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fractions moins graves, de peines de simple police, les infractions légères. Ce travail achevé, le législateur a pu dire: « Vous reconnaîtrez la gravité d'une infraction aux peines dont je l'aurai frappée. » C'est ce qu'il a fait, et pas autre chose dans l'article 1er du Code pénal. Cette classification repose donc, également et primitivement, sur la nature intrinsèque des actes punissables par rapport à leur gravité. Ce n'est pas cette classification qu'il faut critiquer, mais la manière dont le législateur a procédé en répartissant les infractions dans les trois compartiments qu'il a tracés. En d'autres termes, ce n'est pas de ce qu'une infraction est qualifiée crime, parce qu'elle est frappée de peines criminelles, mais de ce qu'elle est punie de peines criminelles, alors qu'en raison de sa nature, elle mériterait une peine correctionnelle, que l'on pourrait faire grief à la loi. C'est dans cette mesure et sur ce terrain seulement que les critiques seraient légitimes.

95. Il ne faut donc pas chercher, dans l'article 1er du Code pénal, ce que le législateur n'a pas voulu y mettre, c'est-à-dire un classement scientifique des infractions. Ce qu'on peut et doit demander à un Code, c'est une classification nette et pratique, et tel est bien le caractère de cette division des infractions en trois catégories 2.

2 Le Code pénal belge, révisé en 1867, a conservé cette classification. Elle est adoptée par le C. p. allemand, § 1, (Verbrechen. Vergehen. Uebertretungen). Telle est encore la division fondamentale des infractions dans le projet de Code autrichien (Bull. de la Soc. de législ. comp., 1876, p. 328), et le premier projet de Code pénal italien; mais elle est repoussée par le Code pénal des Pays-Bas, et le Code pénal italien de 1889 (V. LUCCHINI, Ancora e sempre contra la tripartizione dei reati nel progetto del Codice penale, Rivista penale, 1885, p. 429-439). L'Angleterre même, si on y regarde de près, nous offre une division analogue à la nôtre, sous les noms de félonies (crimes primitivement capitaux), misdemeanors (crimes ou délits inférieurs), et littl'offense (petites offenses ou offenses de simple police). Mais le projet de Code pénal anglais rejette cette classification comme ne correspondant pas à l'organisation des juridictions pénales. Comp. BERGE, Revue générale du droit, 1879, t. II, p. 301. Cette classification est également adoptée dans le projet du Code pénal russe (art. 1er). Le Code pénal espagnol, qui distingue trois espèces de peines, ne reconnaît que deux espèces d'infractions. Le Code pénal toscan rejette la division tripartite française et classe les infractions en deux

Les juridictions pénales, en effet, leur compétence, les formes de procédure à suivre devant elles ont été mises en rapport, par nos lois criminelles, avec la gravité des infractions, gravité qui se révèle à un signe matériel, toujours facile à déterminer la peine légale. Les cours d'assises sont organisées. pour juger les crimes; les tribunaux correctionnels, pour juger les délits; les tribunaux de simple police, pour juger les contraventions. Cette classification des infractions donne donc et c'est là sa principale utilité, - une règle sûre de compétence. Nous ne trouverons pas, en effet, malgré la multiplicité des juridictions répressives, au début d'un procès criminel, ces difficultés de compétence ratione materiæ, si fréquentes au début d'un procès civil, qui naissent principalement de la séparation des contentieux administratif et judiciaire, et de la division du contentieux judiciaire, en contentieux civil et commercial. Veut-on savoir quel ordre de tribunaux répressifs est

