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2o Cette première erreur eut pour conséquence une seconde erreur, plus grave encore la suppression des peines perpétuelles privatives de liberté. La peine des fers, qui suit immédiatement la peine de mort, ne dépasse pas vingt-quatre ans. En effet, dans un système pénal qui ne connaît pas le droit de grâce, il est impossible de donner place à des peines perpétuelles, car on enlève tout espoir au condamné, et, par conséquent, le mobile le plus puissant du repentir, si on ne lui laisse pas entrevoir la possibilité d'une libération.

3o Enfin, et c'est là le vice capital de cette législation, en matière d'infractions punies de peines afflictives ou infamantes, on fixa la peine, pour chaque fait, d'une manière invariable, sans maximum ni minimum, entre lesquels le juge pût au moins se mouvoir. L'Assemblée constituante «< ne crut pas pouvoir, dit Treilhard dans l'exposé des motifs du Code pénal de 1810, resserrer dans des limites trop étroites la délégation de pouvoir faite à la magistrature: elle régla, en conséquence, avec une grande précision, la durée de la peine qui devait être appliquée à chaque fait particulier et elle voulut qu'après la déclaration du jury, la fonction du juge fùt bornée à l'application mécanique du texte de la loi ». Ainsi, en haine de l'arbitraire, dont l'ancienne jurisprudence avait tant abusé, on s'était jeté, comme en supprimant le droit de grâce, dans l'excès contraire, et on avait enlevé au juge la faculté de proportionner la peine à la culpabilité individuelle et variable des condamnés. Il en résultait que la peine se trouvait fréquemment hors de proportion avec le fait qu'elle avait pour objet de réprimer, et que les jurés, transigeant avec leur conscience, préféraient déclarer l'accusé non coupable que de provoquer contre lui l'application d'une peine qu'ils jugeaient exagérée.

75. Le Code pénal de 1791 régissait encore la France lorsqu'il fut remplacé, en 1810, par le Code pénal actuel. Mais quelques lois additionnelles avaient modifié certaines de ses dispositions. Ainsi, la loi du 22 prairial an IV était venue punir la tentative de tout crime. La loi du 25 frimaire an VIII avait établi un maximum et un minimum pour chaque peine. Le sénatus-consulte du 16 thermidor an X avait restitué le droit de

grâce au premier consul. C'étaient là autant de changements heureux. Par contre, la loi du 23 floréal an IX avait rétabli la peine de la marque, supprimée par l'Assemblée constituante.

Tels sont les précédents immédiats de la législation qui nous régit. Nous retrouverons, à propos de chaque institution, la source où elle a été puisée et l'évolution qu'elle a subie.

§ XIII. DROIT PÉNAL ACTUELLEMENT EN VIGUEUR EN FRANCE

76. Droit pénal commun. Droit pénal spécial. 77. Droit pénal commun. 78. Code pénal de 1810. 79. Loi modifiant le Code pénal. - 80. Principales réformes dont ce Code a été l'objet depuis 1811. 81. Droit spécial. 82. Combinaison du droit commun et du droit spécial.

76. Le droit criminel, actuellement en vigueur en France et dans les colonies françaises, se divise en droit commun et droit spécial. Les dispositions du Code pénal de 1810, celles du Code d'instruction criminelle de 1808, et les lois qui s'y rattachent, pour les modifier ou les compléter, constituent le droit commun en matière criminelle. Le droit particulier comprend les lois spéciales, qui répriment les infractions non prévues par le

