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veur, une concession octroyée après examen des titres et selon les circonstances. Il ne suffit pas que celui qui la sollicite remplisse les conditions exigées par la loi ; il faut, en outre, que l'autorité compétente, après appréciation des titres, estime convenable, opportun de l'accorder. En un mot elle est une faveur; elle peut être sollicitée et obtenue, jamais exigée; elle est un acte souverain et discrétionnaire de la puissance publique. C'est ce qu'indique suffisamment l'alinéa final de l'article 8 (rédaction de 1889): « Il est statué par dé<<cret sur la demande de naturalisation, après une enquête « sur la moralité de l'étranger. >>

Tout autre est la naturalisation de faveur, ou privilégiée, qu'on appelait dans le vieux style naturalisation par le bienfait de la loi ou par l'effet de la loi. Ce qui la caractérise et la sépare nettement de la précédente, c'est qu'aucun pouvoir gracieux n'est appelé à concéder ou à refuser le titre qui en résulte, c'est que l'acquisition de la qualité de français ou bien s'opère de droit, ou bien n'est subordonnée qu'à l'accomplissement par l'étranger de certaines formalités fixées par la loi et qu'il dépend de lui d'accomplir. Il devient alors français, non par suite d'une faveur qui lui est faite, ce qui impliquerait qu'elle pourrait être refusée, mais par suite d'un droit que la loi lui donne sous la seule condition qu'il

en use.

On comprend, en effet, que certains étrangers soient dans une situation particulièrement favorable, dans une position telle que leur droit à l'acquisition de la nationalité française soit a priori regardé comme incontestable. Dès lors, l'intervention d'un pouvoir gracieux est inutile; la loi elle-même concède la naturalisation, la soumettant seulement à certaines formalités dont l'accomplissement est potestatif, c'est-à-dire qu'il dépend des intéressés de les accomplir ou non. C'est en cela que cette naturalisation est privilégiée; c'est pour cela qu'on l'appelait jadis naturalisation par le bienfait de la loi ou par l'effet de la loi : elle est acquise par concession directe de la loi, par cela seul que celui qui l'invoque remplit certaines formalités qu'il dépend de lui de remplir. La loi de 1889 a peut-être eu tort de l'appeler naturalisation de faveur, puisque c'est précisément celle qui implique non l'obtention d'une faveur, mais l'exercice d'un droit. Ce qui explique cette dénomination, c'est que la naturalisation dont il s'agit

ne peut être invoquée que dans certains cas exceptionnels et constitue dès lors une faveur de la loi au profit des étrangers qui en bénéficient, car elle les soustrait au droit commun. A cette différence de fond entre les deux naturalisations correspond une différence de forme. Dans la naturalisation ordinaire, la qualité de français est conférée par le décret de naturalisation, elle ne l'est que par le décret et à la date du décret, qui seul fait preuve. Dans la naturalisation de faveur, il n'y a pas de concession gracieuse; l'acquisition de la qualité de français résulte du seul accomplissement des formalités prévues; elle se produit à la date de cet accomplissement. Quelquefois un acte est dressé, qu'on appelle une lettre de naturalité, une déclaration de naturalité; mais, à l'inverse du décret de naturalisation, ce n'est pas un acte qui confère la qualité de français ; il en constate seulement l'acquisition antérieure et cette acquisition pourrait, en cas de contestation, être prouvée par tout autre moyen de preuve1.

La différence est donc apparente entre les deux premières espèces de naturalisations.

Quant à la troisième, elle a un caractère qui la sépare si complètement des deux autres qu'aucune confusion n'est possible. En un sens, elle se rapproche de la naturalisation ordinaire, puisqu'elle suppose comme celle-ci un décret, ce qui implique qu'elle peut être refusée. Par là, elle se sépare absolument de la naturalisation de faveur, qui est un droit. Elle constitue une sorte de naturalisation distincte pour deux raisons: d'abord elle ne peut intervenir que dans l'hypothèse spéciale où celui qui la demande est un ex-français, ensuite elle est soumise à des conditions qui lui sont spéciales et qui ne sont pas celles de la naturalisation ordinaire.

