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double limitation' s'appuie sur cet unique motif qu'en 1832, on n'a eu d'autre intention, en édictant la dernière disposition de l'article 471, que de confirmer la pratique antérieure et d'éviter aux tribunaux de recourir aux dispositions surannées de la loi de 1791 sur la police rurale et du Code de brumaire an IV. 122. Le principe de la séparation des pouvoirs exécutif et législatif a subi, à diverses époques, et par l'effet de nos révolutions, certaines éclipses, et nous ne serions pas complet si nous ne signalions, en note, les actes irrégulièrement rendus par des pouvoirs réguliers, ou les actes rendus par des pouvoirs irréguliers, qui sont considérés comme ayant force de loi et qui s'ajoutent ainsi aux sources du droit criminel '.

7 La jurisprudence, qui refuse la sanction pénale aux décrets dans d'autres circonstances, a été surtout affirmée par deux arrêts importants: 1o un arrêt du 13 décembre 1851, par lequel la Cour de cassation a décidé que l'article 2 de l'ordonnance du 24 octobre 1814, sur la presse, n'était sanctionnée par aucune peine et que l'inaccomplissement de la formalité prescrite aux imprimeurs par cet article ne saurait être réprimé par l'application de l'article 471, § 15; 20 un arrêt du 23 octobre 1886, déjà cité, par lequei la Cour de cassation décide que le décret du 22 décembre 1812, qui interdit l'ouverture d'une chapelle domestique sans autorisation du gouvernement, n'est pas sanctionné par l'article 471, § 15, du Code pénal.

8 Ainsi, il a été rendu, de 1804 à 1814, des décrets relatifs à des matières législatives qui auraient pu être attaqués, dans les dix jours, devant le Sénat, comme inconstitutionnels (Const. 22 frim. an VIII, art. 37), mais qui, faute d'avoir été l'objet de ce recours, sont considérés, par la jurisprudence, comme ayant acquis force de loi (Cass., 3 févr. 1820; 24 août 1832, D., J. G., Poudres et salpêtres, n° 20): tels sont notamment les décrets du 6 avril 1809 et du 26 août 1811, qui frappent de confiscation, de mort civile et même de mort, les Français, restés dans un pays étranger en guerre avec la France, et y occupant certaines positions civiles ou militaires; qui frappent de confiscation les Français naturalisés en pays étranger sans autorisation. Il faut observer, toutefois, que la confiscation et la mort civile ont disparu du système pénal et que la peine de mort a été abolie en matière politique. 9 Ainsi, pendant la période dictatoriale qui s'est écoulée depuis le 2 décembre 1851 jusqu'au 29 mars 1852, de nombreux décrets ont été rendus; ils ont reçu force de loi en vertu de la constitution du 14 janvier 1852 (art. 58). Il en est de même des décrets rendus par le gouvernement de la Défense nationale, du 4 septembre 1870 au 16 février 1871 ceux qui n'ont été ni abrogés ni modifiés ont force de loi, ainsi qu'il résulte de la discussion qui s'est engagée, sur ce point, à l'Assemblée nationale, les 13 et 16

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123. En dehors de l'interprétation privée des lois pénales, qui est du domaine des jurisconsultes et qu'on appelle, pour ce motif, interprétation doctrinale, on distingue deux espèces d'interprétation publique ou officielle, dont les caractères sont différents l'interprétation législative et l'interprétation judiciaire.

124. I. Le droit d'interpréter la loi, par voie de disposition générale, obligatoire pour les tribunaux, ne peut appartenir qu'au pouvoir législatif: Ejus est interpretari legem, cujus est condere. Ce principe a été admis et appliqué dans nos constitutions, depuis 1789 jusqu'en l'an VIII. Mais, après la promulgation de la constitution du 22 frimaire, le droit d'interpréter les lois fut confié, par le règlement du 3 nivôse an VIII et par la loi du 16 septembre 1807, au chef du gouvernement, en conseil d'État. De 1800 à 1814, le conseil d'État, agent du pouvoir exécutif, a donc rendu des avis ayant force de loi. La charte de 1814 a modifié cet état de choses, en restituant virtuellement le droit de développer le sens des lois au pouvoir législatif, qui l'a conservé depuis lors. C'est donc aux deux Chambres qu'il appartient aujourd'hui d'interpréter les lois. Cette interprétation est obligatoire pour les tribunaux, comme la loi ellemême. Nous nous demanderons seulement si les lois interprétatives peuvent avoir, en matière pénale, un effet rétroactif.

