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eux par le faîte de Naurouze, reliant les Cévennes aux Pyrénées.

Le col de Naurouze est à 207 mètres au-dessus du niveau de la mer. Une tranchée de 40 mètres ramène cette hauteur à 167 mètres. Une série d'écluses, neuf de Naurouze à l'Océan et huit de Naurouze à la Méditerranée, établissent les relations du bief le plus élevé avec les deux mers. Le canal partirait de Bordeaux pour aboutir à Narbonne, soit une longueur de 409 kilomètres environ. Sur son parcours, il traverse plusieurs centres commerciaux et forme à Toulouse un port intérieur dont l'importance n'échappera à personne, soit au point de vue agricole, soit comme port de refuge et de ravitaillement en temps de guerre.

Les projets conçoivent les écluses de façon à abréger la manœuvre, elles sont relativement hautes; elles ont 9 mètres: une variante du projet prévoit même des écluses de 18 mètres de chute.

N'avons-nous pas dans nos ports des portes de 25 mètres qui fonctionnent d'une manière irréprochable ?

La vitesse sur le canal serait en moyenne de 11 kilomètres à l'heure; c'est une durée de cinquante heures pour le passage d'une mer à l'autre. Par un système de sas mobiles sur plans inclinės, la durée pourrait encore être abrégée. Ce système, proposé par M. Hersent, est en pleine application en Amérique, à Georgestown, sur le Potomac.

Nous n'entrerons pas dans le détail des différents moyens d'alimentation. Qu'il nous suffise de dire qu'il y serait pourvu par des emprunts aux rivières de Garonne et d'Aude, ainsi que par un système de réservoirs établis dans le massif pyrénéen. Ces réservoirs, qui ont été successivement l'objet des étndes de M. l'ingénieur en chef Bergis, de M. l'inspecteur général Payen, de M. l'inspecteur général Prompt, de MM. les ingénieurs Gros et Mussy, ainsi que du service hydraulique de l'Ariège et de la Haute-Garonne, peuvent fournir une réserve de près de 500 millions de mètres cubes.

'examen des diverses propositions ne présenterait ici aucun intérêt la seule chose qu'il soit nécessaire d'établir, c'est que la commission ministérielle d'alimentation ne conteste pas ces chiffres; qu'elle reconnaît la possibilité d'alimenter ce canal: « alimentation qui ne serait pas irréalisable, même avec les irrigations et les submersions. »

Le canal en voie simple aurait 20 mètres de large au plafond et 35 au plan d'eau ; sa profondeur serait de 7 m. 60. On a prévu une variante de 8 m. 50, avec largeur de 25 mètres. La marche des bâtiments dans le canal aurait lieu par trains remorqués par des locomotives installées sur les bords du canal. Les croisements s'opéreraient donc toujours à des endroits fixes, convenablement spacieux, et la plupart des causes de retard et d'accidents seraient ainsi évitées.

Il y a lieu aussi de tenir compte dans un temps plus ou moins éloigné, pour cette question de halage, des applications du transport, par l'électricité, de la force à distance, par lesquelles les chutes d'eau du canal pourraient être utilisées; le canal deviendrait ainsi, suivant la pittoresque expression de M. Dumont, «sa propre voie et son propre moteur ».

Au point de vue financier, rien ne doit nous préoccuper, puisque l'on ne demande plus à I'Etat ni subvention d'aucune sorte ni garantie aucune d'intérêts.

La société demande seulement le droit de procéder aux travaux, et de percevoir un droit de péage sur chaque tonne de jauge des navires parcourant le canal: 3 fr. 75 par tonne.

Resterait, il est vrai, la question des débouquements. Mais depuis déjà longtemps cette question a fait l'objet de vos délibérations, deux lois sont intervenues, et une dépense de 150 millions prévue de ce chef. Les chambres de commerce de Bordeaux et de Narbonne ainsi que les départements de l'Aude et de la Gironde ont offert dans ce but des subsides considérables.

La société d'ailleurs prendrait l'entreprise de ces ports de débouquement, suivant les plans et devis dressés par les ingénieurs de l'Etat, à certaines conditions contenues dans une lettre du 22 novembre 1885.

Dès l'apparition du projet de M. Duclerc, l'opinion publique se montra tout d'abord favorable, la presse s'émut et voici en quels termes le Soleil, qu'on n'accusera pas de partialité en faveur de nos institutions, s'exprimait à ce sujet :

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« Le canal des Deux-Mers se fera, parce qu'il arrivera un jour où tout le monde reconnaîtra qu'il nous est aussi indispensable au point de vue commercial qu'au point de vue stratégique.

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Mais peut-être, comme certaines autres choses, il se fera trop tard.

«Nous ne l'aurons pas au moment qui peut n'être pas éloigné où nous en aurons besoin pour défendre, avec toutes nos forces navales, l'Algérie et la Tunisie et pour protéger efficacement nos grands ports maritimes.

«Dans la situation actuelle de l'Europe, en présence des points noirs qui se dessinent à l'horizon, ce n'était pas une nouvelle commission d'études qu'il fallait nommer, c'était une déclaration d'utilité publique qu'il fallait soumettre aux représentants du pays.

«La question de l'alimentation du canal maritime, que la commission est chargée d'examiner, a été élucidée par de savants ingénieurs et par une société qui offre de se charger des travaux et ne demande aucun subside à l'Etat.

« Quant à la question de trafic, de nombreux travaux de statistique ont prouvé que les recettes seraient supérieures à toutes les charges.

« Les Anglais, nous le savons, ne veulent pas que le canal se fasse, et les journalistes anglais ne craignent pas de publier « que le Gouvernement francais ne donnera pas suite au projet, parce que ce projet est contraire aux intérêts anglais ».

«Est-ce assez caractéristique?

« Il s'agit bien de savoir ce que le canal rapporfera d'argent quand on voit les dangers qui nous menacent au point de vue politique comme au point de vue économique!

«Il s'agit pour la France d'être ou de ne pas être. Elle lutte pour l'existence.

« Mais si l'on parle chiffres, à combien évaluera-t-on le doublement de la flotte française pouvant se rendre, par le canal, d'une mer dans l'autre ?

« A combien la défense assurée de l'Algérie et de la Tunisie, de nos côtes méditerranéennes et de l'Indo-Chine française?

« A combien la ville de Toulouse et les autres villes riveraines mises à l'abri des inondations?

« A combien la résurrection du cabotage français?

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A combien les 900 kilomètres de côtes ajoutées à notre littoral maritime et assurant le recrutement de nos marins?

« A combien la renaissance de notre influence dans la Méditerranée et dans tout l'Orient?

«Si tout doit se traduire par des chiffres, à combien enfin évaluera-t-on notre indépendance nationale et la liberté d'action de nos gouvernants, entravée aujourd'hui par la situation de l'Angleterre qui, maitresse de Gibraltar, peut toujours couper notre flotte en deux et annihiler la moitié de nos forces maritimes?

