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de dommage consommé; on ne punit donc pas la faute en ellemême, on la punit dans ses conséquences préjudiciables. ' La tentative, qui n'a causé aucun préjudice, échappe ainsi à la répression. En résumé, tandis que les Romains s'attachent surtout à l'intention pour caractériser la gravité du crime, les Germains s'attachent aux suites dommageables qu'il a pu causer. Tel est bien le caractère distinctif qui sépare les conceptions que se firent ces deux peuples du but et du caractère de la pénalité. 59. Droit pénal canonique". - Le droit pénal de l'Église a eu, sur le développement du droit pénal séculier, une influence considérable. On sait que les juridictions ecclésiastiques attirèrent, dans la sphère de leur compétence, tous les procès qui, de près ou de loin, touchaient aux intérêts religieux. Beaucoup de crimes devinrent ainsi de leur ressort. Au premier rang, il faut citer les crimes commis dans les lieux saints, églises, monastères, chapelles et cimetières 32; les sacrilèges, c'est-à-dire la profanation des choses saintes, la violation des droits de l'Église, le pillage ou le détournement des biens ecclésiastiques 33; les crimes contre la foi, hérésie, sorcellerie, magie"; le blasphème 35; la simonie36; l'adultère 37; l'usure 38; le parjure, etc. Ces crimes étaient portés au forum ecclésiastique et soumis

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31 BIBLIOGRAPHIE: Paul FOURNIER, Les officialités au moyen áge (Paris, 1880); Lönings, Geschichte des Kirchenrechts, 1878; Stintzing, Geschichte der popularen Litteratur der römisch-Kanonischen Rechts in Deutschland, 1867. 32 BEAUMANOIR, XI, 13 et suiv.

33 BEAUMANOIR, XXV, 24.

34 Les crimes contre la foi furent toujours réservés à l'Église; elle en connaissait par ses tribunaux ordinaires ou par le tribunal extraordinaire de l'Inquisition. Le juge séculier prononçait telle peine qu'il jugeait convenable contre l'individu reconnu hérétique. Ordinairement, c'était la peine du feu. Cfr. BEAUMANOIR, XI, 2; Établissements de saint Louis, I, 85.

35 Le blasphème était réprimé par le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir séculier.

36 La simonie consistait à vendre les choses spirituelles.

37 L'adultère a d'abord été réprimé par les deux ordres de juridictions, les juridictions laïques, les juridictions ecclésiastiques. Puis, à partir du XIVe siècle, le roi réclame pour lui seul la répression de ce crime.

38 L'usure fut considérée comme un crime mixte. Mais, partout et toujours, les juges d'église le poursuivirent avec acharnement.

à un jugement qui se distinguait du jugement séculier, non seulement par un examen plus approfondi de la culpabilité, mais encore par un tout autre genre de répression. Tandis que, dans la plupart des cas, le droit séculier d'alors ne considérait, pour apprécier la gravité du délit, que les conséquences matérielles, le préjudice palpable qu'il avait causé, l'Église comprit qu'il convenait mieux à la mission particulière dont elle avait conscience, de rechercher l'intention coupable et d'apprécier la gravité du délit en mesurant la faute elle-même, le péché. Aussi, tandis que les pénalités laïques consistaient ordinairement dans une réparation en argent, ou bien, lorsque des peines corporelles intervenaient, dans la mort ou la mutilation du coupable, l'Église procédait par des expiations ou des censures. Sans doute, les peines canoniques conservaient un caractère extérieur et symbolique qui était bien dans les idées du temps, mais leur nature même montrait, dans une certaine mesure, que la peine n'était qu'un moyen de corriger le coupable". Dans le droit canon, par conséquent, nous trouvons, à côté de l'idée générale de réparation ou d'expiation, qui prend la forme religieuse de la réconciliation avec Dieu, une pensée d'amélioration du criminel, comme but et effet de la pénalité. Sans doute, la peine d'excommunication, dont il fut fait un si fréquent usage, exclut toute pensée d'amélioration ou de réconciliation; mais elle équivaut à une rupture du criminel avec la société religieuse et n'est employée que dans les cas les plus graves, comme une sorte de procédé moral d'élimination de celui qui ne doit plus faire partie désormais de la société religieuse.