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§ XIII. Aujourd'hui, nos Codes criminels sont en vigueur dans la plupart de nos possessions coloniales. On trouvera l'énumération des actes par lesquels le pouvoir législatif ou le pouvoir exécutif ont promulgué nos Codes criminels aux colonies, dans une brochure de M. SAUVEL, Les Codes criminels des établissements français de l'Inde (Paris, 1884). Il existe, cependant, quelques règles spéciales à l'Algérie. Voy. JACQUEY, De l'application des lois françaises en Algérie, 1883; A. DESJARDINS, De l'application des lois criminelles en Algérie et dans les colonies (Revue crit., 1886, p. 1 à 18). Voy. sur la question générale de la législation des colonies: Paul ROUGIER, Précis de législation et d'économie coloniale (Paris, 1895), p. 64 à 77. Il y a lieu de remarquer, que, jusqu'en 1880, c'est le gouvernement qui, par des décrets, étend aux colonies le bénéfice des lois métropolitaines antérieures. Depuis 1880, le législateur prend soin, par des articles spéciaux insérés dans les lois civiles ou pénales qu'il vote, de les déclarer exécutoires dans les colonies. Dans les cas où il n'a statué que pour les grandes colonies, des décrets ont étendu les lois nouvelles aux petites colonies, toutes les fois qu'elles ont paru susceptibles de leur être appliquées. Voy. Répert. alph. du droit français, vo Colonie, nos 42 et 43.

droit commun et qui dérogent aux règles ordinaires de la procédure.

Cette distinction entre le droit pénal commun et le droit pénal spécial a toujours été faite dans les pays de codification, parce qu'elle s'impose comme une nécessité évidente. Un Code ne doit, en effet, renfermer que les règles générales et permanentes. Or, il est des infractions qui ne peuvent être commises que par certaines classes de personnes; telles sont les infractions militaires. D'un autre côté, il est un grand nombre de dispositions de police, dont l'exécution doit être assurée par une peine, dispositions essentiellement variables et temporaires. Essayer de réunir, dans un même Code, l'ensemble de ces délits et de ces lois, ce serait, d'une part, tenter une œuvre impossible, en donnant à ce Code un développement immense; d'autre part, faire une œuvre qui ne serait jamais complète et stable, puisqu'elle serait sujette à des augmentations, à des changements, à des modifications, sous l'empire de besoins nouveaux, ou par suite de la disparition des circonstances qui auraient donné lieu à telle ou telle mesure.

77. I. Le droit commun criminel a été plusieurs fois codifié, réformé et révisé depuis la Révolution de 1789. Il y a lieu, en effet, de distinguer, en ce qui concerne les lois criminelles et civiles, trois opérations législatives différentes la codification, qui édifie sur un plan nouveau l'ensemble d'une législation; les réformes qui modifient les Codes et qui leur donnent une vie nouvelle; les révisions qui les perfectionnent, sans en altérer cependant les règles fondamentales. Les dispositions du droit commun criminel sont aujourd'hui réunies dans deux Codes: le Code pénal et le Code d'instruction criminelle, qui remplacent les lois de l'époque intermédiaire. Voici quelles furent les circonstances et les vicissitudes de la confection de ces deux Codes.

Une commission, nommée, sous le Consulat, par un arrêté du 27 germinal an IX, et composée de MM. Vieillard, Target, Oudard, Treilhard et Blondel, avait été chargée de rédiger, en un seul Code, un projet embrassant, tout à la fois, les lois de fond et les lois de forme. En tête du projet, composé de 1169 articles, qui fut déposé par cette commission, étaient placées des obser

vations générales, rédigées, par M. Target, pour ce qui concerne la pénalité, et, par M. Oudard, pour la partie qui se rapporte aux dispositions organiques et à la procédure. Ces travaux furent immédiatement imprimés et adressés au Tribunal de cassation, aux tribunaux criminels et aux tribunaux d'appel, pour qu'ils eussent à présenter leurs observations. Ces observations, en général peu favorables à la législation de l'Assemblée constituante et de la Convention, manifestèrent une tendance vers un retour à l'ancien droit criminel3. Le 2 prairial an XII, l'Empereur ordonne la rédaction d'une série de questions fondamentales, sur lesquelles la discussion devait s'établir au Conseil d'État. Ces questions, au nombre de quatorze, sont soumises à ce grand corps, dans la séance du 16 prairial an XII. La discussion, qui s'établit sur ces bases, est bientôt ajournée pour se mettre d'accord sur l'organisation du nouvel ordre judiciaire. Cette difficulté, jointe à d'autres, tient en suspens, pendant trois

2 Ils ont été recueillis en un volume in-8°, qui a pour titre : Projet de Code criminel, avec les observations des rédacteurs, celles du Tribunal de cassation et le compte rendu par le grand juge, Paris, an XIII, Garnery, éd. -3 Observations des tribunaux d'appel sur le projet de Code criminel, 4 vol. in-4o, an XIII.