« Espérons que la commission n'imitera pas certaines autres commissions, et qu'au lieu de s'attarder dans des questions de détail, elle comprendra l'immense intérêt national qui s'attache à la prompte exécution du canal des Deux-Mers.

« Voilà assez longtemps que la France attend une solution.

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Depuis cette époque, le sentiment public s'est encore prononcé avec plus d'énergie et de netteté en faveur du projet de canal maritime. Si, comme on le prétend, le corps des ponts et chaussées se montre systématiquement hostile, n'est-ce pas le moment de répondre par ce mot de M. le ministre de l'intérieur, Constans, qu'il prononça dans la conférence faite par lui le 5 octobre 1884 : « Au-dessus des coteries, au-dessus des ministres eux-mêmes, y a l'opinion publique qui est souveraine et qui les dirige»?

il

Le congrès de 1887 adoptait les résolutions suivantes :

« Le congrès du canal des Deux-Mers, auquel les délégués des chambres et des tribunaux de commerce ont été appelés à prendre part,

« Considérant que les explications fournies sur le canal démontrent que toutes les questions qui retardaient la mise aux enquêtes de cette œuvre nationale ont été résolues par les travaux de la société d'études de travaux français et que, notamment, les deux problèmes posés à la commission officielle, à savoir: Y a-t-il assez d'eau pour alimenter le canal?

Y a-t-il assez de trafic pour alimenter le cari. tal?» ont reçu une réponse reconnue décisi et que, dès lors, la praticabilité de l'entreprise est un fait acquis;

Considérant qu'il importe de préparer le plus rapidement possible l'exécution d'une treprise qui est de salut public, tant au poist de vue stratégique qu'au point de vue comercial et agricole;

«Emet le veu que M. le ministre des trava publics veuille bien ordonner immédiateme la mise aux enquètes du canal des Deux-Mers, et charge les sénateurs et députés des départ ments directement intéressés de faire tous leurs efforts pour faire triompher les décision prises. »

Deux grands comités, en relation avec tout la région du Midi, se sont formés à Bordeaux à Toulouse, ce dernier sous le contrôle et l'appui de la municipalité; chacun avec journal spécial; tous les jours les adhési arrivent plus nombreuses. Plus de cinq cers conseils généraux, conseils municipaux, chambres et tribunaux de commerce ont pris des délibérations favorables.

N'est-ce pas ici le lieu de rappeler les conclsslons de l'honorable M. Gomot, à propos de Paris port de mer?

« Sur tous les points de l'Europe on entreprend de grands travaux, on creuse des canaux, on perce des montagnes, on se préoccupe d'abréger les distances, de faire affer dans les centres populeux les objets de consommation, les produits industriels. Le cnal de Saint-Pétersbourg est fini, le canal de la mer du Nord est commencé, celui de Manchester va l'être, Des projets sont à 1tude pour faire de Rome et de Bruxelles des ports de mer. La France ne saurait rester inerte quand il se fait autour d'elle un tel mouvement. La question qui nous occupe est mure, elle a l'appui de l'opinion publique, car tout le monde comprend l'avantage d'un grand marché maritime placé près du plus grand centre de production et de consommation du pays. Li réalisation du projet est réclamée par le conseil municipal et la chambre de commerce de Paris. Des vœux dans ce sens ont été émis par les conseils généraux de quatorze départements, par les conseils municipaux des communes veraines de la Seine entre Paris et Rouen, pir le congrès des chambres syndicales de comerce, par les congrès des sociétés de géogra phie, etc.

Il faut tenir compte de ce mouvement d'opinion; il est basé sur des études sérieuses faites par des hommes dont le mobile est l'intérêt du pays. »

Ces considérations ne s'appliquent-elles pas encore avec plus de raison et plus de force au projet qui nous occupe?

Le 25 mars 1886, M. Baihaut, ministre des travaux publics, déposa sur la table du consell l'arrêté de mise aux enquêtes du canal des Deux-Mers.

Sur les onze ministres, dix, parmi lesquels M. le Président Carnot, alors secrétaire d'Et aux finances, se trouvèrent d'accord pour la signature immédiate de cet arrêté.

Un seul, M. de Freycinet, voulut l'ajournement, estimant qu'il importait, avant d'eng ger l'opération, d'être fixé sur deux points essentiels qu'il formulait ainsi :

Y a-t-il assez d'eau pour alimenter le canal? Y a-t-il assez de trafic pour alimenter le capital?

M. de Freycinet déclarait en même temps que toute autre question était sans importance pour la mise aux enquêtes, laquelle devrait immédiatement suivre les réponses favorables qui seraient faites sur l'alimentation et le trafic

du canal des Deux-Mers.

C'est à l'examen de ces deux points - allmentation et trafic - qu'a été limité le mandat des commissions instituées le 13 mai 1886. et leurs rapports du 30 novembre 1887 le reconnaissent formellement dans une note préliminaire.

Qu'est-il résulté du travail des commissions?

La commission présidée par M. Lagrange ne conteste pas absolument (page 50) la possibilité d'emmagasiner dans des réservoirs pyrénéens 500 millions de mètres cubes d'eau.

A la page 51, elle admet la possibilité de réunir, au taux de 13 centimes le mètre cube de capacité, tel approvisionnement qu'on le jugera

nécessaire.

A la page 52, elle calcule que le service de la

navigation absorbera 374 millions de mètres cubes, et elle ajoute :

Dans cette hypothèse, la réserve à créer devient plus facile, et on est fondé à croire qu'elle serait réalisable. »

A la page 80, la conclusion du rapport est que l'alimentation du canal n'est pas irréalisable,

même avec les irrigations et submersions.

La commission, présidée par M. le vice-amiral Martin, reconnaît (page 132) que le trafic annuel atteindra 40 millions de francs, bien que le rapport ne compte l'accrue annuelle des recettes qu'à 0,60 p. 100, alors qu'elle paraît dépasser dans la réalité 5 p. 100.

Dans ces conditions, il y a lieu d'exécuter les promesses qui résultent implicitement de la délibération du conseil des ministres, et qui était subordonnée seulement à la réponse aux deux questions posées par l'honorable M. de Freycinet.

Le Gouvernement ne saurait accueillir défavorablement notre proposition, puisque le cabi net compte cinq de ses membres qui ont, à dif

férentes reprises, donné leur approbation au projet de canal entre deux mers.

D'ailleurs, messieurs, l'enquête ne saurait en rien engager l'avenir. Aucune responsabilité ne peut être mise en jeu de ce chef.

