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teur ne s'est placé en face de ce problème, qui est le seul et le vrai problème du droit pénal moderne étant données les diverses classes de criminels, organiser des peines adaptées à chacune d'elles. Pourrait-il, du reste, le résoudre? Sans doute, il lui appartient d'organiser des mesures répressives pour les criminels d'occasion, des mesures exclusives pour les criminels incorrigibles, des mesures pénitentiaires pour ceux qui sont susceptibles d'amendement. Et malgré les améliorations dont il a été l'objet, il est incontestable que le Code pénal n'est plus en harmonie avec le milieu social. Si le système des incriminations a été étendu et assoupli par l'interprétation sagement et prudemment progressive de la Cour de cassation, dont l'admirable jurisprudence a su perpétuellement rajeunir notre vieux Code, le système pénal est resté bien insuffisant et bien défectueux, malgré les corrections successives et contradictoires qu'on lui a fait subir. A certains points de vue, l'échelle des peines est renversée. La réclusion est plus intimidante que les travaux forcés. La déportation, appliquée aux criminels politiques, est un non sens. Le bannissement, héritage des vieux Codes, ne peut être utilisé tel qu'il est édicté. L'emprisonnement, avec la promiscuité qui le caractérise, n'intimide pas, ne moralise pas et coûte cher au budget. Une refonte générale du système pénal et surtout du système pénitentiaire s'impose donc à la France. Mais après l'œuvre de la loi, vient l'œuvre du juge, et, pour nous, cette dernière est décisive. Il faut que la loi laisse aux tribunaux la latitude d'adapter les institutions exclusives, répressives et pénitentiaires, qu'elle a le devoir d'organiser, aux tempéraments divers des criminels. L'individualisation de la peine est donc une nécessité qui s'impose dans les Codes scientifiques de l'avenir, et l'institution des circonstances atténuantes, celle du sursis à exécution, celle de la libération conditionnelle, ne sont que des étapes dans la voie où il faut aiguiller les réformes 1o.

10 Une commission, chargée de préparer une réforme d'ensemble de toute notre législation pénale, a été instituée, en 1887, au ministère de la Justice. Le Journal officiel du 27 mars 1887 publie le rapport adressé, à ce sujet, par M. le garde des sceaux, au président de la République. A la suite de

81. II. Les lois spéciales sont de deux sortes. a) Les unes ont pour but de réglementer certaines matières; ce n'est qu'accessoirement qu'elles sanctionnent leurs dispositions par des mesures pénales. Nous citerons notamment, comme appartenant à cette catégorie: 1° la loi des 28 sept.-6 oct. 1791, dite Code rural; 2° la loi du 3 mars 1822 sur la police sanitaire; 3o la loi du 21 mai 1827, dite Code forestier; 4° la loi du 15 mai 1829 sur la pêche fluviale; 5° la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse; 6° la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. b) D'autres lois sont exclusivement pénales. Telles sont: 1° les deux Codes de justice militaire l'un pour l'armée de terre, des 9 juin-4 août 1857; l'autre, pour l'armée de mer, des 4-13 juin 1858; 2° les nombreuses lois sur les délits de presse, qui ont été toutes abrogées par la loi du 29 juillet 1881, qui forme le Code général de la presse en France.

82. Comment faut-il combiner le droit commun et le droit spécial? Les principes généraux du droit commun doivent recevoir leur application non seulement aux infractions réprimées par le Code pénal, mais encore à celles qui sont prévues par des lois et règlements particuliers. Ce principe admet, du reste, deux catégories d'exceptions: 1° les premières résultent des dispositions mêmes des lois et règlements spéciaux qui déro

