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1er Cas. — La naturalisation de faveur a lieu au profit des individus nés en France de parents étrangers, quand ils ne sont pas français d'origine. Ils sont français de naissance, jure soli, dans deux cas précédemment signalés s'ils sont nés en France d'un étranger qui lui-même y est né, ou bien quand ils sont nés en France d'un étranger, même né à l'étranger, s'ils sont domiciliés en France à l'époque de leur majorité. Hors de là, c'est-à-dire s'il s'agit d'individus nés en France d'un étranger né à l'étranger et qui ne sont pas domiciliés en France à l'époque de leur majorité, le fait de la naissance en France ne confère pas la nationalité française, mais en facilite l'acquisition ultérieure. L'individu né en France n'a pas besoin de recourir à la naturalisation ordinaire, avec ses conditions et ses formes; il lui suffit de faire une déclaration et, dans un cas même, il n'a rien à faire du tout la chose se fait d'elle-même. C'est ce qui résulte de l'article 9 remanié par la loi de 1889. Dans quelques-unes de ses parties, il a été modifié par la loi du 22 juillet 1893. C'est encore un texte très long; dans sa rédaction actuelle, il ne comprend pas moins de onze alinéas.

Le cas où l'étranger né en France n'a rien à faire, où sa qualité de français se complète toute seule, par l'effet même des circonstances, est prévu par le dernier alinéa de l'article 9 (rédaction de 1889), que la loi de 1893 n'a pas touché. Aux termes de ce texte, l'individu né en France d'un étranger né à l'étranger et qui n'est pas domicilié en France à l'époque de sa majorité devient français « si, ayant été porté sur «le tableau de recensement, il prend part aux opérations de << recrutement sans opposer son extranéité ». Il y a dans ce fait une adhésion tacite, qui est jugée suffisante et dispense de toute formalité. Peut-être l'individu dont il s'agit ignoraitil son extranéité et alors l'assimilation a été consommée en fait. S'il la connaissait, la soumission volontaire au service militaire suffit à prouver l'intention sérieuse d'être français. Dans les deux cas, il est français ipso facto, mais il ne l'est que pour l'avenir. C'est ce que dit l'article 20 (rédaction de 1889): « Les individus qui acquerront la qualité de français << dans les cas prévus par les articles 9, 10, 18 et 19 ne pour<< ront s'en prévaloir que pour les droits ouverts à leur profit depuis cette époque. »

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Hors le cas prévu par le dernier alinéa de l'article 9, l'in

dividu né en France d'un étranger né à l'étranger et qui n'est pas domicilié en France à l'époque de sa majorité ne peut devenir français qu'en remplissant certaines formalités. Le premier alinéa de l'article 9 (rédaction de 1889), que la loi de 1893 n'a pas touché non plus, les indique. Il faut d'abord qu'il fasse sa soumission de fixer en France son domicile ; il faut ensuite, dans l'année de cette soumission, qu'il établisse effectivement son domicile en France; il faut enfin qu'il réclame avant vingt-deux ans la qualité de français par une déclaration formelle '. Ces conditions remplies, l'individu dont il s'agit est français, mais il ne l'est que pour l'avenir (article 20, rédaction de 1889).

La formalité essentielle, car c'est d'elle que résulte la naturalisation, est la déclaration par laquelle la qualité de français est réclamée. L'article 9 n'en subordonne l'effet qu'à une seule condition, outre la forme dans laquelle elle doit être faite, c'est que l'intéressé la fasse avant d'avoir vingtdeux ans. Il faut que l'étranger marque un certain empressement à profiter de la faveur qui lui est faite et la justifie de la sorte. Sans cela, il retombe sous l'application du droit commun et, s'il veut devenir français, il doit recourir à la naturalisation ordinaire.