Elle aura seulement pour effet de faire connaître exactement les sentiments vrais de la

population, de faire naître les objections ou les

améliorations aux projets, en un mot, de faire la lumière sur une œuvre qui est, - personne ne songe à le nier, d'une importance si capitale pour notre 'commerce et notre industrie.

Une dernière considération doit vous frapper, messieurs. Lorsque notre admirable Exposition sera fermée, nombre de bras qui avaient été employés pour la création des merveilles qui y sont exhibées, et retenus par l'entretien et les travaux journaliers, vont du jour au lendemain se trouver sans travail.

Ne croyez-vous pas qu'il soit de haute sagesse pour le législateur de prévoir la crise qui peut résulter de cet état de choses? Ne nous appartient-il pas de trouver un autre chantier où pourront s'exercer et s'utiliser ces

forces et ces intelligences? Quel chantier pourrait être meilleur que celui que nous vous proposons, alors surtout qu'il doit avoir comme conséquence la eréation d'usines et d'industries nouvelles, la mise en valeur de richesses agricoles jusqu'ici inexploitées, et, considération des plus importantes que nous avons déjà montrée, alors que cette utilisation de produc

tion subsistera fatalement à l'achèvement des travaux.

A certains intérêts qui s'opposent à notre demande, aux coteries qui cherchent à entraver notre œuvre vous rappellerez la parole du sage: « Qui veut procurer le bien d'autrui a déjà

assuré le sien. »

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ANNEXE N° 3835

RAPPORT fait au Sénat et à la Chambre des députés par la commission de surveillance de la caisse d'amortissement et de la Caisse des dépôts et consignations, sur les opérations de l'année 1888 et sur la situation, au 31 décembre 1888, de ces deux établissements, en exécution des articles 114 et 115 de la loi du 28 avril 1816 et de l'article 234 du décret du 31 mai 1862.

NOTA. Ce document, présenté le même jour aux deux Chambres, ayant été distribué aux membres du Parlement par les soins du Sénat, n'a pas été réimprimé à la Chambre des députés. (Voir l'impression du Sénat, no 188 session de 1889.)

ANNEXE N° 3836

PROJET DE LOI portant ouverture, sur l'exercice 1889, d'un crédit supplémentaire de 2,161,450 fr., au titre du budget ordinaire du ministère de la guerre (chapitre des fourrages), présenté au nom de M. Carnot, président de la République française, par M. de Freycinet, ministre de la guerre, et par M. Rouvier, ministre des finances. (Renvoyé à la commission du budget.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Messieurs, dans sa séance du 22 juin 1889, la Chambre des députés, en rejetant le crédit demandé pour le chapitre 24 (fourrages) du budget ordinaire du ministère de la guerre, a entendu montrer qu'elle désirait voir l'administration de la guerre marcher dans la voie de l'extension de la gestion directe.

Pour se conformer à ce vou, affirmé déjà par T'ordre du jour voté par la Chambre, le 29 octobre 1887, le Gouvernement demande les crédits nécessaires pour faire passer un certain nombre de places de l'entreprise à la gestion directe, ce qui implique l'obligation de rembourser aux entrepreneurs actuels la valeur des approvisionnements constitués entre leurs

mains.

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RAPPORT fait au nom de la commission du budget (1) chargée d'examiner la proposition de loi de M. Frédéric Passy et plusieurs de ses collègues, tendant à ouvrir au ministre des finances un crédit de 500,000 fr. à titre d'allocation à Mme François Cotton, héritière de Jean Thiéry, par M. Henri Marmonier, député.

Messieurs, nos honorables collègues MM, Frédéric Passy, Levêque et Martin-Feuillée ont déposé le 30 mars 1889 une proposition de loi qui a été renvoyée par la Chambre à l'examen de la commission du budget et qui aurait pour effet d'ouvrir un crédit de 500,000 fr., afin de désintéresser Mme veuve Cotton de ses droits et prétentions dans la succession de Jean Thiery.

Voici les faits:

Un Français nommé Jean Thiéry, né en Champagne, à Château-Thierry, mourait à Venise en 1676; il laissait, consignée à la Banque de Venise, la Zecca, une somme de 800,000 écus à la croix, valant environ 10 millions, qu'il te

(1) Cette commission est composée de MM. Jules Roche, président; Saint-Prix, Camille Dreyfus, vice-présidents; Jaurès, Crémieux, Jamais, Leygues, secrétaires; Ribot, Deschanel, Salis, Chavoix, Gadaud, Gerville-Réache, Wickersheimer, Sarrien, Marmonier, Amagat, baron de Soubeyran, Monis, Hanotaux, Compayré, Emmanuel Arène, Burdeau, Maurice-Faure, Leydet, Arthur Leroy, Fonbelle, Peytral, Bastid, Henry Maret, de La Berge, Labrousse. (Voir le n° 3668.)

nait par testament d'un certain Athanase Tipaldi; il constituait pour ses héritiers les descendants des frères de son père.

Cette succession demeura en déshérence, bien que la République de Venise ne contestât pas son obligation, parce qu'aucun réclamant ne put justifier de ses droits, malgré l'appui et le concours du gouvernement français; l'Assemblée constituante en 1791 eut à s'occuper de cette question, soulevée par de nombreuses pétitions, et elle en renvoya fa connnaissance au tribunal de la Seine, devant lequel personne ne parvint à établir qu'il était héritier.

En 1797, le général Bonaparte, au cours de la campagne d'Italie, réclama à la République de Venise, au nom du Directoire, les fonds de la succession Thiéry, qu'il évaluait alors à 20 millions; les négociations n'aboutirent pas, et la ville ayant été prise de vive force, le vainqueur s'empara des trésors contenus dans la banque de l'Etat.

De nouvelles demandes furent formulées et écartées par les tribunaux de 1822 à 1838. Enfin, apparurent vers la fin de l'empire, les réclamations de Mme Cotton, qui fut également déboutée par un jugement du 1er mars 1870, confirmé en appel le 15 janvier 1871, et par un jugement du 7 août 1873.

Mme Cotton se trouvait cependant dans une condition spéciale: un jugement du tribunal de Remiremont, en date du 15 mai 1854, la reconnaît comme descendante de Claude Thiéry, l'un des frères du père de Jean Thiéry.

Après avoir échoué devant les tribunaux civils, sans s'être pourvue devant les tribunaux administratifs, à la compétence desquels le jugement de 1872 la renvoyait, Mme Cotton s'adressa au ministère des finances; ses requêtes furent repoussées par des décisions de MM. Pouyer-Quertier et Buffet, et elle n'en appela pas au conseil d'Etat.

A partir de 1880, Mme Cotton s'adressa aux Chambres par voie de pétition et obtint que ces pétitions fussent renvoyées au ministre compétent. Les ministres déclarèrent successivement qu'ils ne pouvaient donner suite à l'affaire et en dernier lieu, le 25 avril 1888, M. Peytral répondit à la commission, à la suite du renvoi ordonné sur les conclusions du rapport de M. Letellier, qu'il ne lui appartenait pas de proposer à la Chambre de voter des crédits, mais que cette demande pouvait émaner de l'initiative parlementaire.

