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Un certain nombre de Codes modernes ont substitué cette division bipartite, naturelle et nécessaire, aux divisions plus ou moins contingentes ils classent les infractions en deux catégories, les délits et les contraventions. Le Code pénal français n'exprime pas cette division, mais il la suppose implicitement. Dans la catégorie des infractions intentionnelles (délits) rentrent, en effet, les crimes et la plupart des délits correctionnels; dans la catégorie des infractions non intentionnelles (contraventions), les contraventions de police et quelques délits correctionnels, tels que les délits fiscaux (contrebande de douane, délits en matière de contributions indirectes, etc.), les délits de chasse, de pêche,

etc.

I. Il résulte déjà de cette constatation, soit au point de vue pratique, soit au point de vue théorique, que la distinction des crimes et délits, d'une part, des contraventions, de l'autre, est fondamentale aussi a-t-elle servi de base au législateur dans le dénombrement des infractions que contient la partie spéciale du Code pénal. Le livre IV est particulier aux contraventions; le livre III comprend à la fois les crimes et délits. Ce plan est l'inverse de celui qui avait été suivi sous la législation intermédiaire; à cette époque, deux Codes étaient consacrés, l'un aux crimes, l'autre aux délits de police correctionnelle et de police municipale. Le seul système législatif rationnel est de réunir, dans un même Code ou dans une même partie de Code, les crimes et les délits, qui sont des faits de même nature, et de consacrer aux contraventions un Code spécial ou une partie spéciale du Code général.

II. Mais il en résulte aussi que la classification tripartite n'est pas absolument parallèle à la classification tripartite des infractions. Ordinairement, sans doute, les crimes et les délits sont des infractions intentionnelles, les contraventions, des infractions non intentionnelles. Mais parfois le législateur frappe d'une peine correctionnelle, quelquefois même, d'une peine criminelle, la violation de certaines prescriptions de police dont la gravité intrinsèque est telle qu'une peine minime paraîtrait insuffisante. Ces infractions, qui, par leur nature, sont des contraventions, et, par la peine légale qui les frappe, des délits ou

des crimes, ressortissent certainement des tribunaux correctionnels ou des cours d'assises mais doit-on leur appliquer les règles des contraventions ou les règles des délits? Ne faut-il pas en faire une quatrième catégorie, en dehors des trois classes d'infractions prévues par l'article 1er du Code pénal? En examinant la question, on est parfois tombé dans une confusion qu'il est nécessaire de signaler et de prévenir.

Certaines infractions, frappées de peines correctionnelles et qualifiées ainsi de délits, sont punissables, quelle que soit la bonne foi de celui qui les commet. Que le prévenu ait eu conscience de l'illégalité de l'acte dont il se rendait coupable et ait voulu l'accomplir malgré cette conscience, ou qu'il ait àgi sans «< intention », la répression sera toujours encourue. Il existe donc, si l'on veut, des délits contraventionnels, comme il existe des contraventions délictuelles, c'est-à-dire des faits frappés de peines de simple police qui ne sont cependant réprimés que s'ils ont été commis avec intention (C. p., art. 475, § 8; 479, § 1 et § 9). C'est qu'en effet, le législateur français n'a pas uniquement tenu compte, dans les pénalités infligées aux diverses sortes d'infractions, de leur nature intrinsèque, punissant exclusivement de peines correctionnelles ou criminelles les délits, de peines de police les contraventions. La nature de la peine n'indique donc pas, d'une manière absolue, la nature du fait punissable au point de vue délictuel ou contraventionnel. C'est là un point certain et admis par une doctrine et par une jurisprudence

constantes.

3 FAUSTIN HÉLIE, dans sa Pratique criminelle (t. II, no 2), s'exprime ainsi à ce sujet « Mais à côté de ces deux classes d'infractions (les crimes et les délits), il faut placer une troisième catégorie de faits que la jurisprudence désigne sous le nom de contraventions correctionnelles ou de délits-contraventions... ». Cfr. également: BERTAULD, op. cit., p. 116, en note; BLANCHE, t. I, no 4.

