Page images
PDF
EPUB

De ces arrêts il ressort que c'est en vain que pour échapper aux prescriptions de l'article 4 de la loi du 24 mai 1825 l'on recourrait à une interposition de personne; les dons et legs universels ou à titre universel dont est gratifié un établissement religieux sont nuls, conformément à l'article 911 du Code civil, lorsqu'ils lui sont adressés sous le couvert d'un prête-nom aussi bien que quand ils lui sont faits directement.

Mais il n'existe aucune présomption légale d'interposition de personne et l'on ne saurait dire que tout don ou legs universel ou à titre universel, adressé à une religieuse, doit de plein droit être censé fait à l'établissement dont elle dépend (V. supra, no 276); malgré le vœu de pauvreté qu'elles ont formé, les religieuses sont, au point de vue de la loi, capables de recevoir et il n'est pas permis de prétendre d'emblée, en dehors de toute circonstance de fait qui soit de nature à faire présumer une fraude à la loi, que les biens qu'elles recueillent ne feront que passer entre leurs mains pour aboutir entre celles de leur communauté. Telle est la doctrine qui découle d'un arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 1865 (1).

Cass. req. 28 mars 1859. La Cour; Attendu que l'interposition de personnes, prévue et prohibée par l'article 911 du Code Napoléon, constitue une fraude à la loi; qu'elle peut dès lors se prouver par des présomptions graves, précises et concordantes; Attendu qu'aux termes

de l'arrêt attaqué (Dijon, 14 juillet 1858), il résulte des faits de la cause que l'abbé Beurier n'est pas legataire sérieux de la demoiselle Moreau; qu'il n'a reçu d'elle que pour transmettre à des tiers; que si, par cette expression de tiers, on doit entendre avec la Cour d'appel la communauté de Saint-Julien-de Civry, c'est avec juste raison que la disposition universelle dont s'agit a été annulée, soit parce qu'il n'est point justifié que la maison de Saint-Julien ait reçu du gouvernement l'autorisation spéciale qui lui était nécessaire aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du roi du 17 janvier 1827 et que, dès lors, elle est incapable de recevoir par testament, soit parce qu'en admettant qu'elle fût dûment autorisée, la communauté de Saint-Julien ne pouvait, d'après l'article 4 de la loi du 24 mai 1823, recueillir un legs autre qu'un legs à titre particulier; Attendu que, dans l'hypothèse où l'on pourrait induire des termes de l'arrêt que les personnes auxquelles est destiné le legs universel sont incertaines, ce défaut de désignation précise, rendant impossible la vérification de la capacité des véritables légataires, entraînerait à cet autre point de vue la nullité de la disposition; qu'ainsi sous ce double rapport, la conséquence tirée par la Cour d'appel des faits de la cause est conforme à la loi; - Rejette. (Hardoin, rapporteur.) (1) Cass. Req. 26 avril 1865. La Cour, Attendu que la seule question soumise à la Cour est celle de savoir si le legs universel fait par la demoiselle Gravelotte à la dame Joséphine Littaye, sœur de cha-`

--

--

283. La faculté de recevoir des dons et legs universels ou à titre universel n'a été enlevée qu'aux congrégations ou communautés religieuses de femmes; elle ne fait pas défaut aux congrégations ou communautés religieuses d'hommes (1).

Le contraire a été soutenu par le ministre des Cultes dans une dépêche en date du 15 février 1892 qui accompagnait un projet de décret relatif à un legs universel fait par la dame veuve Lallemand à la congrégation des prêtres de la

[ocr errors]

rité de Saint-Vincent-de-Paul, supérieure de l'hôpital de Pont-SaintEsprit, doit être annulé comme ayant été fait à une personne appartenant à une corporation religieuse sans l'autorisation du gouvernement et au mépris des prohibitions légales; Attendu que, sans doute, suivant l'article 4 de la loi du 24 mai 1825, aucun legs ou donation ne peut être fait à un établissement religieux qu'avec l'autorisation spéciale du gouvernement; mais que ce n'est pas à la communauté, autorisée par le décret de 1809 des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul que le legs universel a été fait par la demoiselle Gravelotte; que le legs a été fait personnellement à la dame Joséphine Littaye, et non à la dame Littaye comme personne interposée; que c'est ce qui a été souverainement décidé par l'arrêt attaqué (Nîmes, 10 juin 1863); Attendu que, sous la législation actuelle, les vœux formés par les personnes engagées dans les ordres religieux ne constituent qu'un engagement de conscience qui peut lier dans le for intérieur, mais qui n'est point obligatoire aux yeux de la loi civile; qu'ensuite la profession religieuse n'enlève rien aux membres des communautés de leur capacité civile; qu'ils peuvent donc, comme tous les autres citoyens, posséder personnellement; qu'ils conservent la libre jouissance de leur fortune patrimoniale et de celle qui peut leur échoir par donation, ou par testament, ou de toute autre manière ; Attendu que, dans ces circonstances, en validant le legs universel fait au profit de Joséphine Littaye comme personne privée, l'arrêt attaqué n'a violé ni les articles 4 et 5 de la loi du 24 mai 1825, ni les autres articles de lois invoqués par les demandeurs en cassation; Rejette. (M. de Peyramont, rapporteur.)