27. Après avoir ainsi fixé le caractère distinctif des trois espèces de naturalisations, il faut les reprendre séparément, afin d'établir pour chacune les conditions de fond et de forme qu'elle exige et les effets qu'elle produit.

A) Naturalisation ordinaire.

28. Il faut répéter qu'elle forme le droit commun; c'est le mode d'acquisition de la qualité de français pour les étrangers qui ne sont pas dans un des cas exceptionnels permet

1. Cass. 28 avril 1851, D. P. 1851. I. 174.

tant de recourir soit à la naturalisation par bienfait de la loi, soit à la naturalisation par réintégration. Elle est une concession discrétionnaire de la puissance publique, octroyée selon les circonstances, après appréciation des titres de celui qui la sollicite, en un mot une faveur.

Voici quels en sont les conditions et les effets.

29. Depuis la loi de 1889, qui a résumé en cela des distinctions successivement introduites par les lois portées de 1804 à 1883, les conditions varient selon les cas. Les distinctions sont nombreuses et le sont même à l'excès. Il n'y a que deux points qui restent réglés toujours de même ; ils sont relatifs à la forme. Le premier concerne la nécessité d'un décret (article 8 in fine, rédaction de 1889). Le second concerne la procédure : forme de la demande, pièces à y joindre, instruction de l'affaire ; la loi de 1889 renvoie pour cela à un règlement d'administration publique (article 5) : c'est le décret du 13 août 1889, dont il faut lire les articles 2 et suivants.

Quant aux conditions de fond, elles varient selon les cas'. Voici les distinctions faites; les motifs qui les expliquent sont assez apparents pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister. Il y a quatre cas à prévoir.

1er Cas. De droit commun, l'étranger doit, pour obtenir la naturalisation, remplir deux conditions.

a) Avoir préalablement obtenu l'autorisation d'établir son domicile en France; c'est un premier moyen de contrôle 2.

b) Avoir résidé en France pendant trois ans à partir de l'enregistrement de la demande en autorisation de domicile. C'est un stage que l'on exige. Pendant longtemps il a été de dix ans ; la loi de 1867 l'a réduit à trois ans et la loi de 1889 a maintenu ce délai. On exige ce stage afin que l'étranger témoigne de la persistance de son intention, de son attachement au pays (article 8, 2o partie, 5o, no 1).

1. Toutefois on admet communément l'existence d'une condition de fond qui serait commune à tous les cas de naturalisation ordinaire et serait la suivante : nul étranger ne peut être naturalisé français s'il n'est majeur. La loi de 1889 ne le dit pas formellement, mais les travaux préparatoires prouvent que le législateur a entendu admettre cette règle; ils paraissent prouver aussi que la majorité requise ne doit pas être déterminée d'après la loi française, mais d'après la loi nationale de l'étranger. Voy. Le Sueur et Dreyfus, La nationalité, p. 69 et suiv., Weiss, Traité théorique et pratique de droit international privé, I, p. 310 et suiv.

2. Nous étudierons cette autorisation de domicile sous l'article 13 et ne pouvons ici que la signaler au passage à propos de l'une des applications qu'elle reçoit.

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2e Cas. Dans deux hypothèses, la durée du stage est abaissée à une année, l'admission à domicile restant d'ailleurs nécessaire. Pendant longtemps, on a appelé cette naturalisation, dans laquelle le stage est abrégé, naturalisation extraordinaire et l'expression est satisfaisante, puisque, d'après l'article 5 de la loi de 1889, la naturalisation de droit commun est appelée ordinaire. Voici quelles sont les deux hypothèses.