Le principe de l'égalité de tous les hommes devant Dieu, qui est à la base de la doctrine chrétienne, pénétra profondément le droit canonique, et l'Église, dans sa pénalité, n'eut aucun égard à la qualité des personnes ". La première", elle pro

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39 La division principale des peines d'église, en pœnæ vindicativæ et pænæ medicinales est très expressive à ce point de vue. Voy. Guizor, Histoire de la civilisation en Europe, 6o leçon, p. 169.

40 Can. 6, causs. 26, qu. 7: Sacerdos pœnitentiam imploranti absque personarum acceptione pœnitentiam secundum leges injungat.

Il ne faudrait pas faire honneur au droit romain du principe de l'égalité

clama ce principe de l'égalité devant la loi, admis aujourd'hui par toutes les constitutions modernes.

Les tribunaux ecclésiastiques n'appliquaient que très rarement eux-mêmes des pénalités sanguinaires (Ecclesia non sitit sanguinem); ils livraient généralement le coupable, après une instruction approfondie, au tribunal séculier (le bras séculier), ce qui avait ordinairement pour conséquence l'application des formes les plus horribles de la peine de mort *2.

60. L'action de l'Église s'exerça, d'un autre côté, pour étendre le domaine du droit pénal. C'est par son intervention que le droit du moyen âge fut amené à punir, non seulement les crimes contre les personnes et contre l'État, mais encore les violations graves de la morale naturelle, les « delicta carnis ». C'est elle qui arma le bras séculier contre les crimes religieux, la sorcellerie, la magie, le blasphème, l'hérésie, qui constitue le crime politique de l'Église : c'est pour ces infractions qu'elle réserva toutes ses rigueurs.

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61. Le droit pénal canonique est principalement contenu dans le cinquième livre de la collection des Décrétales du Corpus juris canonici", qui reproduit, d'une manière évidente,

de tous devant la loi pénale. Le droit romain établissait des peines diverses pour les grands (honestiores) et pour les humbles (humiliores), ainsi que nous l'avons dit.

42 L'Église ne paraît pas être restée ferme dans le sentiment chrétien de répugnance pour la peine de mort et les peines corporelles. Mais il faut remarquer que, sur ce point, l'esprit chrétien fit des concessions à l'esprit judaïque.

43 L'Église se montrait très sévère pour le crime d'hérésie. Ce crime une fois constaté par le tribunal ecclésiastique, l'hérétique était frappé d'excommunication et détenu dans une prison solitaire jusqu'à ce qu'il eut abjuré son erreur. S'il persistait, ou retombait dans l'erreur, l'accusé était livré au juge séculier qui le condamnait à être brùlé vif: « En tel cas, doit aider la laie justice à Sainte Eglise, car quand aucun est condamné comme bougre (hérétique) par l'examination de Sainte Eglise, le doit abandonner à la laie justice, et la justice laie le doit ardoir, parce que la justice espirituel ne ne doit nului metre à mort ». BEAUMANOIR, chap. XI, no 2.

Divers conciles et l'usage des églises établirent, pour certaines fautes, des peines déterminées il se fit ainsi une sorte de jurisprudence pénale ecclésiastique. Elle fut codifiée dans des Livres pénitentiaux, encore nom

dans la série de ses titres, la série des commandements du Décalogue.

§ XI.

DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS AVANT LA RÉVOLUTION

62. Disparition successive du système de la composition. 63. L'idée nouvelle de la vengeance publique. 64. Absence de codification pour l'ancien droit pénal français. Arbitraire des peines. 65. Système des incriminations. Crimes de lèse-majesté divine et humaine. Crimes contre les particuliers. - 66. Système de pénalité. 67. Caractères généraux de l'ancien droit pénal français. - 68. Littérature de l'ancien droit criminel.

