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CHAPITRE V

DE LA FORCE PROBANTE DES ACTES DE L'ÉTAT CIVIL.

135. La force probante d'un acte est le degré d'autorité qui y est attaché, la foi qui lui est due comme instrument de preuve. Il faut distinguer à cet égard les actes inscrits sur les registres et les extraits des registres ou expéditions des actes; il faut indiquer enfin comment on peut suppléer aux uns et aux autres quand ils font défaut.

SECTION I. Autorité des actes inscrits sur les registres.

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136. Les textes ne contiennent rien de spécial quant à eux. Ce silence s'explique si on observe que, dans l'usage, on ne se sert pas des registres pour prouver l'état civil. Les registres sont les archives publiques de l'état civil; en fait, les particuliers se servent non des registres eux-mêmes, mais des extraits des registres ou expéditions des actes, qu'ils se font délivrer et qu'ils produisent quand cela est nécessaire. Il suffisait, dès lors, au point de vue pratique, de régler la force probante des extraits; c'est précisément ce que fait l'article 45.

Cependant l'autorité des extraits ne peut être qu'une suite de celle des actes eux-mêmes et celle-ci doit être préalablement établie pour qu'on puisse régler celle-là. Le droit commun suffit à l'établir.

Les actes inscrits sur les registres sont des actes authentiques. En effet l'article 1317 marque le caractère constitutif des actes authentiques: « L'acte authentique est celui qui « a été reçu par des officiers publics ayant le droit d'ins<«<trumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les « solennités requises. » Or tel est bien le caractère des actes de l'état civil; ils sont reçus par des officiers publics, qui

sont les officiers de l'état civil, et les articles 34 et suivants règlent les solennités requises pour leur rédaction.

Il en résulte, au point de vue qui nous occupe, deux conséquences.

a) D'abord ces actes font pleine foi de ce qu'ils renferment. « L'acte authentique, dit l'article 1319, fait pleine foi de la <«< convention qu'il renferme entre les parties contractantes « et leurs héritiers ou ayants cause. » Si cet article parle des conventions, c'est que, par la place qu'il occupe, il n'a trait qu'aux conventions. D'une façon générale, il faut dire que les actes authentiques font foi de ce qu'ils renferment. Ils font foi, mais sous une réserve à la condition que l'identité de celui qui se prévaut de l'acte ou au nom de qui l'acte est invoqué avec celui dont il est question dans l'acte soit non contestée, ou, en cas de contestation, prouvée. Sous cette réserve qu'il faut toujours sous-entendre, l'acte authentique fait foi.

:

b) Les registres font foi de ce qu'ils renferment jusqu'à inscription de faux, sauf une exception que nous retrouverons tout à l'heure. En effet, c'est là, d'après le droit commun, une prérogative inhérente aux actes authentiques. Elle consiste en deux choses.

1o En ce qu'ils sont tenus pour exacts tant qu'ils ne sont pas attaqués. Ce n'est pas à celui qui s'en prévaut à établir qu'ils sont bons, c'est à celui à qui on les oppose à prouver qu'ils sont faux.

2o En ce qu'ils ne peuvent être attaqués qu'au moyen d'une procédure spéciale organisée dans ce but et qu'on appelle la procédure de l'inscription de faux, dont les formes sont tracées dans les articles 214 et suivants du Code de procédure civile. S'inscrire en faux, au sens usuel du mot, c'est alléguer qu'un acte produit est faux, soit par suite d'un faux commis intentionnellement, soit par suite d'une erreur. Au sens juridique du mot, s'inscrire en faux c'est soutenir cette allégation dans la forme spéciale de la procédure d'inscription de faux. Si le faux a été commis intentionnellement, il y a lieu à une poursuite criminelle; s'il a été commis par erreur, il y a lieu à une poursuite civile d'inscription de faux. En d'autres termes, foi est due aux actes authentiques à moins de preuve contraire et cette preuve contraire ne peut être faite que dans une forme particulière. C'est le plus haut degré de force probante qu'un acte puisse avoir.

Il n'est pas irrationnel de reconnaître cette force probante aux actes de l'état civil, si on observe le caractère de la personne qui les rédige, si on observe en outre toutes les précautions spéciales qui sont prises pour leur rédaction. En outre c'est utile: il est conforme aux exigences de la pratique que l'état des personnes, d'où découle leur condition, par suite leurs droits et leurs obligations, soit établi par des actes ayant une force probante exceptionnelle.

137. La règle est constante: les actes authentiques font foi jusqu'à inscription de faux. C'est une donnée élémentaire. Cependant, dans son application aux actes de l'état civil, elle est complétée par une distinction qui s'est dégagée peu à peu et qui est acceptée sans conteste. Les actes de l'état civil peuvent contenir des énonciations de plusieurs sortes et ils ne font pas également preuve ou foi de toutes.

Les énonciations, à ce point de vue, sont ou peuvent être de trois sortes.

a) Il en est d'abord qui ont un rapport direct avec l'objet de l'acte et se réfèrent à des constatations faites par l'officier de l'état civil lui-même. Il faut y assimiler la conformité de la rédaction avec les déclarations faites, en un mot tout ce que l'officier de l'état civil constate soit de visu soit de auditu. Ces énonciations, qui ne pourraient être attaquées qu'en mettant en doute la parole et la sincérité de l'officier de l'état civil, font foi jusqu'à inscription de faux. Soit par exemple un acte de naissance rédigé conformément à l'article 55. Dès que l'acte a été rédigé, il est acquis: 1° que telles personnes ont comparu, 2° qu'elles ont fait telles déclarations, 3o qu'un enfant a été présenté sous tel nom à la date de l'acte. Tout cela est acquis jusqu'à inscription de faux, car ce sont des faits que l'officier de l'état civil relate parce qu'il a vu ou entendu. Il en est autrement en ce qui concerne le lieu, le jour et l'heure de la naissance; tout cela, l'officier de l'état civil ne le sait que parce qu'on le lui a rapporté.

