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APPENDICE

DE LA DETTE ALIMENTAIRE.

366. Le Code y consacre les articles 205 à 211. Ces textes contiennent des dispositions réglementaires dont l'intérêt pratique est assez grand, dont l'importance doctrinale est minime; nous allons y chercher rapidement en quoi consiste la dette alimentaire, par qui et à qui elle est due, quelle en est la quotité, comment et sous quelle forme elle doit ou peut être acquittée.

367. En principe, l'adulte, c'est-à-dire l'individu arrivé à son développement complet, n'a aucun droit contre personne : ni contre la famille, ni contre la société ; il a lui-même la responsabilité de son existence. Toutefois on a toujours considéré que certaines circonstances, tantôt momentanées, tantôt permanentes, par exemple les maladies, les infirmités, la vieillesse, quand elles sont accompagnées d'indigence, peuvent replacer l'adulte sous le régime de la protection due. De là la dette alimentaire, ou d'assistance, devoir de famille, dont la loi fixe l'étendue et la limite. Assister ses proches dans le besoin est un devoir vulgaire. Ce n'est, en principe, qu'un devoir de conscience; cependant il y a un minimum dont la loi fait un devoir civil, à l'exécution duquel la loi veille, et c'est précisément la dette alimentaire. Elle a pour fondement la nécessité de la protection de l'adulte par suite de circonstances exceptionnelles, lesquelles transforment le devoir. moral d'assistance en devoir civil, en devoir de famille. Necare videtur is qui alimenta denegat, disait le droit romain 1.

On a cependant essayé de rattacher cette obligation d'assistance à l'ordre successif. L'éventualité de la succession imposerait la dette: ubi emolumentum ibi onus ; de sorte qu'il y aurait corrélation entre la dette alimentaire et le droit de

1. Fragm. 4, Dig., De agnoscendis et alendis liberis, XXV, 3.

succession. Nous rencontrerons çà et là quelques conséquences parfois proposées de ce point de vue. Nulle part cela n'est ni n'a été dit. On peut affirmer que c'est une idée sans fondement au point de vue légal, car il y a des personnes qui se doivent réciproquement la pension alimentaire et entre lesquelles n'existe pas un droit de succession: par exemple certains alliés; sans fondement aussi au point de vue rationnel, car la dette alimentaire est due précisément aux personnes dont celui qui la paie n'a rien à attendre, puisqu'on les suppose dans la misère. L'obligation alimentaire est un devoir moral d'assistance, dont la loi détermine le minimum et dont elle fait un devoir social; aussi l'article 349 la qualifie d'obligation naturelle.

C'est ainsi qu'il faut l'envisager et il va sans dire qu'elle manque de tout fondement dans la doctrine qui ne voit dans la société que des individus, qui conteste que la famille ait soit des droits, soit des devoirs.

368. Ainsi comprise, la dette alimentaire comprend ce qui est nécessaire à la conservation de la vie matérielle: le logement, la nourriture, l'habillement. Elle est habituellement acquittée en argent; c'est le mode de prestation habituel. La loi n'énonce pas la règle, mais celle-ci résulte de ce que la loi y apporte deux exceptions.

La première est indiquée par l'article 210: « Si la per«sonne qui doit fournir les aliments justifie qu'elle ne peut << payer la pension alimentaire, le tribunal pourra, en con<< naissance de cause, ordonner qu'elle recevra dans sa de<< meure, qu'elle nourrira et entretiendra celui auquel elle << devra des aliments. » C'est une traduction légale de l'adage vulgaire à l'impossible nul n'est tenu; c'est une application d'un autre adage plus vulgaire encore: quand il y en a pour deux il y en a pour trois.

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La seconde exception est indiquée par l'article 211: « Le << tribunal prononcera également si le père ou la mère qui «offrira de recevoir, nourrir et entretenir dans sa demeure <«<l'enfant à qui il devra des aliments, devra dans ce cas être « dispensé de payer la pension alimentaire. » Sans avoir besoin de justifier d'une impossibilité, le père ou la mère pourra faire diminuer le montant de la prestation pécuniaire en offrant de payer en nature une partie de la dette.

Ces deux exceptions supposent établie la règle que la dette se paie normalement en argent.

Les sommes payées à ce titre sont insaisissables entre les mains de la personne assistée (article 581 C. proc. civ.)'. D'autre part, les dettes d'aliments ne peuvent pas être opposées en compensation (article 1293). Sans cela, le but même de la dette alimentaire serait manqué.

369. Voilà en quoi consiste la dette alimentaire et sous quelle forme elle doit ou peut être acquittée. La loi règle, en outre, par qui et à qui elle est due, puis quelle en est la quotité.

Le droit de demander des aliments est exceptionnel; il l'est sous deux rapports. D'abord il n'appartient qu'à ceux auxquels la loi le confère formellement; à l'égard de tous autres, le devoir de secourir peut être une obligation morale, il n'est pas une obligation légale. En outre, mème à ceux auxquels la loi le reconnaît, il n'appartient que s'ils sont hors d'état de se procurer par eux-mêmes les ressources nécessaires et s'ils en justifient, ce qui est une question de fait, laissée à l'appréciation des juges.