Parmi ces questions, voici celles qui concernent plus particulièrement le droit pénal: IX question : La peine de mort sera-t-elle conservée? — Xo question Y aura-t-il des peines perpétuelles? XIe question: La confiscation aura-t-elle lieu en certains cas? XII question Les juges auront-ils une certaine latitude dans l'application des peines? Y aura-t-il un maximum et un minimum qui leur laisseront la faculté de prononcer la peine pour plus ou moins de temps, suivant les circonstances? XIIIe question : Pourra1-on placer sous la surveillance certains condamnés qui auront subi leur peine, et pourra-t-on exiger, dans certains cas, des cautions de leur conduite future? XIVe question Yaura-t-il un mode de réhabilitation pour les condamnés dont la conduite aura mérité cette faveur?

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5 M. Cruppi, avocat général à la Cour de cassation, dans un discours de rentrée, prononcé en 1896, sous ce titre : Napoléon et le jury, a montré que la principale cause des retards apportés à la législation criminelle, est venue de la question du jury. « Napoléon ne peut supporter une juridiction qui, malgré les précautions savantes du recrutement administratif, risquera sans cesse d'échapper à son pouvoir : il fait pour l'anéantir des tentatives répétées, mais il se heurte à des résistances. Le jury trouve dans le pays, dans l'élite des jurisconsultes, d'énergiques défenseurs ».

ans, les projets de codification. Lorsqu'on reprit la discussion, en janvier 1808, on sépara les lois de forme et les lois de fond : les premières furent présentées au Corps législatif dans un projet de Code d'instruction criminelle, les autres, dans un projet de Code pénal. Le premier fut décrété à la fin de 1808; le second, au commencement de 1810. On attendit, pour mettre en activité les deux Codes, que la magistrature, réorganisée par la loi du 20 avril 1810, fût régulièrement instituée. Ces deux Codes eurent donc force obligatoire à partir du 1er janvier 1811.

78. Le Code pénal de 1810 est une œuvre tout à la fois de réaction et de reconstitution. Il a pour base les principes de l'école utilitaire et pour caractère d'organiser la défense sociale au moyen de l'intimidation. Les idées de justice ne paraissent avoir préoccupé le législateur que dans la mesure restreinte d'une certaine proportionnalité judiciaire de la peine au délit. Le Code pénal a adopté la division tripartite des infractions, des peines et des juridictions. Au point de vue des incriminations, c'est surtout par l'excès de la sévérité qu'il se distingue. Aussi trouve-t-on dans ce Code des incriminations injustes, telles que le délit de non-révélation de complot, des assimilations exagérées,

6 Voici, sur les principes philosophiques qui ont inspiré les rédacteurs du Code pénal, ce qu'on rencontre dans les Observations de TARGET, placées en tête du projet de Code criminel : « Il est certain que la peine n'est pas une vengeance cette triste jouissance des âmes basses et cruelles n'entre pour rien dans la raison des lois. C'est la nécessité de la peine qui la rend légitime. Qu'un coupable souffre, ce n'est pas le dernier but de la loi; mais que les crimes soient prévenus, voilà ce qui est d'une haute importance. Après le plus détestable forfait, s'il pouvait être sûr qu'aucun crime ne fût désormais à craindre, la punition du dernier coupable serait une barbarie sans fruit, et l'on ose dire qu'elle passerait le pouvoir de la loi. La gravité des crimes se mesure donc, non pas tant sur la perversité qu'ils annoncent, que sur les dangers qu'ils entraînent. L'efficacité de la peine se mesure moins sur sa rigueur que sur la crainte qu'elle inspire ». LOCRÉ, t. XXIX, p. 8. Ces observations expriment, avec la plus grande netteté, les doctrines de Bentham. Ce sont ces doctrines, en effet, que l'on trouve au fond des dispositions du Code pénal de 1810. Les traités de législation civile et pénale de Bentham avaient été traduits et publiés en 1802 par Dumont. L'influence de Kant ne s'est pas encore fait sentir en France, au moins dans les sphères officielles.

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