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lèse-majesté et autres crimes énormes ». d) Dans le cas de lèsemajesté au premier chef, comme dans ceux d'hérésie, de suicide, de duel, de rébellion à justice avec force ouverte, en la rencontre de laquelle l'accusé avait été tué, on en était même arrivé à faire le procès au cadavre. C'était là un vieil usage, une procédure archaïque, qui a ses racines dans les instincts mêmes de l'homme, et qui persista jusqu'au dix-huitième siècle. En 1723, le Châtelet de Paris imagina de faire le procès à un mort, un prisonnier, tué dans une lutte avec les archers qui le voulaient transférer d'un cachot dans un autre. Le cadavre fut condamné à être traîné sur la claie, pendu et exécuté en place de Grêve. Nous avons trouvé d'autres exemples de procès de ce genre jusqu'au milieu du xvII° siècle. e) Enfin, dans les crimes de lèse-majesté, le seul dessein d'accomplir le crime, manifesté par quelque acte extérieur, suffisait pour motiver une condamnation, et l'on se contentait, pour la prononcer, de simples indices.

III. Les crimes qui portent atteinte à la société, dans la personne d'un de ses membres, le meurtre, le vol, le faux, étaient rangés dans une troisième catégorie, sous le nom de crimes contre les particuliers.

66. On divise généralement les peines, (lans notre ancienne législation, en peines afflictives, infamantes ou non infamantes, en peines simplement infamantes de droit et en peines simplement infamantes de fait, en peines pécuniaires, infamantes et non infamantes. Les peines habituellement appliquées sont cruelles et d'une sévérité exagérée. « Les peines, qui sont en usage en France dans les tribunaux ordinaires de justice, dit Jousse, sont la peine du feu, la roue, la potence, la tête tranchée, la peine d'être traîné sur la claie, les galères à temps ou à perpétuité, le bannissement perpétuel ou à temps, le poing coupé, la langue coupée ou percée d'un fer chaud, le fouet, la flétrissure, l'amende honorable, le pilori, le carcan, la réclusion à temps ou à toujours en une maison de force, le blâme et l'ad

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JOUSSE, Nouveau commentaire sur l'ordonnance criminelle de 1670, t. I, p. 36. Voy. MOLINIER, op. cit., p. 154 à 156.

monition ». Ainsi, non seulement la peine de mort était prodiguée, mais elle ne consistait pas dans la simple privation de la vie; elle variait dans son mode d'exécution. La pratique avait inventé cinq genres principaux de supplice. Le mode le plus ordinaire de donner la mort, était la pendaison. La décollation s'appliquait surtout aux nobles gens. La roue était le supplice réservé aux crimes atroces, tels que l'assassinat avec préméditation, le vol sur les grands chemins. Ainsi, Cartouche fut roué vif en 1721, et Mandrin, en 1755. La peine du feu avait été, à l'origine, la peine de l'hérésie et de la magie. On l'étendit à l'empoisonnement. On y condamnait également celui qui s'était livré à ces commerces monstrueux, que notre ancienne législation réprimait si sévèrement. D'où cette remarque de Montesquieu : « Il est singulier que, parmi nous, trois crimes, la magie, l'hérésie, et le crime contre nature, dont on pourrait prouver, du premier qu'il n'existe pas, du second qu'il est susceptible d'une quantité de distinction, du troisième qu'il est souvent obscur, aient été punis tous trois de la peine du feu ». Jousse cite les supplices ordinaires; mais il n'en est point que l'ingénieuse cruauté de nos anciens n'ait inventé et appliqué. Tel était le supplice qui consistait à faire bouillir le coupable dans une chaudière, genre de mort infligé souvent, pendant le moyen âge, aux faux-monnayeurs, et qui ne cessa de leur être appliqué que vers le dix-septième siècle. Tel était encore le supplice de l'écartellement à quatre chevaux, employé quelquefois pour punir l'attentat contre la vie du souverain. Ce fut le genre de mort de Jean Chatel. Au quatorzième siècle, on condamnait encore à Paris et ailleurs, les « larronesses » à être enterrées vivantes. Mais, dès le seizième siècle, il n'est plus trace d'un mode aussi horrible d'exécution à mort.