C'est dans ces conditions et pour que cette interminable question reçoive enfin une solution définitive, que M. Frédéric Passy et ses collègues déposèrent la proposition sur laquelle vous avez à statuer.

L'argumentation sur laquelle repose juridi-, quement la demande de Mme Cotton est celle-ci : la créance des héritiers Thiery a pour origine et pour base un dépôt le dépôt est imprescriptible. Le Trésor français, en s'emparant des sommes déposées, s'est constitué le negotiorum gestor des héritiers Thiéry; il a continué la possession au même titre que la Zecca et ne peut pas plus prescrire la créance qu'elle ne l'eût pu elle-même, l'article 2236 du code civil ne le lui permettant pas.

Or, il n'y a pas eu dépôt, au sens juridique du mot, le dépôt étant essentiellement gratuit (art. 1917 du code civil), et le testament de Tipaldi, qui est le titre initial de la créance, disant : « Je veux et j'entends que la rente de ladite somme soit payée à mes héritiers et aux héritiers de mes héritiers... » La somme a été remise à une banque, à charge pour elle de payer des arrérages, et par conséquent sans qu'elle fût tenue de restituer les deniers mêmes qu'elle avait reçus, puisqu'elle avait le droit de se servir de ces deniers et de les faire fructifier, devant en servir la rente.

Il n'y a donc pas eu dépôt, le dépôt étant gratuit et la chose déposée devant être gardée et restituée en nature; il n'y a donc pas eu la possession précaire dont parle l'article 2236, la propriété des deniers ayant été transférée à la banque de la Zecca, contre une simple créance sur cette banque; la prescription était donc possible. Et comme il s'agit de la prescription libératoire, le débiteur pourrait opposer au créancier l'article 2262 du code, sans qu'on pût lui objecter son titre.

Mais cet argument même est inutile, car Bonaparte n'était pas le negotiorum gestor de la succession Thiéry. Il avait bien en effet, avant de s'emparer de Venise, négocié avec la République en produisant, ce qui se fait toujours, la plus grande somme possible de griefs et de réclamations; mais ces négociations n'avaient pas abouti et le quasi-contrat n'avait pas pris naissance quand les troupes françaises entrerent de vive force dans la cité; rien des conditions proposées avant la victoire ne subsistait donc. Au lieu de persister dans la réclamation de droits toujours contestables, Bonaparte victorieux s'adjugeait une indemnité de guerre, comme cela s'était fait avant lui, et comme cela s'est fait dans la suite. Et jamais, en pareil cas, le payement d'une indemnité à une puissance victorieuse n'a donné de recours contre cette puissance aux créanciers de l'Etat vaincu, celui-ci eût-il épuisé son trésor pour

se libérer.

On objectera qu'un fait de guerre n'a pas pu faire disparaître une créance privée, et que la créance subsiste. Il y a donc un débiteur; on peut rechercher quel il est, bien que cela n'offre pas un intérêt bien sérieux, il est à peine besoin de le dire, au point de vue des revendications à exercer.

Les traités internationaux répondent en effet à cette question:

L'Etat vénitien disparaissait et était annexé tout entier à l'Autriche par l'article 6 du traité de Campo-Formio; l'Autriche en l'absorbant acquérait ses droits et assumait ses charges; elle devenait créancière et débitrice en son lieu et place. C'est donc à elle que les héritiers Thiéry devaient désormais s'adresser.

Cependant un décret de Napoléon Ier, en date

du 23 juillet 1806 ordonna de liquider les capi

taux dus aux héritiers. Mais c'est comme roi d'Italic que Napoléon agissait; il se basait sur le traité de Presbourg, qui cédait la Vénétie au royaume d'Italie, et le décret n'était publié qu'au Bulletin officiel du royaume italien. De même que l'Autriche, en acquérant Venise, avait assumé les dettes et les charges de la République vénitienne, les mêmes dettes et charges passaient au nouveau royaume avec le territoire qu'il acquérait.

Et les traités de 1814 consacraient cette doctrine en stipulant dans l'article 21 du traité du 21 mai que les dettes spécialement hypothéquées dans leur origine sur les pays cessant d'appartenir à la Franec, devaient rester à la charge de ces mêmes pays.

De 1814 à 1866, c'est donc l'Autriche qui a été la créancière véritable de la succession Thiéry, en admettant qu'il y ait eu des héritiers pour réclamer cette créance; depuis la cession de Venise à l'Italie, c'est l'Italie qui est devenue débitrice.

La France ne doit donc rien aux héritiers s'il s'en trouve.

Mais alors, à quel titre accorderait-on une somme quelconque à Mme Cotton? A titre de

transaction? C'est impossible; on ne transige
que sur un droit et elle n'en a aucun à faire
valoir contre le Trésor. A titre d'indemnité?
Quelle serait la base de cette indemnité, si ce
n'est les procès mêmes qu'elle a intentés à
l'Etat en poursuivant des droits chimériques?
On lui rembourserait les frais qu'elle a faits,
de sorte que l'Etat, parce qu'on la indûment
poursuivi, aurait à sa charge les frais de son
adversaire en même temps que les siens pro-
pres. Mieux que cela, la chicane engendrerait
des dommages et intérêts. C'est inadmis-
sible.

Si la Chambre votait bénévolement des cré-
dits, elle s'engagerait par cela même à en voter
encore d'autres pour les personnes qui sui-
vraient la même voie que Mme Cotton. Quelle
raison aurait-elle de refuser à ceux-là ce qu'elle
aurait accordé à celle-ci, s'ils arrivaient égale-
ment, ce que le Parlement ne peut savoir et ce
qu'il ne lui appartient pas de rechercher, à
faire reconnaître leur filiation dans des ins-
tances qui, d'ailleurs, ne sont pas contradic-
toires?

La Chambre déchaînerait ainsi une multitude de procès. C'est elle, qu'elle le voulût ou non, qui inviterait en quelque sorte tous les prétendus héritiers Thiery à se lancer dans des aventures judiciaires, où l'on voit bien qu'il y aurait beaucoup d'argent de dépensé, sans qu'on sache le profit que pourraient en tirer les plaideurs.

Elle allumerait d'incalculables convoitises, suivies d'inévitables déboires, dont on peut se rendre compte en 1791, après le vote de l'Assemblée nationale rendu sur le rapport de Regnier, deux mille prétentions se manifestèrent sans qu'aucune fût admise. Veut-on renouveler cette débauche de papier timbré? Ce serait facile; il y a déjà des centaines de pétitions qui sont arrivées soit à la Chambre, soit au Sénat, soit au ministère des finances.