125. II. L'interprétation judiciaire est la recherche du sens de la loi faite par un tribunal, dans le procès, et seulement pour le procès qui lui est soumis (C. civ., art. 5). Cette interprétation

juin 1871 (Journ. off. du 15, p. 1204 et suiv.; du 16, p. 1385 et suiv.; du 17, p. 1395 et suiv.). V. également le rapport déposé par M. Taillefert, le 24 février 1872, au nom de la commission chargée par l'Assemblée de rechercher ceux qui, parmi ces décrets, ayant un caractère définitif, devaient être maintenus, modifiés ou supprimés (Impressions de l'Assemblée nationale, no 928).

est-elle interdite à un tribunal de répression? Nullement. Dans le cas où le texte de la loi est obscur, ce tribunal doit, comme un tribunal civil, se demander quelle a été l'intention du législateur et s'aider, pour faire cette recherche, de tous les procédés d'interprétation, de l'interprétation logique, comme de l'interprétation grammaticale: il peut aussi bien étendre que restreindre la portée littérale des textes. Mais, lorsque le sens de la loi pénale est clair, ou qu'il a été fixé par l'interprétation, le juge doit appliquer le texte à tous les cas qui sont compris dans ses termes, mais seulement à ces cas il ne lui est permis de créer, par analogie, par interprétation ou par induction, ni délit ni peine (C. p., art. 4). Cette règle est absolue, et elle constitue un contraste intéressant à relever entre la mission des tribunaux civils, dans l'application des lois civiles, et la mission des tribunaux répressifs, dans l'application des lois pénales. Le

§ X. Sur les principes de l'interprétation en matière pénale: FAUSTIN HÉLIE, Introduction aux Leçons sur les Codes pénal et d'instruction criminelle de BOITARD, p. XIII. Selon lui, l'interprétation de la loi pénale ne doit être ni restrictive ni extensive; elle doit être déclarative. C'est, en d'autres termes, l'opinion que j'adopte. On dit, en effet, parfois, que la loi pénale, lorsqu'elle manque de clarté, doit être interprétée d'une manière extensive en faveur de l'inculpé et d'un manière restrictive contre lui. Mais si cette règle était exacte, ce serait enlever au juge le droit de rechercher, sans autre préoccupation que celle de la vérité, le sens d'une loi pénale peu claire. Or, ce droit, le juge répressif le possède comme le juge civil. L'aphorisme de Bacon: Durum est torquere leges ut homines torqueant, a, tout au plus, la valeur d'un jeu de mot. Il faut non pas torturer, mais interpréter les textes. Les peines ne pouvant être infligées qu'en vertu d'une disposition expresse et explicite, le doute doit entraîner l'absolution de l'accusé : je le veux bien. Mais il n'est pas moins exact d'affirmer que le juge, avant d'absoudre, doit s'éclairer sur le sens et la portée de la loi. Cfr. HAUS, t. I, p. 148-151; LAFONTAINE, Une tendance de la jurisprudence dans l'application des lois pénales (Rev. crit., 1860, t. XVI, p. 164); MOLINIER, op. cit., p. 109; ORTOLAN, t. II, nos 1633 et suiv. Voy. Cass., 28 juillet 1893 (Lois nouvelles, 95.1.130;.

2 L'article 4 des dispositions préliminaires du Code civil italien s'exprime formellement sur ce point dans les termes suivants : « Les lois pénales et celles qui restreignent le libre exercice des droits, et font exception aux règles générales ou aux autres lois ne doivent pas être étendues en dehors du cas et du temps qui y est compris ».

tribunal civil, saisi d'un procès, doit le trancher en faveur du demandeur ou du défendeur; il ne peut s'abstenir de dire droit aux parties, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi. S'il le faisait, il se rendrait coupable d'un déni de justice (C. civ., art. 4; C. p., art. 185). Aussi dans le silence de la loi positive, les tribunaux civils peuvent et doivent recourir, pour juger les espèces qui leur sont soumises, soit à l'argument d'analogie, soit à l'argument d'équité. Telle n'est pas la mission d'un tribunal de répression. Sans doute, il ne peut s'abstenir de vider, par un jugement, le débat dont il est saisi; ce serait également un déni de justice, de sa part, que de se refuser à juger; mais il ne doit retenir l'inculpé dans l'instance et le condamner que s'il constate: 1° que les faits relevés à sa charge constituent tel délit prévu par telle loi; 2° que cette loi attache telle peine à la violation des injonctions ou des prohibitions qu'elle contient. Si ces deux conditions ne se rencontrent pas dans le procès qui lui est soumis, le tribunal doit. nécessairement renvoyer l'inculpé de la poursuite, car les peines sont de droit étroit et le silence de la loi profite aux accusés: nullum delictum, nulla poena sine lege (C. p., art. 4; C. inst. cr., art. 159, 299 et 364).