A côté de la peine de mort, les mutilations, la marque avec un fer brûlant, les châtiments corporels sont employés tous les jours par les tribunaux avec une fréquence et une rigueur extrêmes. C'est le fouet, la mutilation du poing, la marque, la langue percée ou arrachée, etc.

9 Esprit des lois, liv. XII, chap. vi.

67. Il semble, quand on étudie notre ancienne législation criminelle et quand on la compare à celle des derniers siècles de l'empire romain et des premiers siècles du moyen âge, que la civilisation, en matière de pénalités, n'ait fait aucun progrès, qu'elle se soit immobilisée. Ce qui caractérise le droit pénal, ce sont toujours les mêmes vices. A toutes ces époques, les peines sont inégales; elles varient suivant la qualité, le rang des coupables, bien plus que suivant la nature de leur crime. A toutes ces époques, les peines sont cruelles et barbares dans leur application le fond du système pénal, c'est la peine de mort et les mutilations corporelles prodiguées. A toutes ces époques, les peines sont arbitraires; les délits sont mal définis et les citoyens demeurent sans garantie contre les excès de la répression. A toutes ces époques enfin, l'ignorance, les préjugés, les passions enfantent des délits imaginaires et le cercle de la loi pénale s'étend même en dehors des rapports sociaux, il empiète sur le domaine de la conscience.

Il est bon de rappeler ces vices pour comprendre les progrès qui se sont accomplis et les bienfaits dont nous sommes redevables, à ce point de vue, à la Révolution française. En effet, tandis qu'on a pu dire que l'ensemble du vieux droit civil français avait persisté, avec quelques modifications, dans le Code civil actuel1o, nous pouvons affirmer que le droit pénal moderne a rompu complètement avec notre vieux droit pénal, et la comparaison entre l'un et l'autre est faite, avant tout, de contrastes. C'est l'idée qu'exprimait Boitard, dans sa première leçon, lorsqu'il disait : « Nos lois nouvelles ne sont pas, comme dans les matières civiles, la reproduction plus ou moins fidèle, plus ou moins exacte des principes admis autrefois. Dans le droit pénal, presque tout est nouveau, presque tout a ressenti vivement l'influence des temps, des mœurs, des révolutions ». Pour s'en

10 Cfr. VALETTE, De la persistance de l'ensemble du droit civil français pendant et après la Révolution de 4789 (Mélanges, t. II, p. 250); Paul Viollet, op. cit., p. 206.

11 Je sais bien que, dans la remarquable préface placée par FAUSTIN HÉLIE, en tête des Leçons sur les Codes pénal et d'instruction criminelle de Boitard, l'éminent criminaliste a vivement critiqué cette appréciation du professeur

convaincre, il suffit de parcourir, le passage de Pothier12, dans lequel l'auteur résume la législation criminelle du temps.

68. Le droit criminel n'a formé, pendant longtemps, qu'une branche du droit privé. Jusqu'au treizième siècle, on ne trouve aucun traité qui lui soit exclusivement consacré. Les légistes se contentent de commenter les parties des recueils du droit romain relatives aux matières criminelles, en y rattachant, en quelque sorte, comme des appendices, les édits des souverains, les coutumes locales et les règles consacrées par la pratique judiciaire. Les canonistes, par exemple, ne font que commentér les décrétales, particulièrement celle d'Innocent III, qui avait régularisé la procédure dite inquisitoriale. Leurs œuvres, cependant, profitèrent davantage à la science du droit criminel que celles des légistes. Les canonistes du treizième siècle, qui méritent une mention particulière, par rapport au droit criminel, sont TANCREDUS, GOFFREDUS, Henri DE SEGUSIO ou OSTIENSIS, Guillaume DURANTIS 13.

