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LETTRE CLX.

A S. M. LA REINE DE HOLLANDE,

MADAME,

A PARIS.

Écouen me charme tous les jours un peu plus. Écouen, à la vérité, me tient loin de Votre Majesté, mais il me retrace ses bontés, il me rappelle sans cesse l'éducation de Votre Majesté, que la Providence a dirigée vers moi pour récompenser mon courage et terminer mes malheurs. M. le grand chancelier est un excellent homme, je n'ai qu'à me louer de lui ; j'espère qu'il me juge favorablement et me soutiendra comme il faut que je sois soutenue, ayant ou devant avoir près de trente dames sous mon petit empire, car le grand chancelier est mon ministre pour cette partie, mais mon ministre intermédiaire entre la toutepuissance et moi. L'état actuel de Votre Majesté demande trop de soins et de précautions pour que je puisse espérer la recevoir ici avant l'époque de ses couches; nous en serons mieux organisées, plus dignes d'elle, et je serais même très fâchée que Sa Majesté l'empereur vînt avant le moment commencerons à nous reconnaître. Votre Majesté s'est rappelé fort justement madame de Montgelas, tante de M. de Saint-Di

où nous

dier, préfet du palais; c'est d'elle que Sa Majesté le roi de Hollande acheta Baillon, dernier sacrifice exigé par la perte totale de sa fortune. C'est la meilleure personne du monde ; j'ai été intimement liée avec elle dans ma jeunesse; son père, M. Delille, intendant de la guerre ayant le département de la Corse, avait la belle terre de Sannois, près de la maison de madame d'Houdetot. J'ai dû à mon intimité avec la famille de M. Delille un avantage qui est très présent à mes yeux. Il fut chargé de recevoir les députés de la Corse en 1775 ou 1776; ces députés étaient pour la noblesse, le père de Sa Majesté l'empereur; pour le tiers état, le docteur Casa Bianca; pour le clergé, M. l'évêque d'Ajaccio. Toujours priée aux grands diners de M. Delille, j'ai fait le whist de deux de ces messieurs plusieurs fois, et je me rappelle parfaitement le père de notre empereur à cette époque où les trois députés de l'ile de Corse furent présentés à l'infortuné Louis XVI pour le féliciter sur son avénement au trône. Le Courrier de l'Europe, gazette très recherchée alors, imprima cet article, et mit en note au nom de Bonaparte à peu près ces mots : « Cette famille « noble mais peu fortunée est alliée aux plus an«< ciennes maisons de la Toscane. » Voilà une longue anecdote, madame, sur l'auguste nom que vous portez. Qui eût dit en présentant un gentilhomme corse à un prince de la maison de

Bourbon, que le nom de Bonaparte, après avoir directement remplacé le sien dans la liste des rois de France, étonnerait l'univers en surpassant, non seulement les plus grands rois de la race des Capets, mais les César, les Alexandre de l'histoire ancienne? O Providence! J'en reviens à madame de Montgelas, veuve du consul de France à Cadix. Si Votre Majesté, veut la rendre très heureuse, elle obtiendra de M. le grand chancelier de lui accorder mademoiselle Zoé sa fille, âgée de vingt-deux ans, et qui pourrait être placée ici. Ce serait encore des heureux de la façon de Votre Majesté. Déjà son esprit et son coeur lui ont fait voir qu'il n'y avait point d'autre jouissance pour les princes que le pouvoir si grand et si précieux de faire des heureux. Qui a un, deux, trois palais, non seulement n'y trouve plus grand plaisir, mais en vient à aimer les chaumières. Qui a désiré une parure de diamans blancs, une de rubis, une d'émeraudes, des perles, des saphirs, etc., et qui peut se les donner à l'âge de trente ans, ne voit plus cela que comme un trésor nécessaire à la grandeur; mais qui aime à faire des heureux arrive à apprécier toute sa vie les choses les plus modestes lorsqu'elle les donne. Si c'est au village, une armoire, un trousseau, des vaches, donnés à une paysanne, ont toute leur valeur pour la main généreuse qui les accorde. Si c'est à la ville, des malheurs, des pertes de fortune réparées par

une place ramènent l'aisance dans toute une famille, y font reparaître la gaîté qui suit la paix de l'âme. Voilà ce que Votre Majesté a fait reparaître chez ma soeur Rousseau par le mariage d'Agathe; chez ma soeur Pannelier par le mariage de sa fille; chez moi par une place qui me fait sortir d'une position qui ne pouvait plus m'agréer, et qui me fait recevoir aux yeux de tous la récompense la plus honorable à laquelle il me fût possible de prétendre, qui me fait servir ce souverain que j'aime de si bon cœur, que je révère si profondément, sans reparaître dans ces beaux palais dorés où j'ai essuyé trop de pleurs pour ne pas redouter d'y revoir, non des malheurs, que la gloire et l'esprit par excellence en éloigneront pour jamais, mais de ces peines qui accompagnent la grandeur et de ces rivalités si actives dans un lieu où cinq cents personnes veulent plaire à une seule. Mais quelle longue lettre! Comment le bonheur que je trouve à entretenir Votre Majesté peut-il m'emporter si loin? quand à la fois j'abuse de sa patience et je m'arrache à mille devoirs qui pèsent sur moi, c'est que mon tendre attachement m'entraîne, c'est que je cherche le bonheur et que je trouve le plus grand que je puisse avoir à ouvrir à Votre Majesté un coeur où elle règne bien entièrement. Mais en voilà peut-être trop, et je me hâte de mettre aux pieds de Votre Majesté mon plus profond respect.

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LETTRE CLXI.

A S. M. LA REINE DE HOLLANDE.

MADAME,

puis exprimer à Votre Majesté le plaisir que ses deux jolis vases m'ont fait. Cette marque de la bienveillance de son souvenir pour son ancienne institutrice a été admirée par toutes les dames d'Écouen. Le lustre qui est arrivé en même temps a fait aussi le plus grand effet; jamais présens d'étrennes n'ont pu produire à la fois plus d'effets flatteurs pour celle qui les a reçus, puisqu'ils ont été une marque d'une amitié dont je suis à la fois si vaine et si touchée. Je me plais toujours beaucoup ici; m'y étant installée par obéissance pour les ordres de Sa Majesté le 17 novembre, je n'y ai pas manqué un seul coup de vent, je connais toutes ses musiques à travers les grandes salles et sur les toits pointus de nos tours, mais aussi j'attends le printemps qui viendra embellir mon nouveau séjour, et j'attends cette aimable visite de Votre Majesté après qu'elle sera relevée de ses couches, cette visite qui me rendra si heureuse ainsi que celle de Sa Majesté l'impératrice; mais je l'avoue, tant que la chose n'est pas comme je sais qu'elle doit être, j'aime autauft remettre ce moment de jouissance; je me

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