Qu'on y prenne garde dans les villages, à côté des pétitionnaires, il y a peut-être des agents d'affaires, besogneux et tarés, qui sont tout prêts à les assurer de leurs droits, à les convaincre de la certitude du succès, à leur faire verser de l'argent pour entreprendre les premières démarches, à les pressurer et à les exploiter, quitte à les abandonner à leur misère et à leurs désillusions lorsqu'ils n'auront plus un centime à extorquer d'eux. Il suffit de parcourir ces pétitions pour s'assurer que les choses pourraient se passer de la sorte; la plupart des signataires sont presque complètement illettres; n'étant au courant de rien, ils se laisseraient aisément surexciter par le mirage des trésors qu'on leur ferait entrevoir et ils seraient, sans défense possible, la proie des usuriers et des exploiteurs.

Et il n'y a pas en suspens que cette affaire Thiéry; il y a au ministère des finances des quantités d'autres réclamations de même nature, aussi mal fondées et portant sur des sommes également énormes. D'après le compte d'anatocisme publié par certains journaux, la succession Thiéry serait évaluée à l'heure actuelle à 640 millions; il y a pour d'autres affaires analogues d'autres évaluations et d'autres comptes qui ne sont pas moins fantastiques. On voit l'effet que ces chiffres peuvent produire sur des esprits ignorants et crédules.

Votre commission estime que les pouvoirs saisissaient pas cette occasion de couper court publics manqueraient à leur devoir s'ils ne à ces dangereuses chimères, et elle vous prie de rejeter la proposition.

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naître, nous avons, conformément au désir Messieurs, ainsi que nous l'avons fait conexprimé par votre commission du budget et par la commission des finances du Sénat, entamé, avec les compagnies de chemins de fer, des négociations en vue de limiter la durée des comptes d'exploitation partielle. Nous vous avons déjà soumis l'arrangement que nous avons conclu à ce sujet avec la compagnie des chemins de l'Est; nous vous présentons aujour d'hui une convention passée dans le même but entre le ministre des travaux publics et la compagnie des chemins de fer de l'Ouest.

Les lignes du réseau de cette compagnie. néc, au compte d'exploitation partielle, aux dont les insuffisances sont portées, chaque antermes de l'article 11 de la convention de 1883, sont de deux sortes: 1o les lignes comprises dans la convention du 31 décembre 1875; 2° les lignes désignées à l'article 1er de la convention lement, donnent lieu au déficit le plus impurde 1883. Les premières sont celles qui, actucltant; ce sont donc celles qu'il convenait principalement de faire passer au compte de la garantie pour restreindre les accumulations successives de charges au compte de premier établissement. La compagnie a consenti, pour ces lignes, à en effectuer le report à la garantie à partir du 1er janvier 1890, mais elle s'est refusée, quant à présent, à accepter la suppres sion du compte d'exploitation partielle pour les lignes désignées à l'article 1er de la convention de 1883. Le motif principal de son refus tient à ce que cette suppression eût entraîné une modification des contrats en ce qui concerne le compte de 160 millions ouvert pour les dépenses faites, chaque année, en rembourseinent de la dette contractée par la compagnie envers l'Etat, au titre de la garantie d'intérêts, avant le 31 décembre 1882, compte qui doit avoir une durée égale à celle du compte d'exploitation partielle.

D'après la convention que nous vous demandons d'approuver, les lignes concédées à la compagnie de l'Ouest en 1875 seraient donc reportées seules au compte de la garantie à partir du 1er janvier 1890.

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Et la Société anonyme établie à Paris, sous la dénomination de «< Compagnie des chemins de fer de l'Ouest », ladite compagnie représentée par MM. Edw. Blount, président, et J. Delar bre, vice-président du conseil d'administration, élisant domicile au siège de ladite société, à Paris, gare Saint-Lazare, et agissant en vertu des pouvoirs qui leur ont été conférés par délibération du conseil d'administration en date du 20 juin 1889, et sous réserve de l'approbation des présentes par l'assemblée générale des actionnaires dans un délai d'un an,

D'autre part,

Il a été convenu ce qui suit:
Art. 1er.

- Par dérogation aux dispositions de l'article 11 de la convention du 17 juillet 1583, les lignes comprises dans la convention du 31 décembre 1875 qui seront, à la date du 1er janvier 1890, exploitées dans toute leur étendue, seront, à partir de cette date, reportées du compte provisoire dit « d'exploitation partielle au compte d'exploitation complète. Celles qui seront encore à construire, en construction ou partiellement exploitécs, seront portées au compte d'exploitation complète, à partir du 1er janvier qui suivra leur mise en exploitation dans toute leur étendue.

Art. 2. La présente convention sera enregistrée au droit fixe de 3 fr. Fait en triple expédition, à Paris, le 20 jun

1889.

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RAPPORT fait au nom de la commission (1) chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'autoriser le liquidateur de la compagnie universelle du canal interocéanique de Panama à émettre dans des conditions spéciales les obligations créées en vertu de la loi du 8 juin 1888, par M. Georges Roche (Charente-Inférieure), député.

Messieurs, le Gouvernement a saisi la Chambre des députés d'un projet de loi ayant pour objet d'autoriser le liquidateur de la compagnie universelle du canal interocéanique de Panama à émettre dans des conditions spéciales, les obligations créées en vertu de la loi du 8 juin 1888.

Aussitôt sa constitution, votre commission, chargée d'examiner ce projet de loi, a reçu diverses communicatlons dont elle n'a pas cru devoir vous saisir, et qu'elle a refusé elle-même d'apprécier, estimant que l'objet sur lequel elles portaient échappait à son contrôle. Les unes, en effet, sont de véritables plaintes dirigées contre l'ancienne administration du Panama ou contre les agissements du liquidateur actuel de la compagnie, et il nous a semblé que l'autorité judiciaire seule a qualité pour recevoir les critiques ou les revendications des auteurs de ces (1) Cette commission est composée de MM. Jules Roche, président; Gaudin de Villaine, secrétaire; Ceccaldi, Paul Granier de Cassagnac, Albert Duchesne, Gaston Galpin, Georges Roche, Carron, Richard (Drôme), Bernier, du Mesnildot. (Voir le no 3798.)

-

diverses communications; les autres contien-
nent, soit des plans nouveaux destinés à don-
ner aux travaux une direction différente de
celle qui leur a été imprimée depuis le com-
mencement de l'oeuvre, soit la proposition de
combinaisons financières dans lesquelles le Par-
lement ne saurait intervenir qu'en se substi-
tnant à la personne même du liquidateur judi-
ciaire; ce serait, dans ce cas, assumer, au nom
de l'Etat, une responsabilité que vous n'avez
jamais pu vouloir et ne pouvez accepter.