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catégories, délits et transgressions. Même classification dans les Codes de Malte (1854), du Pérou (1862), du Brésil (1830), des cantons de Vaud (1843), de Lucerne (1861), Zurich (1870), etc. Cfr. LACOINTA, Rev. du droit intern., 1872, p. 559; et sous l'art. 1er en note de sa traduction du Code pénal italien. Voy. la discussion à laquelle cette classification a donné lieu au congrès pénitentiaire de Paris en 1895 (Rev. pénit., 1895, p. 1004 et 1089). « Une des questions les plus controversées dans ce dernier quart de siècle, disait Ferri au Parlement italien, une de celles qui ont le plus préoccupé les quatorze ministres de la justice qui ont préparé le Code pénal italien, est la fameuse question de la division bipartite ou tripartite des infractions. Je vous avouerai franchement que si cette question a une certaine importance au point de vue de l'ordre et de l'harmonie architectonique d'un Code, elle n'en a aucune au point de vue de la défense des honnêtes gens contre les criminels. Qu'elles soient divisées en deux ou trois catégories, si vous ne vous mettez pas d'accord sur le moyen d'en défendre les sociétés, les malfaiteurs continueront à tuer et à voler ». FERRI, Il progetto Zanardelli di Codice penale, Rome, 1889, p. 34.

3 C'est bien ce caractère que Treilhard donnait, en effet, à la classification du Code pénal : « Le premier de ces articles, disait-il, définit les expressions de crime, délit, contravention, trop souvent confondues et employées indifféremment. Désormais, le mot crime désignera les attentats contre la société qui doivent occuper les cours criminelles. Le mot délit sera affecté aux désordres moins graves qui sont du ressort de la police correctionnelle; enfin, le mot contravention s'appliquera aux fautes contre la simple police». LOCRÉ, t. XXIX, p. 202.

R. G. - Tome I.

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compétent pour juger telle infraction, on recherche sa gravité, et, pour déterminer sa gravité, on se demande quelle peine lui est applicable. Cette classification est donc si intimement liée à nos institutions judiciaires qu'il serait impossible de les comprendre si on l'effaçait.

Plus on pénètre dans l'étude de notre législation criminelle, plus on apprécie le caractère, à la fois simple et pratique, de la classification adoptée par le Code pénal. Partout où il est nécessaire, au point de vue des règles de fond comme à celui des règles de forme, de prendre en considération la gravité de l'infraction, l'article 1° du Code pénal donne un diagnostic sûr, parce qu'il est matériel. Plus tard, on verra quel en est l'intérêt aux divers points de vue de la prescription, de la tentative, du cumul des infractions, de la récidive, de la complicité, des circonstances atténuantes. Dans la procédure, cette distinction a une grande importance en ce qui concerne l'instruction préparatoire, la détention préventive. Enfin, elle a longtemps dominé l'application de la loi française, soit quant à l'extradition, soit quant aux faits délictueux commis à l'étranger, et, malgré les dispositions nouvelles de la loi du 27 juin 1866, et le développement tous les jours plus grand de l'extradition, cette distinction tient encore, dans ces matières, une place considérable.

96. La seule difficulté sérieuse qu'elle ait soulevée naît de la distinction entre la criminalité légale et la criminalité judiciaire. Par suite de certaines circonstances, des faits que la loi punit, en général, de peines criminelles et qui sont, d'après leur nature intrinsèque, des crimes, ne sont plus réellement et dans l'application pratique de la loi par les juges, punis que de peines correctionnelles. Le problème qui se pose alors consiste à savoir si ces infractions prennent leur caractère dans la qualification qui leur est donnée, en conformité de la loi, par la poursuite ou le jugement dont elles sont l'objet, ou dans la peine qui leur est appliquée? - Pierre a été poursuivi pour « homicide volontaire », c'est-à-dire pour un fait qualifié crime : il a prétendu, devant la cour d'assises, qu'il avait été provoqué par sa victime en effet, le jury, tout en déclarant Pierre cou

