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qui représente l'esprit nouveau (scuola nuova), regarde comme des utopies les vieilles conceptions du droit pénal'. Les senti

C'est en Italie, sous l'inspiration de trois savants distingués, MM. LOMBROSO, GAROFALO et FERRI, qu'a surgi cette école néo-darwinienne qui n'aspire à rien moins qu'à transformer le droit pénal d'après les principes physiologiques et d'après l'anthropologie criminelle. Les ouvrages qui ont été publiés à ce sujet sont innombrables. Les deux plus importants sont : l'Uomo delinquente de Lombroso (Turin, Loescher, 4e éd., 1886); les Nuovi orizzonti di dirrito e procedura penale de Ferri (2o éd., 1886, Bologne). L'ouvrage a été traduit en français et refondu par l'auteur même, sous ce titre La Sociologie criminelle, Paris, 1893. Depuis 1880, une revue trimestrielle, dirigée par les trois savants que je viens de nommer, a été créée pour servir à l'étude de l'Uomo alienato e delinquente, sous le titre : Archivio di psichiatria, scienze penali ed antropologia criminale (Turin, Loescher, éd.). De son côté, Ferri publie à Rome, depuis 1890, une revue plus spécialement consacrée à l'étude des problemes sociologiques, sous le titre : Scuola positiva nella giurisprudenza penale. L'ouvrage de Lombroso a été traduit en français, sur la 4o éd. italienne, par MM. REGNIER et BOURNET, sous ce titre L'homme criminel (Paris, Germer-Baillère, 1887). Cette traduction est précédée d'une préface importante du Dr Ch. LETOURNEAU. Notre regretté collègue, M. Albert DESJARDINS, a fait, de cet ouvrage, une analyse pleine d'intérêt, sous ce titre : La méthode expérimentale appliquée au droit criminel en Italie (Bull. Soc. gén. des prisons, 1886, p. 1043 à 1065; id., 1887, p. 50 à 63). On trouvera une bibliographie complète des ouvrages parus dans les différents pays sur ce sujet en Appendice à la Sociologie criminelle de Ferri (éd. française). L'excellente revue allemande, fondée, en 1880, par MM. DOCHOW et von LISZT, sous le titre Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft (Berlin et Leipzig, Guttentag, éd.), consacre une large place à l'étude des questions de sociologie criminelle. Enfin, cette branche des sciences sociales a un organe en France, depuis 1886, dans une revue qui paraît sous le titre : Archives de l'anthropologie criminelle (Lyon, Paris, Bruxelles) et qui a été fondée par MM. Lacassagne, Garraud, Coutagne. Depuis 1893, cette revue, dirigée par MM. Lacassagne, pour la partie scientifique, et Tarde, pour la partie juridique, a comme sous-titre, Archives d'anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique. La France, du reste, a été, dans cet ordre d'idées, un précurseur au point de vue des sources que l'école italienne a mises en œuvre. On a pu dire, avec raison, que « l'anthropologie, fille de Broca, la statistique, fille de Quetelet », étaient deux méthodes essentiellement françaises. Un premier congrès d'anthropologie criminelle a été tenu à Rome en 1885. On en trouvera le compte-rendu dans les Archives de l'anthropologie criminelle, 1886, t. I, p. 86, 167, 279. Voy. Actes du premier congrès d'anthropologie criminelle (Biologie et sociologie criminelle), Rome-Turin,

ments conservateurs des partisans de la première, l'esprit révolutionnaire des partisans de la seconde les égarent égale

ment.

La sociologie criminelle et le droit pénal ont, sans doute, un objet d'étude identique le crime et le criminel. Mais le point de vue auquel ils se placent, l'angle sous lequel ils le considèrent sont et doivent rester différents.