Si la déclaration ne peut être faite utilement après vingtdeux ans, elle peut l'être jusque-là n'importe à quel àge. Si l'étranger est majeur, c'est-à-dire si la déclaration est faite de vingt-un à vingt-deux ans, c'est lui qui la fera ; s'il est mineur, le dixième alinéa du texte actuel de l'article 9 indique qui peut faire la déclaration. Cet alinéa était le second du texte de 1889; il est devenu le dixième en 1893. <«< Si l'individu qui réclame la qualité de français est àgé de <«< moins de vingt et un ans accomplis, la déclaration sera «faite en son nom par son père; en cas de décès, par sa « mère; en cas de décès du père et de la mère ou de leur « exclusion de la tutelle, ou dans les cas prévus par les ar«ticles 144, 142 et 143 du Code civil, par le tuteur autorisé « par délibération du conseil de famille. »

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En cela, le nouvel article 9, tel qu'il est sorti de la loi de 1889, a très heureusement modifié l'ancien. Celui-ci n'auto

1. Le règlement d'administration publique du 13 aoùt 1839 détermine où et dans quelle forme la soumission et la déclaration doivent être faites (art. 6 et 9).

risait la déclaration qu'après la majorité, afin, disait-on, que la volonté de devenir français fût librement et sérieusement exprimée. Or il résultait de là un grave inconvénient quand l'étranger, auquel on reconnaît le droit de devenir français, se trouvait avoir intérêt à acquérir cette qualité pendant sa minorité, par exemple pour se présenter aux écoles du Gouvernement, dont l'article 9 lui fermait les portes puisqu'on n'y entre que jusqu'à vingt-un ans, ou bien pour obtenir son inscription comme avocat stagiaire, pour laquelle il fallait surseoir jusqu'après la déclaration. En pratique, il était résulté de là des difficultés diverses', qui sont écartées depuis 1889 et dont il n'y a plus à s'occuper. La déclaration ne peut être faite après vingt-deux ans, mais elle peut l'être auparavant et à n'importe quel âge selon l'intérêt de l'enfant.

Telle était, sur ce premier cas de naturalisation de faveur, la législation de 1889. L'application n'a pas tardé à en révéler les inconvénients. Par application du texte de 1889, on vit devenir français par simple déclaration des individus nés en France peut-être accidentellement, des étrangers peu désirables sinon compromettants comme compatriotes. On s'en émut et des plaintes se produisirent. Fallait-il revenir en arrière et restreindre l'influence du jus soli? Mais il aurait été nécessaire pour cela de refaire toute la loi, dont les dispositions s'enchaînent. La loi du 22 juillet 1893 a pris un biais qui ne laisse pas d'être singulier. Pour le comprendre, il faut se rappeler que la naturalisation n'est pas une faveur mais un droit en ce qui concerne l'enfant né en France d'un étranger. La loi de 1893 n'a rien fait contre cette idée, mais elle s'est arrangée pour que la naturalisation, tout en restant un droit en théorie dans l'hypothèse dont il s'agit, cessât d'en

1. Voy. sur ces difficultés les indications fournies par M. Weiss dans l'Annuaire de législation française de 1890, p. 127, note 1. Cfr. Cass. 31 décembre 1860, D. P. 1861. I. 209, Sir. 1861. I. 221.

2. Il faut observer que, dans ce premier cas de naturalisation de faveur, la naturalisation peut être acquise par un mineur, contrairement à la règle admise en ce qui concerne la naturalisation ordinaire. Voy. suprà, p. 38, note 1. D'ailleurs et d'une façon générale, la règle qui vient d'être rappelée n'est pas applicable à la naturalisation de faveur. En effet, parmi les cinq cas de naturalisation de faveur, il en est deux (le quatrième et le cinquième) dans lesquels le raisonnement conduit à admettre les mineurs au bénéfice de la naturalisation comme les majeurs; dans les trois autres cas, la loi elle-même prévoit que la naturalisation peut s'appliquer à des mineurs.

3. Le caractère distinctif de la naturalisation de faveur est de constituer un droit pour celui qui se trouve dans les conditions prévues par la loi.

être un en fait. Elle a introduit un contrôle, qui permet d'arrêter au passage ceux dont on ne veut pas, les indignes, quoiqu'en principe la naturalisation soit toujours un droit pour eux. Voici comment a été introduit ce contrôle.