Deux choses doivent faire présumer qu'il n'y a pas faux : le caractère d'officier public que possède l'officier de l'état civil et la responsabilité qu'il encourrait s'il commettait un faux. Le faux en écriture publique est puni de la peine des travaux forcés à perpétuité (article 145 C. pén.).

b) Une seconde catégorie d'énonciations comprend celles qui ont encore un rapport direct avec l'objet de l'acte, mais

qui, au lieu de se référer aux constatations faites par l'officier public, se réfèrent à des déclarations qui lui ont été faites par les déclarants ou comparants. Que la déclaration ait été faite, qu'elle ait été exactement reproduite, cela est prouvé jusqu'à inscription de faux, car on ne pourrait le contester qu'en mettant en doute la véracité de l'officier de l'état civil. Mais le fait déclaré, l'exactitude de ce fait sont-ils acquis avec la même certitude? Non, car les mêmes garanties n'existent plus. Le premier venu peut se présenter et faire la déclaration, qui est acceptée telle quelle. Si le déclarant altère la vérité, il est passible, selon les cas, de la réclusion (article 345 C. pén.) ou des peines du faux témoignage (article 363 C. pén.). D'ailleurs, sans être coupable, il peut s'être trompé. Alors ces énonciations font foi non plus jusqu'à inscription de faux, mais seulement jusqu'à preuve contraire, preuve qui peut être fournie dans n'importe quelle forme et n'importe com

ment.

Par exemple, un acte de décès est dressé concernant une personne. Cette personne se présente et son identité n'est pas contestée, ou, si elle est contestée, elle est établie ; il est bien clair que l'intéressé n'a rien de plus à faire pour prouver qu'il n'est pas mort: l'acte perd sa force probante. La simple preuve contraire suffit, sans l'emploi de l'inscription de faux. Il n'en faudrait pas davantage pour faire tomber les indications fournies par un acte de naissance sur le lieu, le jour et l'heure de la naissance. D'une façon générale, la preuve contraire suffit toutes les fois qu'en attaquant l'acte on met en question non la véracité de l'officier de l'état civil, mais celle des déclarants ou comparants.

Ici apparaît manifeste l'intérêt des observations présentées plus haut sur les articles 55 et 77, à propos du procédé de constatation usité pour les naissances et décès. Quand la loi prescrit qu'une constatation soit faite par l'officier de l'état civil lui-même et y attache une autorité spéciale, il n'est pas admissible que la constatation puisse être faite par un autre que par l'officier de l'état civil; les prévisions de la loi, qui fixe en conséquence la foi que mérite l'acte, seraient trompées.

c) Il existe enfin une troisième sorte d'énonciations: celles qui n'ont pas un rapport direct avec l'objet de l'acte, mais qui peuvent y avoir été insérées à tort. L'article 35 prohibe

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ces énonciations, mais il est possible qu'il s'en trouve dans les actes. Quant à elles, l'acte ne fait pas foi; elles tombent devant la seule dénégation des intéressés.

La règle est logique. Dès que ces énonciations n'ont pas de rapport direct avec l'objet de l'acte, il est admissible, vraisemblable et probable que ni l'attention de l'officier de l'état civil, ni celle des déclarants ou des témoins ne s'est portée spécialement sur elles; rien n'autorise donc à les tenir comme avérées. Soit par exemple un acte de naissance constatant que l'enfant a été présenté vivant et viable. L'officier de l'état civil n'a pas mission de faire cette constatation, qui perd toute valeur devant une simple dénégation; les intéressés ne peuvent donc s'en prévaloir pour soutenir que l'enfant est né vivant et viable (article 725).

138. Telle est la foi due aux actes inscrits sur les registres: les énonciations qu'ils contiennent font foi tantôt jusqu'à inscription de faux, tantôt jusqu'à preuve contraire, tantôt enfin sauf dénégation.

Cette autorité, les actes inscrits sur les registres la possèdent quand les registres ont été régulièrement tenus et rédigés. L'ont-ils aussi quand les registres sont mal tenus, quand les actes sont mal rédigés? Oui, en principe; car, nous l'avons déjà dit, les formalités relatives à la tenue des registres et à la rédaction des actes ne sont pas prescrites à peine de nullité. Les nécessités de la pratique veulent qu'il en soit ainsi. Toutefois, il y a une limite où l'irrégularité cesse d'ètre tolérée. Il est évident que l'absence des formes affaiblit l'autorité et l'irrégularité peut être telle qu'elle détruise cette autorité'.

SECTION II. Autorité des extraits des registres.

139. Les registres de l'état civil sont publics en ce sens que toute personne peut exiger qu'il lui soit délivré copie ou expédition des actes qui y sont inscrits. Ces copies sont ce qu'on appelle les extraits des registres. « Toute personne, dit l'ar<«ticle 45, pourra se faire délivrer par les dépositaires des re«gistres de l'état civil des extraits de ces registres. » Le texte

1. Cass. 28 nov. 1876, D. P. 1877.1.367, Sir. 1877.I.172.

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