62. Le système de la composition paraît avoir subsisté un certain temps, au moyen âge, dans les coutumes et dans les mœurs. Mais pour comprendre comment il disparut peu à peu et par quelle gradation, à l'idée de vengeance privée, fut substituée l'idée de vengeance publique, il y a lieu, pendant la période du moyen âge qui va de la fin du dixième siècle à la fin du quinzième, de distinguer les rapports des seigneurs entre eux, et les rapports des vilains, des serfs, des vassaux et des bourgeois, soit avec les seigneurs, soit entre eux.

Entre nobles, la justice était bien imparfaite, car elle se réduisait, la plupart du temps, à ce que d'anciens textes appellent le droit du poing. La vengeance et, par conséquent, la guerre privée, qui n'existait plus, comme à l'époque barbare, entre << gens de pooste ou bourgeois », restait toujours la règle dans les rapports des nobles hommes'. Ce n'était qu'après avoir pres

més les Pénitentiels. Cfr. Paul VIOLLET, Précis de l'histoire du droit français, p. 39 à 43.

§ XI. BEAUMANOIR, Coutumes de Beauvoisis, L. IX, 6 : « Guerre d'après nostre coustume ne peut queir entre gens de pooste ne entre bourgeois », lesquels, dit-il ailleurs, «< doivent estre justiciés selon le meffet et ne se peuvent aider de droit de guerre ». Le même auteur déclare écrire son chapitre XXX qu'il consacre aux délits, « pour que le commun peuple sache comment il doit être puni s'il meffet, et que les seigneurs sachent quelle vengeance ils doivent prendre pour chacun meffet ». La vengeance du chef féodal, substituée à la vengeance individuelle, est donc devenue la base de la pénalité. Et lorsque la féodalité se trouve diminuée par la royauté, la vengeance passe naturellement au roi.

senti ou constaté son infériorité que le seigneur se soumettait au jugement de ses pairs: il subissait plutôt qu'il n'acceptait la sentence d'un tribunal présidé par le chef militaire, le suzerain, et composé de seigneurs ses égaux, vassaux du même suzerain. Ce tribunal s'appelait la cour féodale'.

Cette cour féodale n'était guère qu'une assemblée d'arbitres, car si la sentence paraissait inique, le seigneur condamné pouvait fausser jugement, c'est-à-dire provoquer le juge qui l'avait condamné en l'accusant d'avoir sciemment rendu un jugement injuste. Sur cette sorte d'appel, dirigé contre le juge et non contre le jugement, un duel avait lieu, et si le juge y succombait, la sentence était annulée, et la cause portée devant le tribunal du seigneur suzerain, immédiatement supérieur. Sans insister davantage, on comprend que les barons, les nobles hommes, tous ceux qui menaient la vie guerrière et féodale, ne se soumettaient que difficilement à la juridiction de la cour féodale. Les crimes et les délits commis par eux restaient presque toujours impunis. Il faut cependant noter le développement de la confiscation des biens, sous le nom de commise de fief, pour le crime de félonie.

Mais la répression avait de l'efficacité lorsque le coupable était un simple homme libre, un bourgeois, un vilain, un manant, un serf.

63. Dans ce milieu, le système de la guerre privée et de la composition qui la termine disparaît de bonne heure. Au treizième siècle, il n'est plus en usage. On n'en trouve, à cette époque, que de rares exemples. D'autres idées ont prévalu. Il devait arriver, en effet, souvent que le particulier lésé s'abstenant, son seigneur, par l'intermédiaire du juge, exerçât, en son nom et d'office, la vengeance à laquelle il avait droit. Ces poursuites subsidiaires deviennent bientôt des poursuites principales. Le seigneur se considère comme lésé par le délit. La composition.

2 Conseil de Pierre de Fontaines, XXI, 35.

3 Ainsi, un arrêt de 1258 du Parlement de Paris prononce le bannissement contre le meurtrier, tant qu'il n'aura pas composé avec les parents du défunt s'ils veulent y consentir: « Dum faceret pacem cum amicis defuncti, si ipsi volent eam habere ». Olim, I, 66, IX.

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