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L'article 9 (alinéa 1, rédaction de 1889) était ainsi conçu: << Tout individu né en France d'un étranger et qui n'y est pas <«< domicilié à l'époque de sa majorité pourra, jusqu'à l'âge « de vingt-deux ans accomplis, faire sa soumission de fixer «en France son domicile, et, s'il l'y établit dans l'année à «< compter de l'acte de soumission, réclamer la qualité de <«< français par une déclaration qui sera enregistrée au mi«nistère de la justice. » Le législateur de 1893 a modifié la fin de l'alinéa de la façon suivante: « ... par une déclaration qui sera, à peine de nullité, enregistrée au ministère de la justice.» Puis il a fait suivre cet alinéa remanié de huit alinéas nouveaux, qui prennent place entre l'alinéa remanié et l'ancien alinéa 2, lequel devient ainsi le dixième. Voici les passages essentiels des alinéas intercalés : « L'enregistrement «sera refusé s'il résulte des pièces produites que le déclarant << n'est pas dans les conditions requises par la loi, sauf à lui « à se pourvoir devant les tribunaux civils, dans la forme prescrite par les articles 855 et suivants du Code de procé«<dure civile..... L'enregistrement pourra en outre être re«<fusé, pour cause d'indignité, au déclarant qui réunirait « toutes les conditions légales; mais, dans ce cas, il devra <«< être statué, le déclarant dûment avisé, par décret rendu <«<< sur l'avis conforme du Conseil d'Etat, dans le délai de trois << mois à partir de la déclaration, ou, s'il y a eu contestation, « du jour où le jugement qui a admis la réclamation est de« venu définitif. Le déclarant aura la faculté de produire de<< vant le Conseil d'Etat des pièces et des mémoires. » D'après ces textes, la naturalisation visée par le premier alinéa de l'article 9 reste une naturalisation de faveur sans en être une, un droit sans en être un. Comme tout cela devient compliqué et quelle attention il faut pour s'y reconnaître ! La loi de 1893 a fait une entorse au système, une confusion entre la naturalisation ordinaire et la naturalisation de faveur. La naturalisation visée par le premier alinéa de l'article 9 n'est plus ni une naturalisation ordinaire ni une naturalisation de faveur; c'est quelque chose d'intermédiaire, qui peut s'expliquer en pratique mais qui bouleverse les notions juridiques reçues.

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2 Cas. La naturalisation de faveur a lieu au profit des enfants d'un ex-français, des individus nés de français qui ont perdu cette qualité. Les enfants nés avant que la qualité de français ait été perdue restent français; les enfants nés après sont étrangers, mais l'acquisition de la nationalité française est facilitée pour eux. L'article 10 (rédaction de 1889) s'exprime ainsi : « Tout individu né en France ou à l'étran«<ger, de parents dont l'un a perdu la qualité de français, «< pourra réclamer cette qualité à tout àge, aux conditions «< fixées par l'article 9, à moins que, domicilié en France et appelé sous les drapeaux lors de sa majorité, il n'ait revendiqué sa qualité d'étranger. »

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La seule différence entre la situation qui est faite à ces individus et la situation faite à ceux que vise l'article 9 est celle-ci pour les enfants nés d'un ex-français, la déclaration peut être faite à tout âge et non plus seulement jusqu'à vingtdeux ans. On a jugé qu'une faveur plus grande leur est due ; leur origine, leur famille, leurs intérêts souvent sont en France; il est tout naturel qu'ils veuillent devenir français; à quelque âge qu'ils le veuillent, il leur suffira de le déclarer. Ils auront été étrangers jusque-là ; ils seront français désormais, mais (article 20) ils le seront seulement pour l'avenir1. D'où cette conséquence qu'ils ne seront pas portés sur les listes du recrutement s'ils font leur déclaration seulement à trente ans; ils auront échappé à la loi de recrutement comme y échappe l'individu qui obtient après trente ans la naturalisation ordinaire (article 9 de la loi du 21 mars 1832).

En terminant sur ce privilège des enfants d'ex-français, il faut remarquer que l'article 10 ne parle que de l'enfant au premier degré. Par conséquent c'est à lui seul qu'appartient le privilège accordé par l'article; les descendants des degrés inférieurs restent dans le droit commun et ne peuvent que solliciter la naturalisation ordinaire.

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3 Cas. La naturalisation de faveur a lieu au profit de l'épouse et des enfants majeurs d'étrangers naturalisés. Les enfants mineurs deviennent français ipso facto par la naturalisation de leur père ou du survivant de leurs auteurs, dont les effets s'étendent à eux (article 12, 3o, rédaction de 1889).

1. Trib.de Lille 21 avril 1887 (Journal Le Droit du 18 juillet 1887), Bruxelles 24 décembre 1887 (Le Droit du 31 mars 1888). Cass, 14 février 1890, D. P. 1891. I. 281 (note de M. Cohendy).

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