Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II

DROIT SPÉCIAL AUX MILITAIRES.

197. Les pages qui précèdent contiennent l'analyse des textes du Code civil relatifs à l'absence. Nous avons dit dès le début qu'à côté et en outre des règles du Code civil, qui forment le droit commun en cette matière, il existe des règles spéciales qui y dérogent en quelques points et forment un droit d'exception. Elles ont trait à l'absence des militaires et des personnes attachées au service des armées. Quelques brèves explications sont nécessaires sur ce point.

C'est surtout à la suite des guerres que les cas d'absence se produisent. Les hasards de la vie des camps exposent davantage aux disparitions inexpliquées. Des soldats qui sont portés comme disparus, les uns sont morts sans que leur identité ait été constatée et l'acte de décès dressé, les autres, arrêtés par la maladie ou par toute autre cause, se fixent ensuite là où ils ont été recueillis, d'autres enfin sont des déserteurs et se fixent soit à l'étranger, soit en France loin de leur domicile. Ce sont autant de cas d'absence.

Le système du Code civil quant aux suites de l'absence n'est plus alors pleinement applicable. D'une part, les formalités nombreuses qu'il prescrit, l'incertitude prolongée qu'il maintient se comprennent quand il s'agit de cas isolés, mais seraient une complication trop grande quand les cas d'absence s'accumulent nombreux à la fois. D'autre part, soit à raison de l'abréviation des formalités, soit à raison de l'intérêt plus particulier que les circonstances inspirent, il y a lieu de veiller plus scrupuleusement à l'intérêt des personnes disparues. De là quelques règles spéciales écrites en vue de ces cas. A la suite de toutes les grandes commotions internationales, il en a été porté. Elles sont de deux sortes. Les unes sont des règles de forme; elles ont trait aux formalités à remplir pour constater l'absence et arriver à la déclaration. Les

autres sont des règles de fond; elles ont trait aux effets mêmes et aux suites de l'absence. Nous laisserons de côté celles qui sont contenues dans des lois de circonstance et transitoires, rendues en vue et par suite d'événements déterminés 1, pour signaler seulement celles qui sont encore actuellement en vigueur; elles résultent de quatre lois2.

198. La première est la loi du 13 janvier 1817,sur le moyen de constater le sort des militaires absents. D'après l'article 1, cette loi ne devait s'appliquer qu'aux militaires et marins disparus, sans que leur décès ait été constaté, du 21 avril 1792 au 20 novembre 1815. Ces deux dates sont celles du commencement et de la fin des grandes guerres de la Révolution et de l'Empire : la déclaration de guerre eut lieu à la suite du manifeste de Brunswick, la signature de la paix à la suite de Waterloo. Dans ces limites, la loi de 1817 est toujours applicable aux personnes disparues à cette époque, s'il y a intérêt à constater leur absence, ce qui devient de plus en plus rare.

199. Une loi plus récente, du 9 août 1871, a donné une importance nouvelle à la loi de 1817 en la déclarant applicable aux personnes disparues par suite de faits de guerre du 19 juillet 1870 au 31 mai 1871. Ces deux dates sont celles du commencement et de la fin du drame de 1870-71. L'article 1 est ainsi conçu: « Les dispositions de la loi du 13 janvier 1817 sont << remises en vigueur pour constater judiciairement le sort « des français ayant appartenu aux armées de terre et de «mer, à la garde nationale mobile ou mobilisée, à un corps «< reconnu par le ministère de la guerre, qui ont disparu depuis le 19 juillet 1870 jusqu'au traité de paix du 31 mai « 1871. » C'est l'application pure et simple de la loi de 1817 à un cas nouveau. Mais le législateur de 1871 ajoute: <<< Les << mêmes dispositions pourront être appliquées par les tribu«naux à tous autres français qui auraient disparu dans le « même temps, par suite de faits de guerre. » C'est là une disposition nouvelle; la loi de 1817 était exclusivement spé

((

1. Ainsi, pour les militaires et marins s'étant trouvés en activité de service du 21 avril 1792 au 20 novembre 1815, voy. les lois du 6 brumaire an V et du 21 décembre 1814, ainsi que l'ordonnance du 3 juillet 1816.

2. Avant d'énumérer ces lois, il est bon de rappeler qu'elles visent des cas dans lesquels la constatation du décès est facilitée par les articles 88 et suiv.du Code civil, modifiés en 1893. La preuve du décès exclut, bien entendu, l'application des lois qui vont être citées; elles ne sont applicables que si l'acte de décès n'a pas été dressé.

ciale aux militaires et aux personnes attachées au service des armées; plus large, celle de 1871 est applicable à tous les français ayant disparu par suite de faits de guerre; seulement l'application est discrétionnaire.

Nous ne saurions entrer dans le détail de cette loi qui forme un droit spécial; il suffit de signaler les dispositions les plus importantes. La plupart sont relatives aux formalités à remplir pour faire déclarer l'absence; elles sont plus simples, plus expéditives que celles du Code civil. C'est ainsi notamment que l'absence, aux termes de l'article 4, peut être déclarée deux ans ou quatre ans après les dernières nouvelles, suivant les cas. C'est une dérogation au droit commun des articles 115, 119 et 121, qui n'admettent la déclaration d'absence que deux ou onze ans après les dernières nouvelles. Si le législateur de 1817 se contente d'un délai moindre, c'est que la mort est rendue probable par ce fait que la disparition a eu lieu en temps de guerre1.

