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vère que celle qui est en vigueur au moment du jugement". 134. Ces principes soulèvent une double difficulté d'application.

a) De deux lois, successivement promulguées dans l'intervalle qui s'est écoulé entre l'infraction et le jugement, laquelle considérer comme la plus douce? Comment apprécier le plus ou moins de sévérité de deux lois? La question sera facile à résoudre dans cinq hypothèses: 1° la loi nouvelle fait disparaître une infraction ou la déclare non punissable, à raison soit de la qualité de l'agent, soit du lieu où elle a été commise; elle admet une excuse péremptoire; 2° elle substitue une peine correctionnelle à une peine criminelle'; 3° elle substitue une peine criminelle à une autre peine criminelle, appartenant à la même échelle de peines, et occupant, sur cette échelle, un rang inférieur à la peine qui était encourue; 4° elle substitue la peine de l'amende à la peine de l'emprisonnement. Dans ces hypothèses, le Code nous indique, par son organisation pénale, que la loi nouvelle est plus douce, et qu'elle doit s'appliquer, même

Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation dans deux espèces intéressantes: a) Un individu était accusé d'avoir commis divers vols avec violence et autres circonstances aggravantes, puni de mort d'après la législation pontificale: bientôt après, le Code pénal français de 1791 fut mis en vigueur en Italie; enfin, le Code pénal de 1810 lui fut substitué : le premier punissait ces crimes de la peine des travaux forcés à temps; le second, des travaux forcés à perpétuité. La Cour suprême jugea qu'on devait faire application de la législation de 1791. Cass., 9, 15 juillet et 3 septembre 1813 (D. J. G., vo Peine, no 1147). b) L'annexion de la Savoie à la France a donné lieu à une nouvelle application de la règle. On la trouvera rapportée dans MOLINIER, op. cit., p. 227 (C. d'assises de la Haute-Savoie, 19 déc. 1860, Le Droit, du 6 janv. 1861). Comp. HAUS, t. I, p. 185; BERTAuld, p. 173; CHAUVEAU et HÉLIE, t. I, p. 41; LE SELLYER, Traité de la criminalitė, t. I, no 25; ORTOLAN, op. cit., t. I, no 588.

7 La gravité d'une peine résulte, en effet, de la nature même de cette peine, du caractère que lui a imprimé la loi, et non de l'espace de temps plus ou moins long pendant lequel elle peut être subie: ainsi, la peine infamante de deux années de détention, prononcée par le Code pénal de 1791 pour outrage envers un magistrat dans l'exercice de ses fonctions, a été considérée, avec raison, par la jurisprudence, comme étant plus grave que la peine correctionnelle de deux à cinq ans d'emprisonnement portée par l'article 228 du Code pénal: Cass., 26 juillet 1811 (D. J. G., Lois, no 371).

aux faits antérieurement commis. On peut penser, sans doute, dans ces divers cas, qu'une peine qualifiée criminelle est moins sévère qu'une peine correctionnelle, soit à raison de sa durée, soit à raison de son régime (Bannissement, par exemple, ou Déportation). Mais cette appréciation individuelle ne peut prévaloir contre l'appréciation légale, c'est-à-dire le classement des peines que le législateur a cru devoir faire. 5° Il en est de même lorsque le concours s'établit entre deux lois prononçant des peines de même nature, mais de durée différente leur gravité se détermine par leur durée; la loi nouvelle est plus douce si la peine prononcée est plus courte. 6° Mais supposons que les deux lois infligent des peines de même nature, les travaux forcés, par exemple, qui ne diffèrent l'une de l'autre que par le minimum et le maximum; ainsi, un crime était punissable, au moment où il a été commis, des travaux forcés à temps, dont le minimum est de cinq ans, le maximum de vingt; une loi, promulguée avant qu'il soit jugé, fixe le maximum à vingt-quatre ans et le minimum à quatre ans. Il n'est pas possible de combiner les deux lois, car le juge ferait une loi mixte; il faut nécessairement choisir entre l'application de l'une ou celle de l'autre. A notre avis, la loi ancienne étant plus douce, puisque la peine, prononcée d'après ses dispositions, ne peut, en aucun cas, dépasser vingt ans, sera seule applicable. Pour déterminer la loi la plus douce, on doit donc s'attacher au maximum qui est prononcé par les deux lois, sans s'occuper du minimum 10. 7° Supposons que les deux lois modifient, en