Votre commission a donc voulu limiter son.
travail à l'examen du projet de loi dont vous
êtes saisis, et à la recherche des motifs qui
peuvent vous déterminer à voter les nouvelles
dispositions législatives proposées par le Gou-
vernement pour faciliter l'achèvement de l'œu-
vre du canal de Panama et pour la sauvegarde
des capitaux considérables qui y sont engagés,
dont la défense est confiée aujourd'hui au li-
quidateur judiciaire de la compagnie.

Le Parlement a suivi avec trop d'intérêt les phases diverses traversées par l'œuvre qui nous occupe pour que nous avons à revenir sur l'origine, la naissance, le développement de la compagnie universelle du canal interocéanique

de Panama.

Les discussions, longues et approfondies, qui ont amené le vote de la loi du 8 juin 1888, la demande plus récente faite au Parlement afin d'obtenir l'intervention de l'Etat dans les affaires de la compagnie vous ont indiqué quelle était au commencement de cette année la si- | tuation exacte de la société.

Depuis le mois de décembre 1888, époque de votre dernière discussion, un acte judiciaire qui porte la date du 4 février 1809, en prononçant la dissolution de la société, a apporté une modification profonde dans la situation des porteurs de titres de la compagnie de Panama, cette situation nouvelle est la raison qui détermine aujourd'hui le Gouvernement à faire une dernière et décisive tentative, pour essayer de sauver cette œuvre éminemment française et les nombreux intérêts qui y sont engagés.

Votre commission, chargé d'examiner le projet de loi, a voulu, avant de discuter et d'arrêter les résolutions qu'elle vous apporte, entendre les explications de M. Joseph Brunet, liquidateur de la compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, et recevoir de M. le ministre des finances, au nom du Gouvernement, les déclarations qui justifient la demande soumise au Parlement.

Des deux séances consacrées à l'audition, dans la première de M. le liquidateur de la compagnie, dans la deuxième de M. le ministre des finances, entendu contradictoirement avec M. le liquidateur, il est résulté pour votre commission la connaissance des faits suivants, que nous devons exposer rapidement au Parlement.

Pour remplir cette double mission de conserver une œuvre éminemment française, et de réparer, dans les limites du possible, les fautes du passé, en améliorant les chances d'avenir, une seule solution paraît exister: poursuivre la constitution d'une société d'achèvement qui se chargerait de terminer les travaux, en réservant aux porteurs de titres de la compagnie actuellement en liquidation une part dans les bénéfices de l'exploitation.

Pour amener à bonne fin des négociations de cette nature, il est évidemment nécessaire, en présence surtout des opinions contradictoires si souvent émises, tant sur la possibilité même de l'exécution du canal de Panama, que sur la durée, ou les dépenses d'achèvement de cette œuvre, d'avoir un examen approfondi, sérieux, complét, de la situation actuelle des travaux et du compte exact des dépenses à prévoir.

Cette étude doit exiger un délai relativement assez long et pendant lequel il est nécessaire de pourvoir à l'entretien et à la défense des travaux déjà faits; il est aussi indispensable d entretenir un matériel important existant dans l'isthme, monté à pied d'œuvre, qui, sans valeur si l'entreprise est abandonnée, peut faire l'objet d'un apport sérieux et considérable estimé à un prix élevé, s'il est cédé à une so

ciété nouvelle.

Jusqu'à ce jour, le liquidateur est parvenu, par une très grande économie, par des arrangements successifs avec les entrepreneurs qui ont prêté avec dévouement leur concours à ses généreux efforts, à franchir, malgré des ressources très modestes, une période de cinq mois.

M. Joseph Brunet a été soutenu par l'espoir d'assurer la continuation de l'œuvre commencée; mais aujourd'hui les ressources à sa disposition sont complètement épuisées. Les combinaisons d'emprunt qui lui ont été soumises ont été par lui examinées avec soin; après un examen scrupuleux des propositions qui lui étaient faites, les conditions stipulées lui ont paru tellement onéreuses qu'il a considéré que les admettre c'était compromettre à jamais une portion notable de l'actif social, si une combinaison d'achèvement était reconnue impossible.

Une acceptation avec de pareilles stipulations engageait, a-t-il dit, sa responsabilité vis-à-vis des porteurs de titres dans des conditions telles que la justice n'aurait pas hésité à lui demander sévèrement compte des intérêts qui lui avaient été confiés.

Dès le prononcé du jugement qui l'a nommé liquidateur, M. Joseph Brunet s'est mis et tenu en relations constantes avec le Gouvernement il a pensé que si l'intérêt qui s'attache à une affaire dans laquelle se trouve compromise une partie considérable de l'épargne française, et tout spécialement de la petite épargne, ainsi que l'intérêt national engagé dans cette entreprise, devaient le déterminer à accepter la mission difficile qui lui était confiée, les mêmes motifs devaient appeler sur l'affaire de Panama la sollicitude du Gouvernement; aussi n'a-t-il pas hésité à demander son concours pour l'accomplissement de la tâche qui lui était

L'émission de titres remboursables avec lots,
par la voie du sort, aux conditions énumérées
dans la loi du 8 juin 1888, n'ayant pas réussi, la
compagnie a eu à traverser, pour la continua-
tion des travaux entrepris, des difficultés in-
surmontables qui se sont terminées par une
demande introduite devant le tribunal civil de
la Seine, et tendant à faire prononcer la disso-imposée.
lution de la société du canal interocéanique de
Panama et la nomination d'un liquidateur.

M. Joseph Brunet a été nommé liquidateur
par le jugement même qui a prononcé, le 4
février 1889, la dissolution de la société et or-
donné sa liquidation.

Pour accomplir cette mission, le jugement donne à M. Joseph Brunet les pouvoirs les plus étendus, notamment pour céder ou apporter, à toute société nouvelle, tout ou partie de l'actif social, pour passer ou ratifier avec les entrepreneurs du canal de Panama tous accords ayant pour but d'assurer la continuation des travaux et pour, à cet effet, contracter tous emprunts et constituer tous nantissements.

Dès son entrée en fonctions, et aussitôt l'examen de la situation, le liquidateur a reconnu qu'une liquidation poursuivie dans les conditions ordinaires, c'est-à-dire par la réalisation de l'actif existant, et la distribution de cet actif aux créanciers, serait à la fois et l'effondrement de l'œuvre tout entière et la consommation complète de la ruine des 7 ou 800 mille petits porteurs français qui ont engagé leur épargne dans l'entreprise du canal de Pa

nama.

Cette opinion l'a amené à rechercher, dès le commencement de ses fonctions, tous les moyens de sauver à la fois l'oeuvre entreprise et les intérêts qui y étaient engagés.