200. Les lois de 1817 et 1871 sont les deux premières des quatre lois annoncées relativement à l'absence des militaires. Les deux autres lois sont d'une pratique moins fréquente peut-être, mais elles ont une portée plus grande quand il y a lieu de les appliquer. L'une et l'autre sont antérieures au Code civil; mais, comme ce sont des lois spéciales, elles n'ont pas été abrogées par lui et ne l'ont pas été davantage depuis 1804 elles sont encore regardées comme en vigueur. Ce sont celles des 11 ventôse an II (1er mars 1794) et 16 fructidor an II (2 septembre 1794). Elles concernent les successions qui viendraient à s'ouvrir au profit de défenseurs de la patrie depuis leur disparition, hypothèse prévue par les articles 135 et 136 du Code civil.

Les deux lois citées, non abrogées par le Code civil, rendent inapplicables les articles 135 et 136 du Code. D'après le droit commun, tel qu'il résulte de ces deux articles, toute succession ouverte, à laquelle est appelé un individu dont l'existence n'est pas reconnue, est dévolue exclusivement à ceux avec lesquels cet individu aurait eu le droit de concourir ou à ceux qui auraient recueilli la succession à son défaut, sauf à revenir plus tard sur la liquidation faite, s'il y

1. Les articles 1 et 5 de la loi de 1817 autorisent formellement les intéressés non seulement à faire déclarer l'absence, mais à faire constater judiciairement le décès lorsque celui-ci n'est pas établi par un acte en forme. Les dispositions de ces deux articles ont disparu depuis la mise en vigueur des nouveaux articles 88 et suivants du Code civil (rédaction de 1893).

a lieu. Or les deux actes de l'an II ne permettent pas aux héritiers présents d'exclure les défenseurs absents de la patrie sous prétexte de l'incertitude de leur existence; leur part est faite et mise en réserve jusqu'à nouvel ordre. Quand une succession s'ouvre, dans laquelle un défenseur de la patrie a des droits à prétendre, le juge de paix doit en donner avis au ministre de la guerre; un mois après, si le militaire ne se fait pas représenter, un conseil de famille est convoqué et nomme un curateur qui prend en mains les intérêts de l'absent, suit la liquidation et administre au nom de l'absent les biens mis dans son lot.

Ces règles sont applicables aux successions ouvertes pendant la période de présomption d'absence. Une fois la déclaration d'absence intervenue, le droit commun des articles 135 et 136 redevient applicable; l'absence produit tous les effets qui y sont attachés par le Code. Il n'y est dérogé que pendant la période provisoire, celle qu'on appelle, depuis le Code civil, la présomption d'absence. Ce n'est pas dit dans la loi; mais, comme la loi de 1817 permet de déclarer l'absence et comme il n'est dit nulle part que la déclaration, prononcée dans les conditions prévues par la loi de 1817, ne produit pas tous les effets indiqués par le Code, on en conclut que les deux actes de l'an II ont en définitive pour effet de suspendre l'application des articles 135 et 136 au profit des militaires qui ont disparu, c'est-à-dire qui sont en état d'absence présumée; rien n'indique qu'il faille étendre l'effet des actes de l'an II aux militaires dont l'absence a été régulièrement déclarée.

En résumé, les dispositions du Code sur l'absence et ses suites s'appliquent seulement aux biens que possédait le militaire absent au jour de son départ et aux successions ouvertes avant son départ et non encore liquidées. Les successions ouvertes à son profit depuis son départ doivent être mises en réserve. L'absence des militaires doit être déclarée d'après les règles du Code, sauf pour ceux auxquels s'appliquent les lois de 1817 et de 1871.

201. Tel est le droit spécial en matière d'absence et nous arrêtons là les développements relatifs à l'absence. Nous avons, en effet, annoncé le dessein de n'exposer pour le moment que les règles générales; les applications seront examinées plus tard à propos du mariage, de la tutelle, des successions, du contrat de mariage.

TITRE V

DU MARIAGE

202. Avec le titre V (articles 144 à 228), nous allons entrer dans un nouvel ordre de faits et d'idées. Il sera encore question des personnes, puisqu'elles sont l'objet de tout le livre I du Code civil. Jusqu'ici, nous les avons envisagées comme individus isolés: c'est l'individu, comme tel, qui est français ou étranger, qui jouit ou est privé de ses droits civils, qui a un état civil et un domicile, dont l'existence est certaine ou qui est absent. Les quatre premiers titres du livre I forment le droit de l'individu ; ils sont relatifs aux éléments constitutifs de l'individualité dans la cité et dans l'Etat. Désormais, nous allons envisager les personnes non plus comme individus, mais comme membres d'une famille, au point de vue des rapports de famille, des droits et des obligations qui en découlent. Les titres V à X du livre I forment le droit de famille, sont relatifs aux éléments constitutifs de la famille. Le titre V est relatif au mariage, le titre VI, qui n'est que l'annexe et la suite du précédent, s'occupe du divorce, le titre VII de la filiation, le titre VIII de l'adoption: c'est la constitution, l'établissement des rapports de famille. Vient ensuite le titre IX, qui traite de la puissance paternelle, le titre X de la tutelle, dont il faut rapprocher la portion du titre V (articles 212 et suivants) relative à l'autorité maritale: c'est l'organisation de l'autorité dans la famille. L'ensemble forme le droit de famille.

Le centre du sujet, c'est le titre VII, qui traite de la filiation, c'est-à-dire du rapport qui rattache l'enfant à ses père et mère (paternité, maternité) et, par l'intermédiaire des père

« PreviousContinue »