ce rapport, est intervenu un décret, en date du 26 mars 1887, instituant cette commission et en désignant les membres. Cette première commission, après un travail de deux ans, a établi un projet, en 112 articles, intitulé: Livre Ier. Des infractions en général et des peines. On en trouvera le texte et l'analyse: Bulletin de la société générale des prisons, 1893, p. 157. MOLINIER et VIDAL, Traité théorique et pratique de droit pénal, t. II, p. 1 à 27. Pour la critique: Alfred GAUTIER, La réforme pénale en France et en Suisse (Rev. pén. suisse, 1894, p. 46 à 117); CHAMPCOMMUNAL, Examen critique et comparé du projet de Code pénal, 1896 (tirage à part du Journ. des parquets, 1895 et 1896). Je signalerai, au fur et à mesure, les modifications qui seraient apportées à la législation actuelle si ce projet était jamais adopté. Dans son ensemble, ce projet est assez médiocre. Il ne s'inspire d'aucune idée directrice et il a été accueilli, surtout à l'étranger, avec un enthousiasme modéré. La commission de réforme a été reconstituée le 30 juin 1892 et divisée en quatre sections: crimes et délits contre la chose publique, contre les personnes, contre la propriété, lois spéciales.

gent expressément aux règles générales de fond et de forme qui constituent le droit commun; 2° les secondes, des dispositions mêmes du droit commun qui parfois, comme en matière de circonstances atténuantes (C. p., art. 463), excluent de leur application les infractions prévues par les lois spéciales.

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83. Travail de codification et de modification du droit criminel. 84. Groupe des législations anglo-saxonnes. 85. Groupe des législations dérivant du 86. Groupe des législations d'origine germanique. Droit pénal russe.

Code français.

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83. Le droit criminel, en Europe, est, presque partout, en voie de codification et de transformation 1. Les principales tendances qui se font jour dans ce mouvement général con

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§ XIV. La codification, en matière de droit criminel surtout, constitue une nécessité des temps modernes. Elle assied et met hors de discussion les devoirs de chacun; elle en assure l'observation, parce qu'elle en vulgarise la connaissance; enfin, elle supprime l'arbitraire. Elle répond ainsi à ce besoin de tout gouvernement libre, la fixité et la publicité du droit. Il n'est donc pas étonnant que ce travail de codification, qui marque la fin du siècle dernier, se soit étendu à toute l'Europe. A l'exception de l'Angleterre, — où les idées de codification ont cependant fait bien des progrès tous les pays de l'Europe ont aujourd'hui codifié leur droit criminel. Le premier volume de La législation pénale comparée, publiée par l'Union internationale de droit pénal, sous la direction de Franz von LISZT, sous le titre : Le droit criminel des États européens (Berlin et Paris, 1894), développe, pour chaque pays, les fondements historiques de la législation actuellement en vigueur, résume, à grands traits, le contenu du droit pénal tout entier de ce pays et renvoie, avec exactitude, aux sources, à la littérature et à la jurisprudence. Cet ouvrage, indispensable à tout criminaliste, nous permettra d'être très bref sur les renseignements généraux de législation étrangère.

2 Ce mouvement général, pour la réforme de la législation pénale, déjà constaté par ORTOLAN en 1838 (Cours de législation pénale comparée, p. 39) est rattaché, avec raison, par l'éminent criminaliste, à la révolution sociale de 1889. On peut comparer le tableau du mouvement législatif qu'il traçait, en 1838, avec celui que nous traçons en 1897 (p. 44 à 30). Voy.

sistent à mettre les lois criminelles d'accord avec les principes qui font reposer le droit de punir sur la justice, en limitant son exercice par l'utilité sociale, et à organiser, dans la procédure, de nouvelles garanties en faveur des accusés. Dans quelques pays, les réformes du droit criminel sont achevées; dans quelques autres, elles sont en cours d'exécution ou s'achèvent.

On peut former, des principales législations criminelles, quatre groupes distincts . Dans le premier, figure une législation complètement originale, celle de l'Angleterre. Dans le second, rentrent les législations qui se sont inspirées plus ou moins des mêmes sources que la législation française, comme les législations belge et italienne. Le troisième groupe comprend les législations d'origine germanique. Le quatrième, la législation

russe.