Une première combinaison d'émission de bons à lots, similaire à ceux qui ont été émis, soit au profit de la presse, soit au profit des colons algériens, soit, il y a quelques jours à peine, pour l'Exposition universelle, a été soumise par le liquidateur à M. le président du conseil et à M. le ministre de l'intérieur; cette combinaison avait, sur un emprunt, l'immense avantage de ne pas augmenter le passif de la liquidation, de n'exiger aucun service d'intérêt, aucun gage, aucun nantissement. Les besoins du liquidateur pour faire face aux dépenses de la nomination et des travaux d'une commission d'examen, et l'entretien du personnel et du matériel qui doit être maintenu pour conserver le véritable actif de la société, n'exigeant qu'une somme de 15 millions environ, il était facile de la trouver dans une émission à 25 fr. de quinze cent mille bons remboursables en soixantequinze ans, à 100 fr., et participant à des lots importants. Malheureusement, malgré les bonnes dispositions du Gouvernement, des considérations d'ordre supérieur ont privé le liquidateur du concours financier qui lui était nécessatre pour réaliser cette émission.

Votre commission aurait accepté à l'unanimité cette proposition, qui lui paraissait la plus favorable aux intérêts dont nous nous occupons. Elle a interrogé à ce sujet M. le ministre

des finances, elle a demandé à M. le liquidateur des explications très complètes, mais elle a été amenée à reconnaître qu'il y avait impossibilité dans les conditions actuelles de recourir à la combinaison à laquelle on avait songé.

Cette émission de bons à lots étant écartée, nous avons dû nous occuper de la demande de négociation des obligations à lots autorisées par la loi du 8 juin 1888, émises et non placées par la compagnie avant sa dissolution.

Cette demande que vous avez, messieurs, à apprécier, ainsi que les arguments en faveur de son acceptation ont été indiqués dans l'exposé des motifs du projet de loi soumis à vos délibérations par le Gouvernement.

Devant votre commission spéciale, de nouvelles explications ont été fournies, et on peut les résumer comme suit :

La loi du 8 juin 1888 a autorisé la compagnie de Panama à faire, jusqu'à concurrence de 720 millions de francs (620 millions plus 20 p. 100), une émission de titres remboursables avec lots par la voie du sort,dans un délai de quatre-vingt-dix-neuf ans. Elle a stipulé que les titres émis jouiraient d'un intérêt minimum de 3 p. 100 du capital nominal; que le taux d'émission ne serait pas inférieur à 300 fr., et enfin que le service des lots et l'amortissement des titres seraient garantis par un dépôt suffisant, avec affectation spéciale de rentes françaises ou de titres garantis par le gouvernement français.

Pour que cette dernière condition fût remplie avec toutes les garanties possibles, une société civile a été créée en dehors et à côté de la société de Panama, dans le but de constituer le capital de garantie, de le déposer en titres dans une caisse publique suivant les prescriptions de la loi d'émission, et, au moyen d'une capitalisation d'intérêts, de faire le service des lots et l'opération de reconstitution du capital. A cet effet, il devait être versé à la société civile 60 fr. par chacun des titres émis par la compagnie de Panama.

Ces titres, au nombre de deux millions, furent émis à 360 fr., soit: 300 fr. pour la compagnie, et 60 fr. pour la société civile. Ils furent déclarés remboursables à 400 fr., productifs d'un intérêt annuel de 15 fr. et devant participer à des tirages dont l'importance fut fixée à 3,390,000 fr. par an jusqu'au 15 juin 1913 et à 2,200,000 fr. par an après cette date.

L'amortissement à 400 fr. pour les obligations auxquelles le sort n'attribuerait aucun lot devait commencer le 16 août 1913.

Sur les 2 millions d'obligations émises, il en fut placé 849,226 seulement, et il en restait encore 1,150,774 à placer lorsque fut prononcée la dissolution de la société et sa mise en liquidation.

La société civile a reçu 60 fr. par chacun des titres placés et entièrement libérés, et elle reçoit, au fur et à mesure des versements qui s'opèrent sur les titres non libérés à la souscription, la part qui est indiquée sur le titre lui-même, de manière à ce que, lors du dernier versement, elle ait l'intégralité de la part qui est attribuée; soit 60 fr. par titre. Cetie somine de 60 fr. peut, du reste, se décomposer ainsi : 38 fr. 32 pour la partie du capital de garantie qui assurera le service des lots; 21 fr. 68 pour la partie de ce même capital qui assurera l'amortissement à 400 fr.

senti ce syndicat, assurant ainsi pour ces titres et le service des lots et l'amortissement à 400 fr.; - et pour 750,619 obligations non placées que détient le liquidateur elle a versé seulement 38 fr. 22 par titre, c'est-à-dire la part qui, dans les 60 fr., est nécessaire pour constituer le capital de garantie des lots.

Les 21 fr. 68 destinés à la constitution du cepital de garantie de l'amortissement restent encore à verser sur ces titres des 750,619 obligations.

dans les conditions déterminées par la loi da 8 juin 1888, en ce qui concerne le minimum cu prix d'émission et le service des intérêts. En résumé, le projet de loi qui vous est so mis par le Gouvernement est une modificati à l'article 1er de la loi du 8 juin 1888, dont liquidateur peut seul profiter dans l'intérêt ceux qu'il représente, mais en respectant to tes les autres dispositions de cette loi qui nest pas abrogée. Cette mesure est rendue ne saire par la situation dans laquelle se trouse cette grande entreprise du canal interoc:2 que. Les ressources de la liquidation sontest

Les 1,150,774 titres non placés représentent ainsi une partie de l'actif de la compagnie et, par suite de la liquidation, tout au moins jus-sées; après avoir paré aux plus urgentes net qu'à concurrence des 53,673,819 fr. avancés par la compagnie.

Pour réaliser cette partie de l'actif ainsi que sa fonction le lui commande, que doit faire le liquidateur? Devra-t-il, limitant cet actif aux 53,673,819 fr. versés, introduire contre la société civile un procès pour obtenir le remboursement de cette avance? S'il le fait et s'il gagne son procès, quelle en sera la conséquence forcée? La dissolution de la société civile, c'està-dire, la désorganisation de toute la combinaison sur laquelle repose la garantie donnée par la loi aux obligations à lots, la revente des titres de rentes achetés par la société civile,etc. Un tel résultat serait, à bien des égards, déplorable.

Ne vaut-il pas mieux sauver par un autre moyen ce qui peut encore être sauvé de l'actif social, arriver au même résultat, sans procès et en respectant l'état de choses établi avant la dissolution, en obtenant la libre disposition des titres non placés. Ces titres réalisés par le liquidateur peuvent donner une somme supérieure aux avances faites et à faire par la compagnie, même avec la charge de verser encore 17 millions de francs environ pour garantir l'a-, mortissement à 400 fr.

