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cence, et c'est à la loi seule qu'il appartient de déterminer les juridictions devant lesquelles il fera valoir ses moyens de défense et la marche à suivre dans ce but. De sorte qu'en contestant au pouvoir social la faculté de modifier l'organisation des juridictions et les formes de procédure, par des lois, obligatoires du jour de leur promulgation, on entraverait, «< dans sa sphère, l'exercice de la souveraineté ».

La rétroactivité des lois de forme me paraît donc incontestable, et je l'étends, soit aux lois qui modifient la procédure, soit à celles qui changent l'organisation judiciaire ou la compétence des autorités qui concourent à la répression.

139. En ce qui concerne l'organisation judiciaire et la compétence, le changement apporté par la loi nouvelle peut être plus ou moins profond.

a) Il peut se faire d'abord que cette loi se borne à transporter la compétence d'une juridiction à une autre, du tribunal correctionnel, par exemple, à la cour d'assises, ou de la cour d'assises au tribunal correctionnel quel sera, dans ce cas, le tribunal compétent? C'est surtout à propos des procès de presse que la question a été agitée. La connaissance en a été attribuée, tantôt aux tribunaux correctionnels, tantôt aux cours d'assises. Lors de chaque changement survenu à cet égard, la question s'est posée dans les mêmes termes. Un délit de diffamation contre un fonctionnaire public se produit. Entre l'accomplissement du fait et le jugement, la loi change l'ordre des juridictions. Faut-il saisir la juridiction qui était compétente d'après la loi en vigueur lors de l'accomplissement du fait, ou la loi qui est compétente d'après la loi en vigueur lors des poursuites? Aucun texte général ne résout la difficulté. Parmi les nombreuses opinions auxquelles la solution de cette question a donné lieu, il en est deux d'absolues. La première soutient que les lois modificatives de la compétence rétroagissent toujours, et que les procès criminels doivent être commencés ou continués dans les formes et devant les tribunaux nouvellement établis, parce que les changements de juridiction touchent à l'ordre public et que,

2 Arrêt de la Haute-Cour du 8 mars 1849 (S. 49.2.225).

en cette matière, il ne saurait y avoir de droits acquis3. La seconde, au contraire, considérant que les juges naturels du prévenu sont ceux qui fonctionnent au moment de la perpétration du délit, applique le principe de la non-rétroactivité aux lois modificatives de la compétence'. A côté de ces systèmes absolus, viennent se placer deux systèmes intermédiaires. D'après le premier, lorsqu'une juridiction a été complètement saisie et qu'une loi survient qui change la compétence, le procès doit suivre son cours là où il a été commencé, et la loi nouvelle est inapplicable.

3 Cfr. BLANCHE, op. cit., t. I, no 35; TRÉBUTIEN, t. I, p. 84.

CHAUVEAU et HÉLIE, qui avaient soutenu cette opinion dans la première édition de leur Théorie du Code pénal (t. I, p. 44 et suiv.), ont émis, dans les éditions nouvelles, sur l'exactitude de leur première doctrine, des doutes qui équivalent à un abandon. V. leur 5e éd., no 34.

* MERLIN, qui, le premier, a développé ce système (Répertoire, vo Compétence, no 31), l'a soutenu, devant la Cour de cassation, dans la célèbre affaire Cadoudal (4 messidor an XII). Il s'appuie surtout sur le brocard, qu'il considère comme un principe de raison: Ubi acceptum judicium, ibi et finem accipere debet. Comp., également : BERTAULD, p. 179, qui cite, dans le même sens, une circulaire du garde des sceaux Delangle, du 30 mai 1863. Voici à quelle occasion était intervenue cette circulaire. Une loi, — celle du 30 mai 1863, correctionnalisait un crime; avant sa promulgation, des inculpés avaient été renvoyés devant la cour d'assises par un arrêt de la chambre d'accusation, passé en force de chose jugée : la cour d'assises devait-elle être saisie? L'affirmative était énoncée dans la circulaire précitée. Cfr., dans le même sens: MAILHER DE CHASSAT, Rétroactivité des lois, t. II, p. 240. Contra : BLANCHE, t. I, no 38. Mais l'arrêt ne saisit le juge qu'à la condition qu'il sera compétent. La compétence défaillant, l'arrêt demeure sans puissance. Sur la question générale de rétroactivité des lois de compétence, on peut répondre à M. Bertauld par l'argument qu'il donne lui-même pour justifier l'application rétroactive des lois de forme : « De deux choses l'une : ou les accusés sont innocents, ou ils sont coupables. Sont-ils innocents? La loi nouvelle doit être présumée offrir à l'innocence toutes les garanties dont elle peut avoir besoin pour triompher; car, sans cette présomption, la loi nouvelle serait illégitime, à l'égard même des faits postérieurs à sa promulgation. Les accusés sont-ils coupables? On ne conçoit guère que le coupable puisse avoir un droit acquis contre la société à une loi vicieuse qui lui permettrait d'échapper à la répression ». Aussi, le système que je combats n'a jamais eu de succès devant les tribunaux. V., par exemple: Cass., 12 sept. 1856 (S. 57.1.76). Mais il a de puissants appuis dans la doctrine: AUBRY et RAU, op. cit., l. I, § 30, p. 62; GARSONNET, Traité de procédure civile, t. I, § 147, p. 635.