84. I. La législation criminelle anglaise a peu subi l'influence romaine: elle est presque entièrement germanique. C'est à l'institution du jury, conservée et développée, qu'elle doit ses caractères particuliers. Jusqu'ici, elle n'a pas été codifiée, et forme un chaos qui rend très difficile l'administration de la justice pénale. Elle repose, en effet, sur trois bases: le droit commun (commun law), le droit statutaire (statute law), la jurisprudence des cours, en tant qu'elle est stable. Un des criminalistes les plus estimés de l'Angleterre, sir Stephen, pour démontrer la possibilité et même la facilité d'une codification, a publié, sous le titre de « Digest of the criminal law », un recueil méthodique et résumé du droit criminel en vigueur sur les incriminations et les peines. Cette œuvre n'a pas seulement attiré l'attention du monde savant, le gouvernement anglais y a puisé l'idée de présenter un projet de Code pénal sur les «< indictable offences », c'est-à-dire sur les infractions les plus gra

BIRBAUM, De peculiari ætatis nostræ jus criminale reformandi studio (Louvain, 1828); BERGE, De la réforme du droit criminel en Europe (Rev. gén. du droit, 1878, t. III, p. 297, p. 375).

3 Dans ce groupement, il est à peine besoin d'avertir le lecteur que nous nous plaçons surtout au point de vue d'une comparaison avec notre législation nationale.

4 Londres, 1877.

ves et sur la procédure à suivre pour les constater et les punir". Mais comme aucun des partis politiques ne s'est intéressé à cette réforme, il n'en faut plus parler. Les infractions se divisent en trois classes, à savoir: trahison, felonies et misdemeanors. Avant 1870, les biens d'un condamné pour trahison et felonies étaient. confisqués au profit de la couronne. Cette peine a été abolie par la loi 33 et 34 Vict. cap. 23. Parmi les peines principales, figure la peine de mort; le condamné à mort est pendu dans l'enceinte de la prison (capital punishment 1868). L'exécution de la réclusion, qui est la peine immédiatement inférieure, est réglée par différentes lois, réunies sous la dénomination de « The pénal servitude acts 1853 to 1894 ». Il y a trois espèces d'emprisonnement l'emprisonnement avec travail obligatoire; l'emprisonnement sans travail forcé; l'emprisonnement mitigé. La mise en pratique de ces diverses dispositions pénales a donné naissance à des essais de réforme pénitentiaire qui se sont produits, dans des conditions différentes, en Angleterre et en Irlande. Parmi les peines accessoires, figurent le placement dans une maison de réforme, le renvoi sous la surveillance de la police, la dégradation civique, la fustigation, l'obligation de

Sur ce projet, comp. G. Louis, Bull. de la soc. de légis. comp., 187778, p. 549; SWINDEREN, Le projet de Code pénal anglais (Revue de droit intern., 1875, p. 241). V. pour l'ensemble du droit pénal anglais : STEPHEN, Commentaries of the law of England (Londres, 1887, 4e éd.); History of the criminal law of England, t. 1, 2 et 3 (1883, Londres); RUSSEL, A treatise on crimes and misdesmeanors (3 vol., 6o éd. 1893); A. DE FONBLANQUE, L'Angleterre, son gouvernement, ses institutions, trad. par C. Dreyfus, chap. XVIII à XXI, p. 235 à 270 (Paris, 1881). Pour la procédure criminelle: MitterMAIER, Traité de la procédure criminelle en Angleterre, en Écosse et dans l'Amérique du Nord, trad. par Chauffard (Paris, 1868); A.-D. ELLIOT, Criminal procédure in England and Scotland Londres, 1878). (Ce dernier ouvrage, bien qu'un peu bref, est très instructif); Adolphe PRINS, Étude comparative sur la procédure pénale à Londres et en Belgique (Bruxelles, 1879); enfin, nous citerons l'ouvrage magistral de notre maître, M. GLASSON, Histoire du droit et des institutions politiques, civiles et judiciaires de l'Angleterre (6 vol., 1882). Comp. SCHUSTER, La Grande-Bretagne dans le droit criminel des peuples européens, p. 632 à 706.

• Voy. GLASSON, op. cit., passim; A. RIBOT, Le système pénitentiaire en Angleterre, Rev. des Deux-Mondes (no du 1er février 1873).

R. G. - Tome I.

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