(1) Trib. civ. de Dunkerque, 28 mars 1878. Le Tribunal; - Considérant qu'il ne s'agit pas actuellement de statuer sur l'acceptation d'un legs fait à un établissement public, puisqu'une pareille acceptation ne peut avoir lieu sans qu'au préalable cet établissement ait été autorisé; qu'il s'agit 10o de rechercher si, en thèse générale, les frères des Écoles chrétiennes ont capacité pour recevoir un legs universel; 2o ...; En ce qui touche leur capacité pour recevoir un legs universel; Considérant qu'en règle générale, toute capacité de recevoir un legs est absolue à moins qu'une restriction n'y ait été apportée légalement; que l'article 4 de la loi du 24 mai 1825 ne permet, en effet, l'acceptation des dons et legs qu'autant qu'ils sont faits à titre particulier; mais que cette loi ne s'applique qu'aux congrégations et communautés religieuses de femmes; que, par conséquent, sont valables les legs universels faits à une congrégation religieuse d'hommes, reconnue par la loi comme l'est l'institut des frères des Écoles chrétiennes; -- Par ces motifs, déclare bon et valable le testament de la demoiselle Grawez, etc.

mission dite de Saint-Lazare (1); mais la thèse exposée dans cette dépêche a été repoussée par le Conseil d'État qui a estimé qu'il y avait lieu d'autoriser ladite congrégation à accepter la libéralité dont elle avait été l'objet (Note du Conseil d'État du 31 mars 1892) (2).

284. Les statuts de certains établissements d'utilité publique ou de certaines congrégations ou communautés religieuses apportent à leur capacité diverses restrictions qu'il serait sans intérêt de passer en revue. Nous nous contenterons de noter que la congrégation des Petites-Sœurs des Pauvres ne jouit du droit de recevoir que dans d'étroites limites; M. Marguerie expose, dans le savant article qu'il a consacré aux dons et legs dans le Dictionnaire général d'administration, que les statuts de cette congrégation lui interdisent la faculté de posséder des rentes ou des immeubles autres que ceux affectés au logement des sœurs (3).

(1) Lettre du ministre de la Justice et des Cultes (15 février 1892). Monsieur le président, aux termes d'un testament olographe, en date du 12 avril 1877, la dame veuve Lallemand a institué pour légataire universelle la congrégation des prêtres de la mission dite des Lazaristes... Tout en constatant qu'il y a des précédents, statuant sur l'acceptation de legs universels faits aux congrégations religieuses d'hommes admises au bénéfice de la capacité civile en vertu des décisions des 7 prairial an XII, 2 germinal an XIII et 3 février 1816, je crois devoir appeler l'attention du Conseil d'Etat sur la question de savoir si, en l'absence de toute réglementation spéciale à leur usage, les congrégations d'hommes peuvent jouir d'un privilège que la loi du 24 mai 1825 n'a pas cru pouvoir accorder aux congrégations de femmes ? Les mesures restrictives édictées par l'article 4 de la loi précitée de 1823 ne sont-elles pas applicables aux associations religieuses d'hommes et ne peut-on soutenir que, si la législation a considéré comme une mesure de sécurité publique la prohibition d'un legs universel ou à titre universel écrit en faveur d'un établissement religieux de femmes, cette prohibition doit, pour les mêmes motifs, s'étendre à des congrégations d'hommes dont l'existence légale n'est même pas à l'abri de toute contestation. serais très désireux de connaître l'avis du Conseil d'Etat sur ce point important... Agréez, etc. Pour le ministre : Le conseiller d'État, directeur des Cultes (Signé : Dumay). (2) Note du C. d'Et. 31 mars 1892 (n° 91,118). a pris connaissance d'un projet de décret tendant à autoriser la congrégation des Prètres de la Mission à accepter un legs universel qui lui a été fait par la dame veuve Lallemand a, d'accord avec le représentant du gouvernement, cru devoir ajouter à l'article 1er une disposition portant que la congrégation devra justifier de l'emploi des legs aux besoins des missions étrangères (M. Bonthoux, rapporteur).

Je

Le Conseil d'Etat, qui

(3) Marguerie, Dictionnaire général d'administration, v DONS ET LEGS, sect. I, § 5, p. 917.

« PreviousContinue »