R. G. Tome I.

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D'après le second, au contraire, les lois de compétence régissent, dès leur promulgation, les procès nés comme les procès à naître, et doivent être appliquées aux délits antérieurement poursuivis, quel que soit l'état de la procédure, à moins qu'il ne soit intervenu, sur le fond, un jugement en premier ressort. Ce tempérament, auquel je me rallie, est nécessaire, si l'on ne veut pas que la rétroactivité des lois de compétence lèse des droits véritablement acquis. En effet, imposer au prévenu, acquitté par un jugement frappé d'appel, l'obligation de subir un nouveau jugement devant une juridiction toute différente, qui pourra rendre une décision contraire; ou bien priver' le prévenu, condamné en première instance, et qui a interjeté appel, du droit de se justifier devant la juridiction compétente au moment de l'appel, ce serait revenir sur le passé pour le changer au préjudice de droits acquis. La rétroactivité des lois de compétence doit nécessairement fléchir quand elle rencontre un jugement rendu sur le fond même de la poursuite. Ce jugement constitue un préjugé sur la question qui

Sic, MERLIN, Répert., vo Effet rétroactif, no 16; MANGIN, De l'instruct. écrite, t. I, no 177, p. 386; CHAUVEAU et HÉLIE, Théorie du Code pénal, 5e éd., no 34; VILLEY, p. 65. Conformément à cette distinction, la loi du 26 mai 1819 (art. 30) et celle du 8 octobre 1830 (art. 8), n'avaient attribué aux cours d'assises que les délits de presse qui ne seraient pas encore jugés. Bien que ces dispositions légales aient depuis longtemps été abrogées, leur autorité doctrinale a survécu et les règles qu'elles avaient sanctionnées n'ont jamais cessé d'être appliquées. Ainsi, ce tempérament à la rétroactivité des lois de compétence a été admis par la Cour de cassation dans l'espèce suivante un délit de presse avait été jugé par le tribunal correctionnel de Bergerac et l'appel formé devant la chambre correctionnelle de la cour de Bordeaux, lorsque la loi du 15 avril 1871 vint donner compétence à la cour d'assises pour connaître de ce délit. La cour de Bordeaux, se basant sur ce que la juridiction correctionnelle avait cessé d'être compétente du jour où la loi du 15 avril 1871 était devenue exécutoire, avait refusé de statuer sur l'appel. Ensuite du pourvoi formé par le procureur général de Bordeaux, la Cour de cassation jugea que la rétroactivité des lois de compétence devait recevoir exception, toutes les fois que l'affaire avait subi, avant la loi nouvelle, l'épreuve d'une décision au fond: 7 juillet 1871 (S. 71.1.83). V. le rapport de M. SAINT-LUC COURBORIEU, qui précède cet arrêt. A propos de cet arrêt, M. BAZOT, a exposé et développé, avec beaucoup de vigueur, l'opi

n'est plus entière. Il y a alors une décision qui ne peut être considérée comme non avenue tant qu'elle n'a pas été régulièrement réformée ou annulée. Mais sous cette réserve, les lois d'organisation et de compétence sont, dès qu'elles paraissent, applicables à tous les procès criminels qui surgissent, fût-ce à l'occasion de faits remontant à une date antérieure à celle où la loi est devenue obligatoire. C'est qu'en effet, l'organisation des pouvoirs publics reste constamment dans le domaine de la loi; nul ne saurait exciper d'un droit acquis à ce que les pouvoirs publics soient constitués ou organisés d'une manière ou d'une autre'.