Mais cette disposition des titres non placés, le liquidateur ne peut l'avoir sans l'intervention législative. A la suite d'une dissolution judiciairement prononcée, le liquidateur n'a pas le droit de disposer des titres émis, il est vrai, mais non encore placés au moment de la dissolution. D'autre part, la loi du 8 juin 1883 impose à la compagnie deux conditions que le liquidateur n'est pas en état de remplir le payement des intérêts et l'interdiction de pla

cer au-dessous de 300 fr.

Il faut donc une modification à l'article 1er de

la loi de 1888, et il est tout naturel que cette modification soit demandée à la Chambre qui a voté cette loi, qui doit désirer qu'elle ne soit pas rendue inexécutable, ce qui arriverait si la liquidation était conduite à demander la resti

tution des 53 millions.

Craindrait-on que le liquidateur n'abusât de la faculté qui lui serait donnée? Ce serait lui faire une injure que rien ne justifie. Mandataire de justice, il administre sous sa propre responsabilité devant l'autorité judiciaire, qui pourrait et devrait le révoquer s'il venait à commettre des abus dans l'exercice de sa fonction.

Il importe que le liquidateur sache dès maintenant en quoi consiste exactement son actif; sales, les titres qui font en ce moment l'objet s'il peut y comprendre, comme valeurs réalide notre examen, ou si le rejet de sa demande à cet égard doit l'amener à solliciter en justice la restitution des sommes avancées par la compagnie de Panama à la société civile.

Mais si vous accordez au liquidateur l'autorisation qu'il sollicite, il est indispensable d'assurer l'affectation spéciale du produit de la négo- | ciation, faite par les soins du liquidateur, aux dépenses en vue desquelles cette négociation

est autorisée.

Pour obtenir ce résultat, le projet de loi qui vous est soumis déclare, dans le 2e paragraphe de l'article 1er, le produit de l'émission autorisée, insaisissable jusqu'à concurrence de millions.

Cette attribution à la société civile, si on la limitait aux 849,226 titres placés, serait évidemment insuffisante pour constituer le capital de garantie d'un service de lots qui a été établi pour deux millions de titres. Peut-être eût-il été sage, en présence du résultat de la souscription, de renoncer à l'emprunt et de rendre les sommes versées; mais sans doute la compagnie espérait encore arriver au placement de la totalité des obligations; aussi s'ar-34 rêta-t-elle à un autre parti. Elle se mit en mesure de compléter elle-même le capital de garantie, et, tant au moyen d'un emprunt qu'elle contracta sur le dépôt d'un certain nombre de titres non placés, qu'au moyen d'un prélèvement dans sa caisse qui venait de recevoir des sommes importantes par le placement des 849,226 titres, elle put verser à la société civile une somme totale de 53,673,819 fr. 08.

Les 1,150,774 titres non placés ont ainsi fourni leut quote-part à la constitution du capital de garantie. La compagnie a versé pour 436,200 de ces obligations, engagées par elle à titre de nantissement à un syndicat de banquiers, 60 fr. par titre, à l'aide de l'emprunt que lui a con

Cette somme représente :

14 millions de francs, évaluation des dépenses d'entretien auxquelles il s'agit de pourvoir; 20 millions de francs, somme nécessaire pour dégager, en vue de leur négociation, les titres donnés en nantissement aux tiers qui ont fourni sur ce gage une portion du capital de

garantie.

Enfin le 3 paragraphe établit que si la liquidation faisait à une compagnie créée pour l'achèvement du canal l'apport ou cession de tout ou partie de son actif, et notamment l'apport ou cession du droit d'émettre les obligations non encore placées, cette émission par la nouvelle société ne pourrait s'effectuer que

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sités par la plus stricte économie, le liquida teur est à la veille de se trouver en face dur caisse absolument vide; quelque tristesse qu'i y ait à avouer une pareille situation, nous de vons laisser à d'autres le soin de recherchere sont les responsabilités des fautes qui ont pa être commises, mais nous devons avec fermet et courage ne pas dissimuler la vérité et en envisager les conséquences.

Si la loi n'est pas votée, il faut renoncer une lutte impossible, congédier, et, dans l'isthme de Panama et à Paris, un personne qu'on ne peut plus payer.

Il faut abandonner les travaux déjà faits: s installations, un matériel qui n'a pas coule moins de 160 millions; ce serait un véritable effondrement dont les conséquences de toutes sortes ne sauraient être envisagées sans une profonde douleur.

Si, au contraire, le Parlement vote la loi.. donne un nouveau gage de la sympathie qu a toujours montrée aux intérêts de cette petite épargne française qui se trouverait completement engloutie dans le désastre que nous vous supplions d'empêcher.

Sans engager les finances de l'Etat ou sa responsabilité, vous permettrez au liquidateur da renoncer à la revendication des 53 millions versés à la société civile; de trouver dans la vente des obligations non placées les ressources pour faire le versement indispensable au fonctionnement du tirage de lots et à la reconstitution du capital des deux millions d'obligations autorisées par la loi du 8 juin 1888.

Vous mettrez à sa disposition la somme nécessaire pour créer la commission d'étude duct les travaux seront la base de la constitution d'une société nouvelle d'achèvement; vo

permettrez enfin au liquidateur de l'ancient

société d'obtenir de cette société d'achèvement des avantages pour les porteurs actuels, échange d'un matériel considérable conservé et entretenu et de la cession du solde d'obligations non placées aujourd'hui sans valeur e que la loi qu'on vous demande va transformer en actif réel.

C'est avec confiance que la commission vous le projet de loi qui suit: demande d'accepter ces résolutions, et de vote

Art. 1er.

-

PROJET DE LOI

universelle du canal interocéanique de Panam Le liquidateur de la compagnie

est autorisé à négocier, sans limitation de prix et sans intérêts, celles des obligations à los dont l'émission a été autorisée par la loi da 8 juin 1888 qui n'avaient pas encore été placées le 4 février 1889, date de la dissolution et de la mise en liquidation de ladite compagnie.

Les sommes provenant de la négociation de ces titres seront insaisissables jusqu'à concurrence de 34 millions de francs.

Dans le cas où le liquidateur ferait apport ou cession de tout ou partie de l'actif de la liq dation à une compagnie créée pour l'achèvement du canal, la nouvelle société ne pourra émettre les obligations à ce moment non pla cées autrement que dans les conditions déterminées par la loi du 8 juin 1888 en ce qui conservice des intérêts. cerne le minimum du prix d'émission et le

Art. 2. Au fur et à mesure du placement de celles de ces obligations sur lesquelles n'a pas été fait le versement intégral de la somme nécessaire pour constituer le capital de g rantie prescrit par l'article 1er de

loi du

8 juin 1888, le liquidateur devra verser le com plément de cette somme à la société civile, qu a été créée pour la constitution dudit capital.

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