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salles resplendissantes et des appartements dorés? Et sont-ils restés seuls, sans foyer, sans famille et sans Dieu, victimes et révoltés tour à tour? Mais, quelle que soit la cause de leur criminalité, elle est devenue irréductible. L'habitude et le goût de mal faire constituent désormais leur nature et ils recommenceront toujours, si on ne les met pas dans l'impossibilité de nuire. Voilà donc les ennemis de la société régulière, qui vivent d'elle et sur elle comme des parasites, et qui tendent toujours à former avec ceux qui leur ressemblent des concentrations dangereuses! Voilà ceux que nul châtiment n'intimide et que nulle prison ne réforme! Voilà ceux que la pénalité, retrouvant sa fonction directe et primitive, doit éliminer, sans pitié, d'un milieu social où il leur est désormais impossible de vivre!

Mais qu'est-ce qui distingue, qu'est-ce qui désigne les irréconciliables, dans la masse des criminels? Qu'est-ce qui mesure le degré de sociabilité qui leur reste?

Existe-t-il un critère anthropologique? N'existe-t-il qu'un critère sociologique de la criminalité inguérissable?

La réponse à cette question suppose l'examen et la recherche des facteurs de la criminalité.

10. Le second objet de la sociologie criminelle consiste, en effet, à rechercher les facteurs du crime, recherche difficile, car les phénomènes sociaux sont l'effet de causes multiples et complexes, qu'il est presque toujours impossible de dégager et surtout de doser. Le crime est l'œuvre d'un individu placé dans certaines conditions physiques et sociales. De là, une classification nécessaire des facteurs du crime en trois groupes : les facteurs physiques ou naturels, les facteurs sociaux, les facteurs anthropologiques ou individuels.

Les premiers constituent le milieu physique du crime : Sur quel sol a-t-il été commis? Dans quel climat? Par quelle température? Ce milieu est loin d'être indifférent à la production et au développement de la criminalité. La statistique démontre son influence, restreinte, il est vrai, mais, cependant, effective. On sait, par exemple, que les crimes ont, en quelque sorte, leur calendrier: il en est, comme les crimes de sang, qui sont plus fréquents en été; d'autres, comme les vols, qui se produi

sent plus souvent en hiver. Les climats ont aussi leurs crimes spéciaux, comme ils ont leurs maladies spéciales.

La seconde catégorie de facteurs constitue le milieu social du crime; il se compose d'éléments multiples, tels que la population, l'émigration, l'opinion publique, la production agricole ou industrielle, l'organisation économique et politique, etc. A ce point de vue, il y a des milieux sociaux favorables à la santé morale; d'autres, où la criminalité se développe comme la moisissure sur le fumier.

Les facteurs anthropologiques ou individuels, tels que le sexe, l'âge, l'hérédité, le tempérament, l'organisme, se divisent en facteurs héréditaires, acquis et occasionnels. A cette classification abstraite, correspondrait, d'après certains, une division des criminels, en délinquants nés criminels, en délinquants d'habitude et délinquants d'occasion; et, comme il faut toujours distinguer l'habitude faite de l'habitude en voie de formation, les criminels d'habitude se subdiviseraient, eux-mêmes, en criminels corrigibles et criminels incorrigibles.

Le crime est-il exclusivement la résultante de l'action simultanée de ces trois ordres de facteurs naturels? Quelle est, sur le développement de la criminalité, leur influence respective? Ces questions ont déjà fait naître bien des théories. Trois écoles se trouvent en présence: a) L'école anthropologique donne la prédominance au facteur biologique, en soutenant qu'il existe un «< penchant au crime », conditionné par certaines tares organiques; b) L'école sociologique soutient que le crime est un produit social, déterminé par les conditions du milieu dans lesquelles vit et a vécu le délinquant, de sorte que les sociétés ont les criminels qu'elles méritent, parce que ce sont elles qui les créent; c) L'école historique fait de la prédominance de l'un de ces facteurs sur les autres une question de temps et de civilisation. Plus la criminalité d'une nation appartient au «<< stade moderne », plus les causes sociales y prédominent sur le climat, la race, la constitution, l'organisme.

D'après ces trois écoles, la liberté humaine ne jouerait aucun rôle dans la production des faits criminels le déterminisme naturel et humain, conclusion fondamentale de toutes les

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Nous avons déjà effleuré cette question du déterminisme : nous avons dit quelle part il fallait faire à la nécessité et à la liberté. Nous allons seulement nous expliquer sur l'influence des causes de la criminalité.

11. Le classement des facteurs du crime conduit à poser, en effet, deux questions: 1° Existe-t-il des moyens de prévenir ou de combattre le développement de la criminalité; 2o Et, s'il en existe, quels sont-ils? C'est le côté prophylaxique et thérapeutique de la sociologie criminelle.

I. Au premier point de vue, il faut se garder d'une double

illusion.