Cfr. BLANCHE, t. I, no 4; CHAUVEAU et HÉLIE, t. VI, nos 2719, 2720; BERTAULD, Cours de Code pénal, p. 116; ORTOLAN, op. cit., t. I, nos 610, 611, 645, etc. Un auteur, il est vrai, sans contester, au fond, cette proposition, critique la forme sous laquelle nous la présentons. Il fait remarquer qu'on se méprend sur le rôle de l'intention en matière pénale. Pour lui, la question d'intention ne se pose pas relativement à toutes les infractions,

Mais doit-on tenir compte de la nature intrinsèque de ces délits pour les soustraire aux règles du Code pénal sur les délits et les soumettre aux règles des contraventions? Y a-t-il, entre les crimes, les délits et les contraventions, une catégorie de faits hybrides, sans sexe bien défini, qui ne seraient ni des délits ni des contraventions et qui, cependant, participeraient des uns et des autres? C'est sur ce point seulement que portent les difficultés. Elles se sont présentées particulièrement dans les hypothèses suivantes :

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En matière de complicité. La complicité, punie en matière de délit, ne l'est pas en matière de contravention (C. p., art. 59, 60). Des auteurs ont pensé qu'il fallait écarter la complicité pour tous les délits-contraventions prévus par des lois spéciales. Cette doctrine avait paru, à une certaine époque, dominante en jurisprudence. On peut aujourd'hui la considérer comme condamnée par suite d'une heureuse évolution de la Cour suprême, qui a déclaré les règles sur la complicité, applicables aux infractions aux lois sur la pharmacie : «< attendu qu'étant punies d'amendes supérieures à celles de simple po

mais seulement relativement à celles qui consistent dans un certain mal, dans un certain dommage causé à autrui. D'où il conclut que la question d'intention ne se pose pas dans la plupart des délits appelés contraventionsdélits (Cfr. VILLEY, De l'intention en matière pénale, La France judiciaire, 1876, t. I, p. 1 et 313; Fin des délits contraventionnels, La France judiciaire, 1886, t. X, p. 365 à 370). Mais il y a là, comme nous le démontrons, plus loin, une confusion entre l'intention directe, en l'absence de laquelle il n'existe pas, en général, de criminalité, et l'intention indirecte, par exemple, l'intention de nuire, dont la loi ne tient, en principe, nul compte pour effacer la culpabilité.

5 Cfr. BLANCHE, t. II, p. 140 et 141, no 70; BERTAULD, 4o éd., p. 500. Ce dernier auteur porta, à la tribune de l'Assemblée nationale, la doctrine qu'il avait soutenue, à propos de l'art. 2 de la loi sur la presse du 29 décembre 1875. La Cour de Caen s'appropria cette opinion en refusant d'admettre la complicité à propos d'une fausse déclaration contenue dans un paquet remis à une compagnie de chemins de fer, fait puni d'une amende de 16 à 3.000 fr.: 9 mai 1877 (D. 79.2.41). La Cour suprème, dans sa première jurisprudence, refusait également d'appliquer aux contraventions-délits les règles sur la complicité : Cass., 17 et 18 janv. 1867 (S. 67.1.365); 3 avril 1869 (S. 70.1.229); 7 avril 1870 (S. 71.1.258); 11 février 1876 (S. 76.1.233).

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lice, elles constituent des délits »; aux émissions d'actions d'une société dont le capital n'a pas été intégralement souscrit et dont chaque action n'a pas été libérée du quart conformément aux prescriptions de la loi du 24 juillet 1867 attendu que cette infraction, « quelque dénomination qu'on lui donne, est un véritable délit », parce qu'elle est punie de peines correctionnelles; aux contraventions à la loi sur les candidatures multiples (L. 17 juill. 1889, art. 4 et 6), en matière d'élections législatives, etc.