8. On sait que la loi pénale est édictée et mise en vigueur d'après cette supposition que tout homme, arrivé à un certain âge, est capable de la connaître et est responsable s'il la viole. Le législateur ne s'inquiète pas des individus : il punit «< quiconque » ou «< tout particulier » ou « tout fonctionnaire public »>, et présume, pour le discernement du bien et du mal, un type uniforme et moyen d'intelligence, pour la résistance aux impulsions coupables, un type uniforme et moyen de volonté. La science du droit pénal est bien forcée d'accepter cette hypothèse comme une vérité, de s'occuper du délit à un point de vue abstrait, comme si tout délinquant était également doué d'intelligence et de moralité et possédait cette moyenne de sentiments qui paraît être le patrimoine commun de l'humanité.

Mais, en fait, les criminels sont loin de se ressembler. Et lorsqu'il s'agit d'appliquer la loi, ce n'est pas un voleur, un assassin, un incendiaire, mais tel voleur, tel assassin, tel incendiaire qu'il faut punir. De là une première nécessité, qui s'impose aux législations de l'avenir: individualiser de plus en plus la peine et, pour cela, laisser au juge un pouvoir presque illimité dans l'application de la loi. Les précédents héréditaires et personnels de l'individu, l'éducation reçue, les conditions physiologiques, intellectuelles, économiques, le milieu physique et social où il vit : tout cela, qui est cependant inséparable de

Bocca, éd. Le second a été tenu à Paris, en 1889, et ses actes ont été publiés à Lyon (Storck, éd.) sous ce titre : Actes du deuxième Congrès d'anthropologie criminelle. Le troisième, à Bruxelles, en 1892. Le quatrième, à Genève, en 1896. Voy. le compte-rendu de ce dernier congrès par FERRI, Revue scientifique, 1896, p. 343. La physionomie de ces congrès a été bien différente (Voy. A. RIVIÈRE, Le Congrés anthropologique de Genève, Revue de droit public et de la science politique, 1896, no 5).

R. G.

Tome I.

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chaque action individuelle, n'entre pas dans les dispositions du législateur et dans les raisonnements du juriste, tandis qu'il s'impose au juge, qui doit s'en préoccuper dans l'application de la loi, de sorte qu'il faut aujourd'hui combiner le régime de la légalité du délit avec celui de l'arbitraire des peines, et établir un système pénal assez souple pour se prêter à toutes les mesures que nécessitera la condition individuelle du délinquant.

Une autre conséquence de ce point de vue nouveau, c'est que, pour organiser la défense des honnêtes gens contre les criminels, il faut tenir compte d'une distinction essentielle entre les condamnés primaires et les récidivistes, car il y a là deux aspects bien différents de la criminalité. Ceci nous amène à une observation essentielle sur la fonction sociale de la répression.

9. Aussi haut que l'on puisse remonter dans l'histoire des peuples, la pénalité apparaît, adaptée, dans son organisation et ses formes, à l'organisation et aux formes des sociétés ellesmêmes. Mais, partout et toujours, elle se présente comme une réaction sociale contre des actes antisociaux. Cette réaction, on la constate dans chaque phénomène de la nature. Elle apparaît, énergique et violente, dans les rapports des hommes entre eux. C'est une loi de l'existence même. Quand les premiers hommes, réunis en société, ont poursuivi et mis à mort un assassin, ainsi qu'ils avaient coutume de le faire pour un fauve dangereux, ils ont obéi à cette loi; ils ont lutté pour la vie sociale, comme ils luttaient, chaque jour, pour leur propre existence.

Sans doute, dans les temps primitifs, la pénalité est l'expression d'un instinct aveugle et spontané, n'ayant conscience ni de son but ni de ses effets.

Mais, lorsque l'État prend la direction de cet instinct, lorsqu'il en dirige toutes les manifestations, il en fait une fonction sociale, et la pénalité devient une force raisonnée, une arme forgée par la collectivité pour lutter contre le crime.

C'est à la combinaison d'un double élément que s'est mesuré, en tous temps, son degré d'énergie, sa puissance de répression. Quel est, en effet, le but essentiel et le résultat direct de la

pénalité? sinon de mettre le criminel dans l'impossibilité de recommencer, en lui enlevant les moyens de nuire. Ce n'est pas le malum passionis propter malum actionis, le mal pour le mal, c'est le mal pour désarmer et rendre impuissant le criminel. La souffrance, qui est au fond de toute peine, consiste, en effet, suivant les époques, dans la mort, le bannissement, la séquestration du criminel, la confiscation de ses armes; elle n'est pas le but de la répression; mais, par la nature même des choses, elle s'associe toujours au but véritable que la société a en vue, c'est-à-dire à la sélection artificielle, à l'élimination, par voie de justice, des éléments dangereux pour l'ordre public, individus et choses.

