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dre à l'observation de la loi ceux qui se refusent à admettre la légitimité du mariage civil, soutenant que le mariage ne peut résulter que du sacrement, que la formation du mariage est une matière réservée, dont la loi civile n'a pas à s'occuper. 207. Tel a été le dessein du législateur en écrivant l'article 54 de la loi de germinal ainsi que les articles 199 et 200 du Code pénal. On ne peut pas nier que ces dispositions n'engendrent des inconvénients très sérieux.

D'abord, elles font intervenir la loi civile dans les pratiques du culte, ce qui est contraire aux principes; les articles 199 et 200 subordonnent à une condition civile le sacrement de mariage, ce qui n'est pas du ressort de la loi civile. Il y certainement une atteinte à l'indépendance de l'Eglise.

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D'autre part, les dispositions dont il s'agit ont fait naître, en pratique, une difficulté dont on a grand'peine à sortir : qu'arrive-t-il si l'un des conjoints, marié civilement, refuse de laisser consacrer l'union au point de vue religieux ? Cela s'est vu, car tout se voit dans la vie réelle; cela s'est même vu assez fréquemment à certaines époques. Assurément c'est un acte d'indélicatesse coupable au premier chef; quand on a sur ces questions une opinion assez absolue pour être exclusive, la plus vulgaire probité commande de ne pas la laisser ignorer, de ne pas l'émettre seulement après la célébration civile du mariage. La liberté de conscience n'est possible que si on a le respect des convictions d'autrui. Mais, si clair que soit le devoir, cela ne suffit pas à en assurer l'exécution. Et alors que faire ?

On a essayé de trouver un remède dans la séparation de corps ou le divorce, considérant comme une injure grave la pensée d'arriver à la cohabitation sans que l'Église soit intervenue. Mais nous verrons ailleurs que rien ne justifie cette idée. Le remède est insuffisant.

On en a proposé deux autres, dont l'un consisterait à subordonner la validité du mariage civil au mariage religieux quand il est dans l'intention des parties d'y faire procéder. Dans un second système on fait observer que tout le monde aujourd'hui connaît la nécessité de recourir au mariage civil et que par conséquent les articles 199 et 200 du Code pénal ont perdu leur utilité. On conclut qu'il faut rendre la liberté aux parties, en leur permettant de faire bénir leur union avant ou après le mariage civil. La loi n'aurait plus, de la

sorte, à se préoccuper du refus de procéder à la célébration religieuse du mariage, puisqu'elle ne serait plus pour rien dans ce refus.

Quoi qu'on pense de ces remèdes, les articles 199 et 200 du Code pénal sont toujours en vigueur, soulèvent des critiques et font naître des embarras. Cependant, beaucoup pensent qu'il y aurait un danger réel, qui ne serait pas compensé par un grand avantage, à abroger l'article 54 de la loi de germinal ainsi que les articles 199 et 200 du Code pénal. Un fait le prouve. En Belgique, ces textes ont été abrogés en 1815 et il a fallu les remettre en vigueur en 1830, du consentement même de ceux qui en avaient demandé, quinze ans plus tôt, l'abrogation. Il y a en effet une doctrine qui soutient que le mariage résulte et ne peut résulter que du sacrement, qui repousse l'idée du mariage civil, c'est-à-dire l'idée d'un mariage existant, fût-ce au point de vue civil, en dehors du sacrement. Sous l'influence de cette doctrine, il arriva en Belgique, de 1815 à 1830, que beaucoup de personnes ne firent plus célébrer leur union que par les ministres du culte ; ce mariage n'était aux yeux de la loi qu'un concubinage; les enfants n'étaient que des bâtards: il en résulta un trouble, qui motiva la réaction de 1830.

La doctrine signalée est toujours énergiquement soutenue et il est permis de se demander si l'abrogation des articles 199 et 200 du Code pénal n'aurait pas chez nous l'effet qu'elle a eu en Belgique, de sorte qu'il faudrait revenir à ces textes. Presque toutes les législations de l'Europe y arrivent ou y sont arrivées à l'heure actuelle '.

208. N'insistons pas davantage sur ce point, à propos duquel se perpétue le conflit entre la loi civile et la tradition

1. En Italie notamment, de graves difficultés sont résultées de ce fait que le mariage religieux peut être célébré antérieurement au mariage civil. Lorsqu'un officier veut épouser une jeune fille qui n'a pas la dot exigée par la loi militaire de 1871, il se marie religieusement en attendant que les circonstances permettent de régulariser cette union légitime sinon légale. Les mariages de cette espèce se sont produits assez souvent pour que le législateur s'en soit ému. Une proposition de loi a été déposée pour autoriser le Roi à dispenser les officiers ainsi mariés des prescriptions légales relatives à la dot réglementaire, afin qu'ils puissent se marier civilement. Voy. la Revue du droit public et de la science politique, 1895, 2o semestre, p. 521 à 523. La proposition a sans doute été adoptée, car un journal annonçait récemment la nouvelle suivante: « A l'occasion des fêtes de la prise de Rome, le Roi a accordé une amnistie à tous les officiers qui se trouvaient dans cette situation; ils ont pu se marier civilement, sans la dot réglementaire (Journal des Débats du 18 avril 1896). »

le

catholique. L'essentiel est d'avoir dégagé le principe que mariage n'est plus, dans notre droit, qu'un contrat civil: civil quant à ses effets, ce qui a toujours été admis, civil aussi quant à sa formation, ce qui est l'idée fondamentale du mariage civil.