8 Le système, d'après lequel le juge doit combiner les deux lois, appliquer celle qui établit le minimum le moins élevé, sans pouvoir excéder le maximum édicté par l'autre, a été plaidé par Dalloz aîné, devant la Cour de cassation, lors d'un arrêt du 1er février 1833. La Cour suprême n'a pas eu à examiner la question (D. 33.1.161). Mais cette opinion scinde les deux lois et en détruit ainsi l'économie. V. cependant, BLANCHE, op. cit., t. I, no 33. La réfutation de ce système a été très bien présentée par CHAUVEAU et HÉLIE, op. cit., t. I, no 22. Sur la question, on lira une note de Villey sous Cass., 14 avril 1882 (S. 85.1.401).

En sens contraire cependant: D. J. G., Lois, no 372; BLANCHE, t. I, n 33.

10 Comp. Tribunal correctionnel de Pont-l'Évêque, 1er août 1832, sous

même temps que la peine, la qualification des faits, en punissant, par exemple, d'une peine politique, un crime puni jusque-là d'une peine de droit commun, ou réciproquement; quelle loi appliquera-t-on? Celle qui prononcera la peine la moins élevée dans l'échelle générale des peines criminelles. Les articles 6 et 7 du Code pénal énumèrent, en effet, toutes les peines criminelles, dans leur ordre de gravité, sans distinguer entre les peines politiques et les peines de droit commun. Il y a, dans cette fixation, une présomption légale qui s'impose aux juges et qui les dispense de tout autre examen11.

b) Une autre difficulté peut se présenter dans l'hypothèse où les deux lois, successivement promulguées, ont des dispositions diverses, les unes plus favorables, les autres plus défavorables au prévenu. Ainsi, la loi, applicable au jour de l'infraction, prononçait une simple amende contre le délit; mais, elle autorisait le cumul de cette peine pour chaque infraction et elle ne permettait pas au juge de faire bénéficier le prévenu d'une déclaration de circonstances atténuantes. Une loi nouvelle est promulguée elle punit le délit d'un emprisonnement, mais lui applique la règle du non-cumul des peines; de plus, elle autorise, au profit du prévenu, une déclaration de circonstances atténuantes. Que décider dans ce cas? Le juge devra appliquer la pénalité ancienne, puisqu'elle est plus douce que la pénalité nouvelle; mais il devra faire, en même temps, bénéficier le prévenu des dispositions relatives aux circonstances atténuantes et au non-cumul des peines. Sera-ce créer une loi mixte? Nullement il ne s'agit pas, en effet, de combiner deux lois pour former une pénalité qui ne serait ni celle de la loi ancienne ni celle de la loi nouvelle, chose évidemment interdite au magistrat chargé d'appliquer et non de refaire la loi. Mais pourquoi lui interdire d'appliquer les deux lois dans ce qu'elles ont de plus favorable à l'accusé? En définitive, le juge, dans cette opinion, ne crée pas une disposition nouvelle, il applique deux

Cass., 1er février 1835, D. J. G., Lois, no 375; HAUS, t. I, no 193; BERTAULD, p. 172; LUCAS, Revue de législation, t. XI, p. 211 et 212.

11 C'est un des intérêts que présente l'échelle générale des peines criminelles des art. 6 et 7 du Code pénal.

dispositions, aux bénéfices cumulés desquelles le prévenu a un droit acquis 11.

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135. Cas où il est intervenu un jugement non définitif. Si avant la promulgation de la loi nouvelle, il est intervenu un jugement qui n'est pas encore irrévocable, parce qu'il est susceptible de voies de recours appel, opposition, pourvoi en cassation, il y a lieu de déterminer quelle législation doit être appliquée sur le recours formé. Il est certain que la loi, qui réduit ou supprime une peine existante, exerce son influence sur les faits non jugés, et même sur les condamnations, prononcées sous l'empire de la loi antérieure, mais encore susceptibles d'être réformées. Si donc, la condamnation est frappée d'appel, le tribunal d'appel doit acquitter, quand la peine est supprimée par la loi nouvelle, ou adoucir la condamnation, quand la peine. est simplement réduite. Lorsque la loi nouvelle, qui modifie la peine dans un sens favorable au condamné, intervient après un pourvoi en cassation, la Cour de cassation doit annuler l'arrêt, sans prononcer de renvoi, si le fait a cessé d'être punissable, ou bien, en rejetant le pourvoi, renvoyer devant le tribunal répressif pour appliquer au condamné la peine édictée par la loi nouvelle si la peine est simplement réduite. Ces points ne peuvent faire aucun doute 13.