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pable de meurtre, c'est-à-dire d'un crime, admet, en sa faveur, l'excuse légale de provocation, et la cour d'assises le condamne à cinq ans d'emprisonnement, c'est-à-dire, à une peine correctionnelle. Pierre est accusé de vol commis avec violence, fait qui est un crime, puisqu'il est puni de la peine des travaux forcés à temps; en déclarant Pierre coupable sur le fait principal et sur la circonstance aggravante, le jury lui accorde des circonstances atténuantes, et la cour, par application de l'article 463 C. p., ne le condamne qu'à cinq ans d'emprisonnement, c'est-à-dire à une peine correctionnelle. Les faits commis par Pierre, dans ces hypothèses, sont-ils des crimes on des délits? La question a de l'importance au point de vue de l'application des règles du droit criminel, et, par exemple, je ne cite que cet intérêt, au point de vue de la durée de la prescription. Pierre est poursuivi le 15 janvier 1897, et l'infraction a été commise le 2 février 1892 si l'infraction est un délit, et qu'il n'ait été fait aucun acte interruptif de prescription, Pierre doit être absous, car la prescription, en matière correctionnelle, s'accomplit par le délai de trois ans (C. instr. cr., art. 637). Il ne peut être condamné que si la cour d'assises reconnaît au fait dont l'accusé est déclaré coupable le caractère de crime. La question, que je pose ici, sera complètement discutée à propos de l'effet des excuses et des circonstances atténuantes. Dès maintenant, j'indique l'opinion qui me paraît la plus sûre, parce que seule elle est conforme au critère de la qualification des infractions posé par l'article 1er du Code pénal. Il faut distinguer entre les excuses et les circonstances atténuantes; les premières peuvent modifier le caractère même de l'infraction, les secondes n'exercent leur influence que sur la peine. En effet, l'article 1°r du Code pénal définit le délit : « toute infraction punie par la loi de peines correctionnelles »; or, le crime excusé n'est légalement puni que d'une peine correctionnelle. Il en est autrement des circonstances atténuantes dont l'effet ne modifie pas la peine légale, mais la peine appliquée par le juge. Si donc les excuses légales peuvent produire un déclassement de l'infraction, il n'en est pas de même des circonstances atté

nuantes.

§ III. CLASSEMENT DES INFRACTIONS AU POINT DE VUE
DE LEUR MORALITÉ

97. Délits. Contraventions.

97. En étudiant les dispositions d'une législation pénale, on remarque qu'il en est de deux catégories. Les unes punissent des faits condamnés par la morale, tels que le meurtre, le vol, le faux, l'escroquerie; les autres, des faits indifférents, tels que le fait, pour le ministre d'un culte, d'avoir procédé aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il lui ait été justifié d'un acte de mariage, préalablement reçu par un officier de l'état civil (C. p., art. 199). Dans ce dernier cas, la loi pénale crée des délits de droit positif (Quædam natura turpia sunt; quædam civiliter et quasi more civitatis)'. Il y a des faits intrinsèquement licites ou indifférents, qui sont commis sans dol, sans mauvaise intention et sans lésion directe aux droits d'autrui, et cependant le législateur peut trouver opportun de défendre ces actions ou de punir ces omissions, dans le but de pourvoir à la sécurité, à la prospérité des milieux sociaux, et de créer, dans l'esprit des citoyens, le sentiment même de cette sécurité et de cette prospérité. De sorte que, parmi les infractions, les unes prennent leur criminalité dans l'intention seule de l'agent, les autres se constituent, malgré la bonne foi de l'agent, par la simple contravention aux prohibitions ou aux prescriptions légales. Les premières rentrent dans l'exercice du pouvoir pénal de l'État; les secondes, dans l'exercice de son pouvoir de police, et le caractère qui sépare l'exercice de ces pouvoirs, c'est que le pouvoir pénal ne peut frapper que des faits immoraux et nuisibles, parce que son fondement est tout à la fois la justice et l'utilité sociale, tandis que le pouvoir de police peut frapper des faits, même innocents, parce que son seul fondement est l'utilité sociale 2.

§ III. Ulpien, loi 42, D., De verb. signific.

2 Le fondement des lois de police est évidemment tout autre que le fondement des lois pénales. Cfr. MONTESQUIEU, Esprit des lois, liv. XXII, chap. XXIV; Journal de droit criminel, art. 9642.

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