6) Il peut se faire que le tribunal, compétent au moment du délit, ait été supprimé par la loi nouvelle ce tribunal perd, sans aucun doute, le droit de juger, quel que soit l'état de la procédure engagée devant lui au moment où la loi devient obli

nion d'après laquelle les lois de compétence ne peuvent dessaisir les anciennes juridictions des procès régulièrement commencés devant ces juridictions De la rétroactivité des lois de compétence (Rev. crit., 1872-1873, p. 513 à 547). Mais la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence dans un arrêt du 18 février 1882, rendu contrairement aux conclusions du procureur général BERTAULD (S. 82.1.185), et la note. Voy., sur la question, les observations remarquables de M. le procureur général NAQUET, à propos d'un arrêt d'Aix du 18 février 1886 (S. 86.2.569). Le savant magistrat constate que la jurisprudence paraît fixée dans le sens de l'opinion développée au texte. On lira avec intérêt la note de M. GLASSON, D. 87.2.97, sur le même arrêt.

7 Un fait législatif est venu confirmer la jurisprudence et la rendre inattaquable. La constitution du 4 novembre 1848 (art. 91) constituait une HauteCour de justice pour juger les crimes commis contre la sûreté de l'État. Précédemment, compétence à cet égard appartenait aux cours d'assises. Or, six mois avant la mise en vigueur de la constitution, l'attentat du 15 mai s'était produit. Les auteurs de cet acte n'étaient pas encore jugés au moment de la mise en vigueur de la constitution. Devaient-ils être renvoyés devant la cour d'assises ou devant la Haute-Cour? C'était la question même de la rétroactivité ou de la non-rétroactivité des lois d'organisation judiciaire et de compétence. D'après l'article 91 de la constitution, la Chambre ellemême prononçait la mise en accusation : c'était donc à elle de résoudre la question. Après discussion, la loi du 22 janvier 1849 renvoya les accusés devant la Haute-Cour, approuvant ainsi la jurisprudence suivie par la Cour de cassation.

DE L'INFRACTION. gatoire. Un tribunal supprimé n'existe plus en tant que tribunal, et il faudrait, pour le faire survivre à lui-même, une disposition formelle de la loi nouvelle. A défaut de cela, il y a, dans ya, la loi même qui l'abolit, un obstacle insurmontable à ce qu'il continue de juger'.

140. S'il n'y a pas de droit acquis à être jugé par telle juridiction ou par telle autre, à plus forte raison n'y a-t-il pas droit acquis à être jugé dans telle forme plutôt que dans telle autre. D'où il suit que les lois qui règlent la procédure et l'instruction des affaires criminelles sont applicables, dès qu'elles sont publiées, à toutes les instances qui s'ouvrent ou se poursuivent, fussent-elles relatives à des faits qui se sont produits avant la promulgation de la loi nouvelle. Aucun texte général ne consacre cette règle, mais il existe des précédents assez nombreux qui la confirment.

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DU CONFLIT DES LOIS ANCIENNES ET DES LOIS NOUVELLES
EN CE QUI CONCERNE LA PRESCRIPTION PÉNALE

141. Divers systèmes sur la question.

141. La prescription pénale est un moyen de se libérer, par l'effet d'un certain laps de temps, ou de l'action qui naît de l'infraction ou de l'action qui naît de la condamnation. On en distingue, par conséquent, de deux espèces : celle de l'action publique et celle de la peine; mais l'une et l'autre ont une raison d'être commune l'oubli présumé de l'infraction commise ou de la condamnation prononcée qui, après un certain temps, rendant inutile la poursuite ou l'exécution, enlève à la société le droit même de poursuivre l'infraction ou de faire exécuter la condamnation. En supposant une loi nouvelle modifiant la durée

8 Cfr., comme exemple d'une disposition de cette nature l'article 3 de la loi du 17 juillet 1856, qui abolit l'arbitrage forcé.

L'opinion des auteurs est unanime dans ce sens. Cfr. également HauteCour de justice, 8 mars 1849 (S. 49.2.225); Cass., 27 janv. 1836 (S. 57.1. 465); 12 sept. 1856 (S. 57.1.76).

10 Loi du 29 nivòse an VI, art. 22; C. proc. civ., art. 1041.

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