Vers la fin du treizième siècle, le droit criminel paraît se détacher du droit privé, et nous commençons à rencontrer des traités spéciaux sur cette branche du droit. Le plus ancien de ceux qui sont parvenus jusqu'à nous est le Libellus de maleficiis, d'Albert DE GANDINO". Du quatorzième à la dernière moitié du seizième siècle, l'Italie donna naissance à un grand nombre

dont il publiait l'œuvre. Elle est cependant bien exacte. Le système de pénalité du droit moderne ne ressemble en rien au système de pénalité du droit ancien. Quant au système des incriminations, ce n'est que la partie irréductible qui a traversé les siècles. Mais les scories de ce système, les délits contre la religion et contre la chair, ont été abandonnées par le droit nouveau. Les observations de FAUSTIN HÉLIE ne sont exactes que dans leur application à la procédure criminelle, trop imprégnée, encore aujourd'hui, de l'esprit du temps passé.

12 Traité de la procédure criminelle, sect. V, § 6.

13 On trouvera des renseignements sur la vie et les œuvres de ces canonistes dans Albéric ALLARD, Histoire de la justice criminelle au seizième siècle.

14 Ce livre fut écrit vers le milieu du XIe siècle (1262 probablement). Il a été imprimé pour la première fois à Venise en 1491.

de criminalistes, dont les œuvres, profondément oubliées aujourd'hui et qui méritent en partie de l'être, ont eu cependant une influence prépondérante sur la pratique judiciaire, non seulement en Italie, mais encore en Allemagne, dans les PaysBas, en Espagne et en France.

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Dans la dernière moitié du seizième siècle, la jurisprudence participe à l'essor scientifique qui caractérise cette période de l'histoire. Parmi les jurisconsultes de cette époque, nous citerons 1° pour les Pays-Bas, Josse DAMHOUDER, dont le Praxis rerum criminalium a exercé une si grande influence en Allemagne 16; pour l'Italie, Julius CLARUS 7, qui fut le criminaliste le plus distingué de son siècle, et Prosper FARINACCIUS, dont les ouvrages sont encore cités aujourd'hui. Le droit criminel prend un caractère plus scientifique au dix-septième siècle, grâce aux travaux de deux jurisconsultes allemands, Benoît CARPZOW et Antoine MATTHEUS. L'ouvrage du premier a pour titre Practica nova imperialis Saxonica rerum criminalium in partes tres divisa 1o. Il fut réimprimé bien souvent et servit, pendant tout un siècle, de guide aux tribunaux qui considérèrent les opinions et les décisions qui y étaient émises comme de véritables lois. Dans son traité, De criminibus, le second exposa les principes du droit criminel romain, en le dégageant des interprétations erronées et des applica

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15 Parmi ces criminalistes, je citerai: Hyppolyte DE MARSILIIS (mort en 1529), auteur de la Practica causarum criminalium (Lugduni, 1529); Agidius Bossius (mort en 1546).

16 Cf. HAUS, La pratique criminelle de Damhouder et les Ordonnances de Philippe II, 1871. Damhouder est mort en 1581.

17 Julius Clarus est mort en 1575. On a de lui des Sententiarum receptarum libri V, dont le 5e livre contient le droit criminel.

18 Les œuvres de Prosper FARINACCIUS sont considérables: elles ont paru en 1597. Elles ont été réimprimées à Lyon, en 1634, en 9 volumes in-folio. FARINACCIUS mourut à Rome en 1613. MM. CHAUVEAU et HÉLIE, dans leur Théorie du Code pénal, invoquent souvent l'autorité de ce jurisconsulte.

19 Il fut publié, pour la première fois, à Witemberg en 1635 et réimprimé à un très grand nombre d'éditions. La dernière et la meilleure édition a été publiée en 1758 par S. Fr. Boehmer, à Francfort.

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