12 Sur la question, on lira une note de M. Villey, sous Cass., 14 avril 1883 (S. 85.1.401). C'est ainsi que, parmi les dispositions de la loi du 26 mars 1891, les unes rétroagissent (les institutions du sursis, les conditions du délai et de spécialité exigées pour la récidive), les autres ne rétroagissent pas (l'institution de la petite récidive).

13 Une loi du 25 prairial an VIII, punissant de peines correctionnelles divers faits qui, auparavant, étaient considérés comme crimes, contenait, dans son article 13, une disposition ainsi conçue : Quant aux jugements rendus par les tribunaux criminels et contre lesquels il y a pourvoi, si le Tribunal de cassation les confirme, il renverra l'affaire devant lesdits tribunaux pour appliquer aux condamnés la peine mentionnée en la présente... Cette disposition, qui n'est reproduite par aucun texte de la législation postérieure, doit être considérée comme contenant l'expression d'un principe général, applicable à tous les changements de législations. Tel est notamment l'avis de : HAUS, t. I, nos 186, 196, 198; BLANCHE, t. I, n° 28; TRÉBUTIEN, t. I, p. 83; MORIN, Répert., vo Effet rétroactif, no 6. Si donc la peine est simplement diminuée, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi, renverra devant le

136. Cas où il est intervenu un jugement définitif.

Mais la loi nouvelle, qui supprime ou réduit une peine, profite-t-elle à ceux qui ont été définitivement condamnés sous l'empire de la loi ancienne? vaut-elle amnistie ou grâce partielle? En un mot, peut-elle exercer son influence sur les affaires terminées? La question est délicate car, si le ministère public doit faire exécuter les jugements passés en force de chose jugée, si aucun texte ne lui permet de paralyser l'effet des condamnations pénales, il faut reconnaître que, lorsqu'une loi nouvelle supprime ou réduit une peine, il est juste que cette mesure profite aux personnes qui ont été irrévocablement condamnées sous l'empire de la loi ancienne; une peine que le pouvoir social juge inutile ou exagérée ne doit plus recevoir d'application. On doit donc décider que si la loi nouvelle ne profite pas, de plein droit, aux condamnés, il est du devoir du législateur de leur appliquer,

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tribunal de répression, pour appliquer au condamné la peine édictée par la loi nouvelle. Mais si la peine est supprimée, une difficulté de procédure surgit. Est-il possible, en effet, de casser une décision de justice, régulièrement rendue, qui a fait au condamné une juste application des lois pénales existantes au moment où la condamnation a été prononcée ? Les art. 407 et s. C. instr. cr., permettent-ils d'annuler un arrêt, rendu en dernier ressort, pour violation d'une loi qui n'existait pas au moment où l'arrêt est intervenu? En présence de cette difficulté, un arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 1863 (S. 64. 1.509; D. 63.1.321) a déclaré, contrairement à l'opinion que nous soutenons, la loi postérieure à l'arrêt sans influence sur le sort du pourvoi. Cet arrêt contenait une véritable erreur, puisque le principe de la rétroactivité des lois plus douces doit exercer son influence tant qu'il n'est pas intervenu un jugement définitif. Aussi la Cour de cassation n'a pas maintenu sa jurisprudence. Elle décide, aujourd'hui, que la loi nouvelle doit profiter au condamné qui a formé un pourvoi en cassation: mais, tout en rejetant le pourvoi contre l'arrêt, irréprochable au moment où il a été rendu, elle renvoie devant la même juridiction qui l'a rendu, pour qu'elle ait à supprimer de son arrêt, la peine abrogée par la loi postérieurement promulguée. C'est la procédure tracée par l'art. 13 de la loi du 25 prairial an VIII. Cfr. Cass., 14 janv. 1876 (S. 76.1.433); 18 juin 1885 (D. 85.1.433). Mais c'est là une marche bizarre et que nous ne croyons pas juridique. Pourquoi maintenir un arrêt, certainement contraire à la loi qui doit être appliquée au condamné? On consultera, du reste, sur cette difficulté, qui peut se poser dans d'autres hypothèses, ma note sous un arrêt de la Cour de Lyon du 8 décembre 1885 (D. 86.2.97).

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