370. La quotité de la dette est variable à l'infini. La seule règle à cet égard est écrite dans l'article 208 et elle est très vague: «< Les aliments ne sont accordés que dans la proportion << du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui <«< qui les doit. » Or besoins et ressources sont choses essentiellement relatives; rien n'est moins susceptible de détermination absolue. On peut payer des pensions de quelques francs, de cinquante ou cent francs par an, et aussi des pensions très élevées de cinquante ou cent mille francs. La pension alimentaire comprend toujours le logement, la nourriture, l'habillement, mais proportionnés aux habitudes sociales qu'autorise la situation de famille, au milieu dans lequel vivent les personnes. C'est une question de fait. Le chiffre de la pension est fixé à l'amiable; à défaut d'arrangement amiable, les tribunaux apprécient et décident.

Il résulte de là qu'il n'y a jamais chose jugée en. pareille matière. Les besoins de celui qui reçoit la pension, comme les ressources de celui qui la paie peuvent augmenter, diminuer, disparaître; chaque modification dans les positions

1. Voy. Dalloz, Table des vingt-deux années (1845-1867), Vo Saisie-arrêt, nos 52 et suiv.

peut amener la nécessité de changer les chiffres. L'article 209 prévoit la diminution; il devrait prévoir aussi l'augmentation. La fixation du chiffre de la pension n'est jamais que provisoire; les jugements qui fixent ce chiffre ajoutent habituellement : sauf à en référer. Tout est question de fait en pareille matière. La dette alimentaire est un expédient de nécessité dans des cas exceptionnels; les juges du fait en fixent l'étendue. Tantôt ils en ordonnent le paiement sans limite de temps, tantôt pour un temps déterminé.

371. Plus précise est la règle qui fixe au profit de qui et à la charge de qui l'obligation alimentaire existe.

1o Elle existe entre ascendants et descendants à l'infini (articles 205 et 207). La règle concerne les ascendants et descendants légitimes. Elle concerne aussi les ascendants et descendants naturels; en effet, les articles 762 à 764 consacrent l'existence de l'obligation alimentaire au profit des enfants adultérins ou incestueux, dans les cas exceptionnels où leur filiation est constatée; à plus forte raison cette obligation doit-elle exister quand il s'agit de parenté naturelle simple. Entre parents, l'obligation ne va pas plus loin; elle se restreint à la ligne directe: il n'y a pas d'obligation légale entre collatéraux, même entre les collatéraux les plus proches, entre les frères et sœurs.

2o L'obligation alimentaire existe entre certains alliés en ligne directe. « Les gendres et belles-filles, dit l'article 206, <«< doivent... des aliments à leurs beau-père et belle-mère; <«< mais cette obligation cesse: 1° lorsque la belle-mère a <«<convolé en secondes noces; 2° lorsque celui des époux qui << produisait l'affinité, et les enfants issus de son union avec <«< l'autre époux, sont décédés. » L'article 207 ajoute : obligations résultant de ces dispositions sont récipro

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Le texte paraît n'établir l'obligation qu'entre alliés en ligne directe au premier degré, car il ne parle que des beaux-pères et belles-mères, gendres et belles-filles. Cependant on admet généralement que l'obligation existe à tous les degrés, c'està-dire que le conjoint doit des aliments à tous les descendants et à tous les ascendants de son conjoint. C'est ce que portait le projet de Code civil; la rédaction fut changée pour éviter une confusion que nous allons indiquer, mais nullement pour limiter les degrés où l'obligation existe en ligne

directe. Le conjoint doit des aliments aux ascendants et descendants auxquels en doit son conjoint'.

Même en admettant cette extension, il faut remarquer que l'article 206 ne comprend pas tous les alliés en ligne directe. Ainsi, le second mari de la mère devient l'allié des enfants du premier lit; il est leur allié au premier degré. La seconde femme du père a la même qualité. Cependant, l'obligation. alimentaire n'existe pas entre eux. En effet, l'article 206 ne soumet pas à cette obligation les alliés en ligne directe; il est énonciatif et par là-même limitatif. Il parle de beaux-pères et belles-mères, gendres et belles-filles; or le sens des expressions beaux-pères et belles-mères est fixé par les expressions de gendres et belles-filles qu'on leur oppose, ce qui exclut les parâtres et marâtres: l'obligation alimentaire n'existe ni à leur profit, ni à leur charge.

3o Elle existe entre époux (article 212). C'est l'obligation de secours, dont il a été parlé précédemment.

4° Elle existe entre l'adoptant et l'enfant adoptif (article 349).

5o Elle existe de la part du donataire à l'égard du donateur (article 955) et elle s'explique, dans ce cas, comme une conséquence de la gratitude que doit inspirer le bienfait

reçu.

6° Enfin l'obligation alimentaire existe de la part de la succession de l'époux prédécédé au profit de l'époux survivant, s'il est dans le besoin. Cette règle est inscrite dans l'article 205, refondu par la loi du 9 mars 1891, qui modifie les droits de l'époux survivant sur la succession de son conjoint prédécédé. Le nouveau texte donne lieu à des difficultés d'interprétation qui se rattachent aux principes du droit des successions; l'étude en sera faite sous l'article 767. Telles sont les personnes entre lesquelles existe l'obligation légale d'assistance, en d'autres termes la dette alimentaire. À l'égard de tous autres, encore une fois, elle n'existe que comme devoir moral; l'autorité publique n'intervient plus.

372. D'après l'article 207, quiconque la doit y a droit ; en d'autres termes, elle est réciproque et c'est une règle essentielle

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