126. De ces principes résultent deux conséquences corrélatives :

1° Il est d'abord bien certain que les infractions à des dispositions d'ordre public et d'intérêt général, prohibitives ou impératives, qui ne sont sanctionnées par aucune peine expresse, net peuvent donner lieu à des poursuites devant les tribunaux de répression. C'est la conséquence la plus directe du principe de la légalité des peines. Mais la violation de lois d'ordre public peut-elle autoriser des mesures administratives? L'autorité, chargée de procurer l'exécution de la loi, peut-elle agir direc

3 Le Code pénal espagnol de 1870 contient, à ce point de vue, une disposition intéressante, dans son art. 2 « Dans le cas où un tribunal a connaissance d'un fait qu'il estime digne de répression et qui n'est point puni par la loi, il s'abstiendra de toute procédure et exposera au gouvernement les raisons qui le portent à croire que ce fait devait être l'objet d'une sanction pénale ».

tement pour supprimer ou faire disparaître l'état de fait contraire à la loi? Nous ignorons par quelle voie légale elle pourrait y parvenir. Toute exécution administrative se heurte, en effet, à l'inviolabilité de la propriété ou de la personne; et l'acte administratif constitue lui-même un délit, s'il se produit sans un jugement préalable', et s'il viole le droit de la personne ou celui

Je cite trois exemples. a) L'exercice de la profession de libraire, aux termes d'une loi du 21 octobre 1814 (art. 11 et 21), n'était pas libre; elle était soumise à l'obtention d'un brevet. Mais la loi précitée ne punissait d'aucune peine l'exercice de la profession de libraire sans brevet. Dans ces conditions, la Cour suprême avait décidé que le libraire poursuivi devait être renvoyé d'instance sans dépens et que le tribunal correctionnel n'avait pas le droit d'ordonner la fermeture de son magasin. Mais pouvait-il appartenir à l'autorité administrative de faire fermer l'établissement ouvert sans brevet? Sur la question, et dans le sens de l'affirmative, lisez les conclusions de l'avocat général QUÉNAULT, rapportées avec l'arrêt de Cass. du 7 nov. 1844 (S. 44.1.823). Mais par quelle voie légale l'administration pouvait-elle y parvenir? C'est ce que nous ne voyons pas. Aujourd'hui, du reste, la profession de libraire, comme celle d'imprimeur, est absolument libre. b) En admettant que les congrégations religieuses non autorisées constituent des associations illicites, il paraît certain que leurs membres ne tombent pas sous le coup des articles 291 et 292 du Code pénal. Le Code pénal vise uniquement les associations et non les congrégations, de plus les congréganistes habitent la même maison, ce qui exclut toute application de ces textes (on trouvera du reste des renseignements complets sur ce point dans le Rép. gén. alph. du droit français, vo Communauté religieuse, nos 558 et suiv.). Les membres d'une congrégation non autorisée ne peuvent donc pas être poursuivis devant les tribunaux de répression; mais l'autorité administrative a-t-elle le droit de procéder directement à des mesures de dispersion atteignant les individus? Cette question est examinée et résolue dans les deux sens opposés par les rédacteurs du Sirey, 1881 (S. 81.2.209 à 214; 3. 81 à 85. Voy. Rép. gén. alph. du droit français, nos 627 et suiv.). La même question pourrait être posée à propos de toute association illicite. Il y a là un ensemble de questions qui ont été posées et examinées, à propos de l'exécution administrative des décrets du 25 mars 1880, qui ont donné un délai de trois mois aux jésuites pour se dissoudre. c) L'article 44 de la loi du 18 germinal an X et le décret du 22 décembre 1812, qui interdisent l'ouverture d'un oratoire privé sans une autorisation administrative, sont encore en vigueur. Du moins, c'est ce que décide la jurisprudence. Mais un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 23 octobre 1886, déjà cité, décide que cette interdiction est dépourvue de toute sanction pénale. Dans ces conditions, l'autorité administrative a-t-elle le droit de pénétrer dans

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