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La première est prévue par l'article 8, 2° partie, 5o, no 3 : << Les étrangers admis à fixer leur domicile en France peuvent «< être naturalisés après un an, s'ils ont rendu des services importants à la France, s'ils y ont apporté des talents dis« tingués ou s'ils y ont introduit soit une industrie, soit des <«< inventions utiles, ou s'ils ont créé soit des établissements <«< industriels ou autres, soit des exploitations agricoles, ou « s'ils ont été attachés, à un titre quelconque, au service mi«<litaire dans les colonies et les protectorats français. » Il y a là des faits qui marquent l'opportunité et affirment la légitimité de la demande, qui expliquent l'abréviation du stage. La seconde est prévue par le même article, 2e partie, 5o, no 4 : « L'étranger qui a épousé une française peut être natu« ralisé après une année de domicile autorisé. » Par l'effet du mariage, la femme a suivi la nationalité de son mari (article 19). Si, par l'influence de la femme, par suite de relations de famille ou d'intérêts, l'étranger veut devenir français, on abrège pour lui le stage.

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3 Cas. D'autres fois, l'autorisation de domicile n'est plus nécessaire, mais le stage le reste. L'autorisation de domicile, qui était de rigueur jusqu'en 1889, a cessé d'être exigée depuis lors pour les étrangers résidant en France depuis dix ans. L'article 8 (2o partie, 5o, no 2) dit en effet : peuvent être naturalisés «<les étrangers qui peuvent justifier d'une rési«<dence non interrompue pendant dix années ».

C'est l'introduction pour la France continentale de ce que le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et la loi de 1867 avaient admis pour l'Algérie. D'après la Constitution du 14 février 1852, le Sénat était chargé de régler, au moyen de sénatus-consultes, la constitution de l'Algérie et des colonies (article 27). Par application de cet article, un sénatus-consulte du 14 juillet 1865 régla l'état des personnes et les conditions de la naturalisation des étrangers fixés en Algérie. On considéra, tenant

compte de l'intérêt et des besoins de la colonisation, que les exigences de la loi de 1849 étaient excessives pour l'Algérie, qu'il était de bonne politique d'admettre plus facilement à la nationalité française les étrangers venant se fixer en Algérie. De là les deux dispositions principales de ce sénatus-consulte quant à la naturalisation.

a) La durée du stage est abrégée; il était de dix ans d'après la loi de 1849 et ne sera pour l'Algérie que de trois ans (article 3 du sénatus-consulte). Introduit ainsi en 1865, le délai de trois ans a passé dans la loi de 1867 et de là dans celle de 1889.

b) Le point de départ du stage est autrement fixé. La loi de 1849 faisait partir le stage de l'admission à domicile; il aura pour point de départ, en Algérie, le fait seul de l'établissement, indépendamment de toute autorisation et la résidence sera constatée par un acte de notoriété (article 3 du sénatusconsulte).

La raison donnée de cette particularité est la suivante. Quand un colon s'établit, il ne sait ce qu'il adviendra de son établissement; il ne songera à demander la naturalisation que quand cet établissement sera prospère; pourquoi alors exiger de lui qu'il ait fait dès le début une démarche dont l'opportunité ne sera acquise que plus tard? C'est ce que dit l'exposé des motifs de la loi de 1867: « L'étranger qui s'éta«blit en France participe, dès l'origine de son séjour, aux << avantages que la civilisation française offre à tous les habi«tants du territoire; il ne demande en quelque sorte par la << naturalisation que la continuation et l'irrévocabilité de ce «bienfait. Le colon étranger qui se résout à porter en Afrique <<< son activité et sa fortune court une chance et rend à la <«< France un service. N'est-il pas légitime que les formalités préalables à l'adoption soient simplifiées là où l'épreuve <«<est réellement méritoire et l'exemple particulièrement <«<< utile ?>>

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La même situation peut se produire en France; aussi la loi de 1889 a généralisé. Mais alors on a allongé le stage, revenant à l'ancien stage de dix ans : dix ans de résidence effective valent trois ans de domicile autorisé.

4o Cas.

C'est celui où il n'est besoin ni de l'autorisation

1. D. P. 1867.IV.71.

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