« La sociologie criminelle, a-t-on dit 10, ne répond qu'à une nécessité transitoire en réalisant le diagnostic et la genèse naturelle et sociale du crime, elle en indique nécessairement les vrais remèdes, bien plus efficaces que les peines, de sorte qu'elle se creuse son tombeau à elle-même. Dans l'avenir social, le crime ne sera qu'un fait de pathologie exceptionnelle, et la science et la justice sociale auront bien peu à s'en occuper, donnant, dès lors, leur attention et leurs soins, bien plus féconds et utiles, aux honnêtes gens qui restent tels malgré leur misère et leur souffrance ». C'est un des côtés de l'illusion socialiste, laquelle, dépouillée de ses formules sonores, se ramène à l'affirmation d'un accord social, résultant de la collaboration spontanée des énergies libres.

En sens absolument contraire, on a vu, dans la criminalité, un phénomène normal et non une maladie sociale, étroitement liée aux conditions mêmes de toute vie collective, de sorte que la criminalité serait non seulement un phénomène inévitable, mais un facteur de la santé publique, une partie intégrante de toute société saine. « Le crime ne saurait être conçu comme on mal qui ne saurait être contenu dans de trop étroites limites; mais bien loin qu'il y ait lieu de se féliciter quand il

10 Ferri, dans son cours de sociologie criminelle à la nouvelle Université de Bruxelles (1895-96).

lui arrive de descendre trop sensiblement au-dessous du niveau ordinaire, on peut être certain que ce progrès apparent est à la fois contemporain et solidaire de quelque perturbation sociale». Chercher, dans le développement de la criminalité, un symptôme de progrès social, c'est confondre deux sortes d'augmentations de la criminalité : celle qui tient à ce que la conscience publique, devenue plus délicate, considère comme délictueux des actes qui semblaient autrefois indifférents out même louables; et celle qui tient à ce que des actes, universellement et immuablement criminels, deviennent de plus en plus nombreux. Dans le premier fait, il y a un progrès de la conscience sociale; dans le second, il y a un abaissement de la moralité collective.

Ces deux opinions optimistes sont donc également paradoxales. Ce qu'il y a de vrai et de certain, c'est que la criminalité, qu'elle soit déterminée par l'organisme ou par le milieu, est un fait humain, et que le crime existera toujours comme une manière d'être et d'agir de l'individu, avec des hauts et des bas résultant de causes diverses et complexes. Il y aura toujours des criminels, comme il y aura toujours des pauvres parmi nous; la criminalité et la misère sont des maladies sociales qu'on peut espérer atténuer mais non faire disparaître.

II. Une des principales missions de l'État, c'est précisément de lutter contre la criminalité envisagée comme phénomène social. De quels moyens dispose-t-il dans ce but? Il ne peut évidemment diminuer la criminalité qu'en agissant sur les facteurs du crime. Mais, à ce point de vue, la mesure et l'efficacité de son action sont bien différentes suivant les cas, puisque, sans influence sur les facteurs physiques ou telluriques, l'État ne peut songer à modifier la constitution du sol, la température et le climat. Tout puissant, au contraire, sur les facteurs sociaux, il peut et il doit, par le développement du bien-être, de l'instruction, de l'éducation, de la religion, de l'exemple, en un

11 DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, p. 81. Un sociologue italien, Poletti, a également prétendu que la somme du travail honnête augmentant avec la civilisation, celle du travail malhonnête devait également augmenter (1 Diritto di punire e la tutela penale).

mot, par toute amélioration matérielle ou morale dans les rapports sociaux, agir sur le mouvement de la criminalité. Ce combat indirect contre le crime est du domaine de la politique économique et sociale. Le droit pénal n'y participe que par le régime de la peine. Mais l'action des institutions préventives, civiles, économiques et politiques, est supérieure à celle des institutions répressives, et Ferri a indiqué la voie dans laquelle il faut aiguiller la sociologie criminelle, celle des sostitutivi penali (substituts de la peine), c'est-à-dire des procédés qui rendent inutile la répression en prévenant la criminalité. Quant aux facteurs individuels, c'est sur eux que doit agir le droit pénal, c'est à ce point de vue surtout qu'il prend contact avec la sociologie criminelle.

12. De ces trois facteurs, ce sont, du reste, les facteurs anthropologiques et sociaux qui sont les plus importants. Or, suivant la nature de leur esprit, suivant la direction de leurs études, les uns devaient s'attacher de préférence aux facteurs anthropologiques, les autres, aux facteurs sociaux comme causes de la criminalité. C'est ainsi qu'au sein même de l'école positive, se sont formées deux écoles distinctes, l'école anthropologique et l'école sociologique.

13. Pour la première, le criminel est un anormal, un type spécial il diffère des autres hommes, soit au point de vue anthropologique, soit au point de vue psychique. Et, après avoir déterminé les prétendus caractères du « type criminel », l'école anthropologique les explique par diverses hypothèses. Son œuvre, à ce point de vue est double: la recherche des caractères du criminel; l'explication de ces caractères.

I. On a essayé d'abord de faire l'histoire naturelle de l'homme criminel, c'est-à-dire de tracer ses caractères physiques. Les matériaux, rassemblés dans ce but, appartiennent à deux groupes: a) Celui des précurseurs, dont on trouve la documentation. dans la phrénologie de Gall, la physiognomonie de Lavater, avec leurs exagérations autour d'un noyau positif de vérité, dans l'ouvrage de Lauvergne sur les forçats, de Camper, sur la physionomie des assassins, etc. b) Le groupe des fondateurs: les études de Lombroso sur les criminels depuis 1872 et la

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