D'un autre côté, la menace même d'un mal, comme conséquence directe du délit, est de nature à donner au criminel les motifs qui lui manquent, ou à augmenter les motifs qui le portent déjà à s'abstenir de l'action coupable. Par ce caractère, la pénalité sert de moyen d'adaptation artificielle du criminel au milieu collectif. Un Code pénal est un Code de moralité sociale: il doit exprimer nettement ce qu'il faut faire et ce dont il faut s'abstenir pour rester un honnête homme au point de vue social. Et la peine est la contrainte qui engage à respecter ces conditions essentielles de la vie en commun. Ce rôle de la pénalité est encore accentué, dans le droit moderne, par la recherche de procédés de répression, propres à amender le criminel, pendant la durée du châtiment, et à le reclasser, après la libération.

Nos ancêtres ne comprenaient la pénalité que comme instrument d'élimination: ils envoyaient le criminel au bourreau, ils le condamnaient à l'exil, ou le jetaient dans des prisons, repaires de toutes les souillures et de toutes les hontes, convaincus d'avoir fait tout leur devoir en épargnant sa vie. Nous sommes aujourd'hui plus humains. Non seulement, la répulsion instinctive qu'éprouvent les peuples civilisés pour la peine de mort, fait de la prison la clef de voûte de l'édifice répressif; mais, dans la prison même, nous voulons arriver, sans violences ni rigueurs, par le seul ascendant moral, à l'amendement du coupable. C'est à la fonction d'adaptation de la pénalité que se rattachent toutes nos préférences.

Ainsi, le sentiment populaire et instinctif s'efforce de réaliser, en suivant le courant des idées et les besoins du moment, l'un ou l'autre de ces deux modes rationnels de réaction sociale. contre la criminalité.

Mais l'avenir scientifique du droit pénal est dans leur combinaison, dans l'application, simultanée et distributive, de la loi d'adaptation et de la loi d'élimination, non plus seulement aux différents genres de crimes, mais aux différents types de criminels. Des études expérimentales récentes ont, en effet, mis en relief la distinction capitale, soupçonnée mais inutilisée par nos pères, des deux formes de la criminalité : la criminalité contingente et la criminalité permanente, la maladie individuelle et la maladie sociale.

Jetons, en effet, un coup d'œil, même superficiel, sur les classes criminelles qu'y voyons-nous? D'abord des délinquants d'occasion, dont la vie est régulière, dont les instincts sont droits, la force de résistance normale : une passion soudaine, un emportement irréfléchi, un affaissement passager de volonté les entraîne; mais, l'accès passé, la vie régulière reprend son cours. Vis-à-vis d'eux, la pénalité doit conserver sa force d'intimidation et d'adaptation, la prison peut devenir une école de réforme. Pour eux, le programme, tracé par la science pénitentiaire, dans sa belle devise: Parum est coercere improbos pœna, nisi probos efficias disciplina, n'est certainement pas une illusion.

Mais, à côté d'eux, il y a les endurcis, les incorrigibles, les délinquants d'habitude. C'est la véritable armée du crime, la corporation des réfractaires, dont la profession est d'attenter à la sûreté et à la propriété publiques. Ceux-là appartiennent aux races inférieures ils en ont les caractères, les instincts brutaux et violents, l'absence de sensibilité physique et morale, tous les indices de natures incultes. Ceux-là appartiennent aux classes déshéritées ils en ont les misères et les vices.

Peut-être, avant de glisser, dans la voie du crime, de l'accident à l'habitude, avant la consolidation néfaste de l'habitude par l'organisation professionnelle, sont-ils tombés, victimes, eux aussi, de la grande iniquité économique? Peut-être n'ont-ils pas trouvé place au banquet de la vie? Ont-ils été repoussés des

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