la mort civile devient irrévocable; il n'y a même plus place pour la réhabilitation, car, d'après les règles du droit pénal. les condamnés par contumace ne peuvent être réhabilités (article 619 C. d'inst. crim.).

Ce système, établi pour la mort civile par le Code civil et le Code d'instruction criminelle, est il applicable à l'incapacité spéciale de donner et de recevoir qu'a conservée l'article 3 de la loi du 31 mai 1854?

L'affirmative est certaine au cas de condamnation par contumace, car l'article 3 de la loi de 1854 s'exprime ainsi dans sa dernière phrase: « Le présent article n'est applicable au <«< condamné par contumace que cinq ans après l'exécution

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« par effigie. » Le délai de grâce est donc admis pour l'incapacité spéciale comme il l'était pour la mort civile; l'incapacité spéciale n'est encourue, en cas de condamnation par contumace, que cinq ans après l'exécution par effigie.

N'est-ce pas alors que le système tout entier aurait été conservé, c'est-à-dire que, en cas de condamnation contradictoire, l'incapacité spéciale ne serait encourue, conformément àl'article 26 du Code civil, que par l'exécution? D'où la loi de 1854, quoiqu'ayant abrogé par l'abolition de la mort civile les articles 22 et suivants, aurait laissé subsister ceuxde ces articles qui ont trait à la fixation du moment où la peine est encourue1. L'opinion la plus générale est que la loi de 1854 se suffit à elle-même, qu'elle a abrogé complètement les articles 22 à 33, sans en réserver aucun. En cas de condamnation par contumace, elle maintient par une disposition formelle le délai de grâce; en cas de condamnation contradictoire, elle rattache l'incapacité spéciale non à l'exécution de la peine, mais à la condamnation. « Le condamné ne peut disposer de ses « biens», porte la première phrase de l'article 3; et la seconde phrase est encore plus décisive: «< Tout testament par <«<lui fait antérieurement à sa condamnation contradictoire, « devenue définitive, est nul. » Donc l'incapacité spéciale, dans ce cas, est encourue, comme l'interdiction légale et la dégradation civique, le jour où la condamnation est devenue définitive. C'est le droit commun; il redevient applicable depuis l'abolition de la mort civile, puisque rien, dans la loi de 1854, ne déroge à ce droit commun.

Ce n'est pas là le seul point resté douteux; il en est un autre quel est, en cas de condamnation par contumace, l'effet du retour pendant la période qui s'étend depuis l'expiration du délai de cinq ans jusqu'à la prescription de la peine? Si le condamné se présente ou est pris avant l'expiration des cinq ans, il n'a pas encouru l'incapacité spéciale. S'il ne se présente qu'après la prescription de la peine, il a encouru l'incapacité spéciale et il en reste frappé. Que décider s'il se présente pendant la deuxième période, c'est-à-dire après l'expiration des cinq ans et avant la prescription de la peine?

1. C'est à cause de l'éventualité de cette solution que les éditeurs du Code continuent à y faire figurer les articles 22 et suivants. Peut-être, en effet, y a-t-il encore quelque chose à y prendre.

Du temps de la mort civile, avant 1854, deux articles, l'un du Code civil, l'autre du Code d'instruction criminelle, consacraient un système dont le mérite était discutable. L'article 30 du Code civil portait : « Lorsque le condamné par con<«<tumace, qui ne se sera représenté ou qui n'aura été cons<«<titué prisonnier qu'après les cinq ans, sera absous par le << nouveau jugement, ou n'aura été condamné qu'à une peine qui n'emportera pas la mort civile, il rentrera dans la plé<«<nitude de ses droits civils, pour l'avenir, et à compter du jour où il aura reparu en justice; mais le premier juge<<ment conservera, pour le passé, les effets que la mort ci<< vile avait produits dans l'intervalle écoulé depuis l'époque « de l'expiration des cinq ans jusqu'au jour de sa comparu<«<tion en justice. » La même règle est énoncée par l'article 476, 2o du Code d'instruction criminelle.

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Si on applique cette règle à l'incapacité spéciale, la conséquence sera celle-ci : les donations faites depuis l'expiration des cinq ans jusqu'à la réapparition du condamné resteront frappées de nullité, malgré le retour, malgré l'acquittement survenu. Mais c'est un point très contestable. Les articles 30 du Code civil et 476, 2° du Code d'instruction criminelle consacraient une règle contraire au droit commun (article 476, 1° C. d'inst. crim.), règle critiquable et même injuste. Elle n'a pas été formellement maintenue par la loi de 1854 : pourquoi ne pas la regarder comme ayant disparu? Donc, en cas de retour, si l'accusé n'est pas condamné à nouveau ou ne l'est qu'à une peine n'emportant pas l'incapacité spéciale, l'arrêt primitif tombe et l'incapacité n'aura jamais été encourue. C'est l'opinion qui a prévalu'. Si on l'admet, il faut en conclure que les articles 22 à 33 du Code civil ont été abrogés tout entiers par la loi de 1854 et qu'aucun d'eux n'a survécu.

Ce qui résulte de tout cela, c'est que la loi de 1854 n'a pas été suffisamment explicite quant à la fixation du moment où l'incapacité spéciale est encourue. Elle prévoit un cas (article 3 in fine), dans lequel elle reproduit la règle du Code civil. A-t-elle entendu par là maintenir l'ensemble du système? y a là matière à d'interminables discussions.

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1. Valette, Cours de Code civil, I, p. 96; jurisprudence, année 1857, p. 78.

Demante, Revue critique de

CHAPITRE III

DE LA CONDITION DES ÉTRANGERS EN FRANCE
QUANT AUX DROITS CIVILS.

73. Il s'agit de savoir dans quelle mesure les étrangers sont soumis à nos lois, dans quelle mesure ils peuvent en invoquer le bénéfice et, par suite, réclamer les droits reconnus par elles, en d'autres termes quelle est la condition des étrangers comparativement à celle des français.

Le droit s'est beaucoup transformé à cet égard avec le temps. et se transforme manifestement à l'heure actuelle. L'histoire de ces transformations est curieuse et intéressante; c'est tout un aspect de l'histoire de la civilisation. Il en faut prendre seulement ce qui est indispensable à l'intelligence du droit actuel.

Dans l'antiquité, partout à peu près, l'étranger a été exposé aux défiances et à l'aversion; il était traité comme un ennemi et placé hors la loi. L'amour de la patrie, dans les cités antiques, se confond partout avec la haine de l'étranger. Sans parler des peuples qui, comme les Scythes, immolent les étrangers sur les autels de leurs dieux et croient en cela faire œuvre pie, d'une façon générale les cités s'isolent et refusent tout droit aux étrangers. A Rome notamment, on met entre l'étranger et le citoyen une barrière infranchissable: « Adversus hostem æterna auctoritas esto», a-t-on dit pendant longtemps.

Au début des temps modernes, l'époque féodale aggrave encore la condition des étrangers. L'étranger est considéré comme une épave jetée sur la terre féodale: il est serf du seigneur dans le domaine duquel il se trouve.

Dans la suite, le servage, auquel l'usage soumettait l'étranger, se transforme. Les Rois ne reconnaissent plus de serfs dans leur domaine direct; les étrangers échappent au servage seigneurial en se plaçant sous la protection, sous

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