Toutefois, si le mariage n'est plus qu'un contrat civil, il est du moins un contrat d'une importance particulière. De là la réglementation très stricte dont il est l'objet. Elle est contenue dans les titres V et VI du livre I du Code. Nous allons étudier ces règles en nous occupant successivement: 1o des conditions requises pour le mariage, tant au fond qu'en la forme, 2o des effets qu'il produit, des conséquences qu'il entraîne, 3o de la dissolution du mariage. C'est à l'une des causes de dissolution, au divorce, qu'est consacré le titre VI ; par là il ne fait qu'un avec le titre V.

CHAPITRE I

DES CONDITIONS REQUISES POUR LE MARIAGE.

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209. C'est à peu près ainsi qu'est intitulé le chapitre I du titre V: Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage. Il en faut rapprocher les chapitres II, III et IV: Des formalités relatives à la célébration du mariage, — Des oppositions à mariage, Des demandes en nullité de mariage. En effet, à propos des conditions requises, nous aurons à rechercher deux choses. Nous nous demanderons en premier lieu quelles sont les conditions de fond, c'est-à-dire d'aptitude personnelle ou de capacité matrimoniale: c'est l'objet du chapitre I; puis quelles sont les conditions de forme c'est l'objet du chapitre II. En second lieu, nous rechercherons sous quelle sanction chaque condition est exigée ; les unes le sont sous la sanction préventive de l'opposition: c'est l'objet du chapitre III; les autres le sont sous la sanction répressive de la nullité : c'est l'objet du chapitre IV.

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210. Les considérations qui les expliquent toutes sont les suivantes. Le mariage n'est pas, comme la plupart des contrats, un acte simplement privé, individuel dans ses effets. Sans doute il intéresse principalement et avant tout les parties contractantes, les époux : c'est, en définitive, l'acte décisif de la vie, c'est, comme on l'a fort bien dit, le moyen le plus complet de se rendre ici-bas heureux ou malheureux. Mais il intéresse en outre les familles respectives des deux époux. Si la famille a une réalité, elle a le droit d'intervenir, car le mariage crée des rapports d'alliance. L'alliance est un effet du mariage: elle est le lien qui se forme entre chacun des deux époux et les parents de l'autre, chaque époux ayant pour

alliés, par suite du mariage, les parents de son conjoint. Si la vraie famille ne comprend que les parents, les alliés, quoiqu'à un autre titre, y occupent une place; donc la famille a son mot à dire, au moins dans une certaine mesure. Indirectement, si des enfants naissent du mariage, ils seront parents des parents des deux conjoints, membres des deux familles. Enfin le mariage intéresse au plus haut point la société tout entière, car il est banal de dire que l'ordre et la prospérité du pays découlent de l'ordre et de la prospérité qui règnent dans les familles. Il n'est pas besoin de démontrer que les règles relatives à la position de la femme et au divorce ont une importance sociale de premier ordre. Non seulement le mariage a une importance exceptionnelle par l'étendue de ses effets, mais on peut ajouter sans exagération qu'il est de tous les contrats celui à propos duquel on est exposé à faire le plus de folies à raison des entraînements qu'il éveille, de sorte que l'importance et le danger de ce contrat sont également exceptionnels.

Au point de vue législatif, la question qui domine le sujet est celle-ci : dans la réglementation de ce contrat, quelle part faut-il laisser à la liberté individuelle, quelle part d'influence faut-il réserver à la famille, dans quelle mesure la société a-t-elle le droit d'intervenir? De là les prescriptions de la loi, les conditions au moyen desquelles elle espère garantir le triple intérêt engagé dans le mariage.

211. Ces conditions sont de trois sortes; elles peuvent être rangées en trois catégories. Pour que le mariage puisse être contracté et soit valable, il faut trois choses.

1° Il faut que les conjoints réunissent certaines qualités ou conditions personnelles. C'est à eux d'en justifier; ils doivent à cet effet produire à l'officier de l'état civil les pièces qui les établissent et l'acte de mariage doit mentionner les pièces qui établissent que les conditions requises sont réunies (article 76), afin que l'acte qui prouve la célébration porte en lui-même la preuve de la validité du mariage, dans l'intérêt de la stabilité du mariage. Ce sont là les vraies conditions positives à remplir; elles constituent la capacité matrimoniale.

2° Il faut que les conjoints ne soient dans aucun des cas d'empêchement prévus. Ce sont encore des conditions, si l'on veut, des conditions négatives, des obstacles; mais l'idée est

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