En matière de solidarité des amendes. L'article 55 du Code pénal établit que les individus, condamnés pour un même crime ou un même délit, sont tenus solidairement des amendes, des restitutions, des dommages-intérêts et des frais. Lorsqu'une même contravention de police est commise par plusieurs individus comme coauteurs ou comme auteurs principaux et complices, pour les contraventions à l'égard desquelles la complicité a été exceptionnellement admise par la loi, il est aujourd'hui bien certain que la solidarité ne peut être appliquée tout au moins aux amendes prononcées. Les infractions prévues et punies par certaines lois spéciales, qui participent de la contravention par les éléments constitutifs de leur criminalité, du délit par la peine dont elles sont passibles, rentrent-elles, comme les délits, dans les termes de l'article 55 du Code pénal, ou en sont-elles exclues comme les contraventions? La juris

6 Cass., 23 février 1884 (2 arrêts) (S. 86.1.233), et la note de M. Villey. L'arrêtiste, qui annote ces arrêts dans le (D. 86.1.427), fait remarquer, avec raison, que « ces décisions sont une nouvelle application du principe, déjà posé par la chambre criminelle, que toutes les fois que le législateur n'a pas manifesté une intention contraire, c'est à la règle posée par l'art. 1er C. p. qu'il faut s'attacher pour déterminer le caractère des infractions punissables et en déterminer les conséquences ». Comp. Cass., 20 avril 1888 (S. 90.1.425); Bordeaux, 11 mars 1891 (S. 91.2.164).

Cass., 25 février 1885 (S. 87.1.43). Cet arrêt est, du reste, critiqué dans le journal la Loi, nos des 8 et 9 avril et du 11 juin 1885. Mais il se rattache, nous le répétons, à une évolution de la jurisprudence de la Cour suprême.

8 Cass., 21 mars 1890 (S. 91.1.185).

prudence a longtemps hésité sur la question. Mais elle paraît décider aujourd'hui que l'article 55 ne s'applique pas seulement aux délits prévus par le Code pénal ou par des lois spéciales qui prononcent la solidarité, mais à tous les faits considérés comme délits par la loi pénale, c'est-à-dire à toutes les infractions que les lois punissent de peines correctionnelles, et qu'il n'y a aucune distinction à faire entre les délits ordinaires et ceux qu'on voudrait qualifier de contraventions-délits 1o.

En matière de concours d'infractions. La règle du noncumul des peines, édictée par l'article 365 du Code d'instruction criminelle pour les crimes et les délits, ne s'applique pas aux contraventions. En cas de concours de contraventions-délits, y a-t-il lieu de prononcer une seule peine ou autant de peines que d'infractions? La jurisprudence s'est généralement arrêtée à la première solution: elle a donc appliqué à ces infractions les règles écrites pour les délits ".

En matière de prescription.

Est-ce la prescription de trois

C'est ainsi qu'il a été jugé que la règle, d'après laquelle la solidarité des amendes est inapplicable en matière de contravention, s'étend même aux contraventions punies par une loi spéciale de peines correctionnelles : Cass., 20 mars 1865 (D. 65.5.225); 3 avril 1869 (D. 69.1.529); Rouen, 12 déc. 1872 (D. 73.1.393).

10 Sic, Cass., 5 déc. 1872 (D. 72.1.432). Cet arrêt est particulièrement intéressant en ce sens qu'il est un des premiers à avoir dégagé le caractère des contraventions-délits et à avoir posé le principe rationnel dont la jurisprudence ultérieure a fait l'application.

11 Cass., 11 janv. 1875 (S. 75.1.139); 28 janv. 1876 (S. 76.1.89); 1er déc. 1877 (S. 78.1.330); 13 juill. 1884 (S. 86.1.234); 22 avr. 1887 (S. 88.1. 397). Certains arrêts paraissent, il est vrai, en contradiction avec cette jurisprudence. C'est ainsi qu'il a été jugé que la règle de non-cumul n'est pas applicable aux infractions aux lois sur la police des chemins de fer (Cass., 27 janv. 1883, S. 85.1.403), non plus qu'aux infractions aux lois sur le travail des enfants dans les usines et manufactures (Cass., 9 juin 1883, S. 85. 1.282). Mais ce sont là des décisions qui s'expliquent par d'autres motifs; elles sont fondées sur ce qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 15 juillet 1845 et de celle du 17 mai 1874, qu'on a voulu appliquer à ces infractions les règles des contraventions en matière de concours d'infractions. Cfr. sur ce point du reste, une note de M. VILLEY, Sous Cass., 23 février 1884 (S. 86.1.233).

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