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ou les conditions de la prescription de l'action ou de la peine; il s'agit de savoir si cette loi s'applique aux infractions antérieurement commises, ou aux condamnations déjà prononcées, dont la prescription n'est pas acquise. La distinction, consacrée par la jurisprudence, entre les lois de forme, qui sont rétroactives, et les lois de fond qui le sont ou ne le sont pas, suivant leur nature ne peut nous permettre de résoudre la difficulté; car, les lois sur la prescription pénale n'ont pas de caractère bien tranché. Quand on les examine superficiellement, elles paraissent rentrer dans la catégorie des lois de forme: ne règlentelles pas, en effet, un point de procédure, en statuant sur une des conditions de la poursuite d'une infraction ou de l'exécution d'une condamnation? N'est-ce pas, du reste, dans le Code d'instruction criminelle (art. 635 à 643), que le législateur s'est occupé de la prescription? Mais, après réflexion, il est difficile de considérer, comme des lois de pure forme, celles qui déterminent une des conditions essentielles de l'infraction ou de la peine. Aussi, la doctrine est-elle divisée sur la solution de la question qui nous occupe: on peut compter jusqu'à quatre opinions deux extrêmes, appliquant toujours, l'une la loi ancienne, l'autre la loi nouvelle; et deux intermédiaires, appliquant, l'une la loi la plus favorable au prévenu ou au condamné; l'autre, les deux lois, en proportion du temps de prescription, qui a couru sous chacune d'elles1.

I. Certains appliquent toujours la loi contemporaine du temps de l'infraction ou de la condamnation. C'est ainsi, diton, que l'article 2281 du Code civil résout, en principe, le conflit entre les lois anciennes et les lois nouvelles sur la prescription. Cet article contient, en effet, deux dispositions: la première s'inspire de la règle que « les prescriptions commencées à l'époque de la publication du présent titre (le titre xx du livre III) seront réglées conformément aux lois anciennes »; il est vrai que la seconde disposition restreint ce principe et déclare que si, sur le temps déterminé par la loi ancienne, il reste encore

§ XV. 1 Cfr. FAUSTIN HÉLIE, t. I, no 1058; BRUN DE VILLERET, Traité de la prescription, no 100; BLANCHE, t. I, no 14.

plus de trente ans à courir depuis la promulgation de la loi nouvelle, trente années, calculées sous l'empire de la loi nouvelle, suffiront pour compléter la prescription 2. Mais il s'agit là d'une restriction favorable et qui avait besoin d'être formellement exprimée. Ce qu'il faut retenir, c'est le principe. - Ce premier argument n'est qu'un argument d'analogie; il ne peut avoir d'autre valeur, car l'article 2264 du Code civil dit que «<les règles de la prescription sur d'autres objets que ceux mentionnés dans le présent titre sont expliquées dans les titres qui leur sont propres ». - Mais on complète cet argument en faisant remarquer que l'individu, qui a commis une infraction ou qui a subi une condamnation sous l'empire d'une loi, ne s'est préoccupé que de cette loi et n'a compté qu'avec elle; c'est également en se référant aux dispositions de cette loi, que le ministère public a calculé le temps qui lui était donné pour poursuivre l'infraction ou pour faire exécuter la condamnation. En appliquant la loi ancienne, si donc on n'améliore pas la situation des parties intéressées, on ne l'aggrave pas non plus : on la respecte. Mais ce raisonnement, excellent pour justifier le principe de l'article 2281 dans son application aux matières civiles, a peu de valeur quand on le transporte en matière pénale. La prescription, ici, est une institution d'ordre public et non d'intérêt privé : nul ne doit rappeler le souvenir d'un fait ou d'une condamnation que le législateur veut tenir pour oublié. Voilà l'idée essentielle dont il faut toujours s'inspirer.

L'application de la loi abrogée pourrait, du reste, amener des contradictions singulières, si la prescription ancienne était plus longue que la prescription nouvelle par exemple, un individu commet un meurtre sous l'empire du Code d'instruction criminelle de 1808, qui fixe la durée de la prescription de l'action criminelle à dix ans; avant qu'il soit poursuivi, deux ans, par exemple, après l'infraction, une loi nouvelle est promulguée,

2 Une disposition analogue se trouve dans l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : « Les prescriptions commencées à l'époque de la publication de la présente loi, et pour lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois mois à compter de la même époque, seront, par ce laps de trois mois, définitivement accomplies ».

qui réduit le délai de la prescription à cinq ans. Si le système que nous venons d'exposer était appliqué, le ministère public. pourrait poursuivre ce meurtre, accompli sous l'empire de la loi ancienne, alors qu'un fait, postérieur de trois années peut-être, commis depuis la promulgation de la loi nouvelle, ne pourrait être poursuivi. C'est précisément pour éviter cette conséquence contradictoire que l'article 2281 restreint, dans son § 2, le principe qu'il pose.

II. Dans une autre opinion, la loi nouvelle, modifiant la durée ou les conditions de la prescription, doit s'appliquer aux infractions déjà commises ou aux condamnations déjà prononcées au moment de sa promulgation3. La prescription pénale n'est pas fondée sur l'intérêt du coupable, mais sur l'intérêt de la société; or, la loi nouvelle, par cela seul qu'elle modifie la législation antérieure, doit être présumée meilleure que la loi qu'elle remplace et son application plus conforme à l'intérêt social; la rétroactivité des lois criminelles s'impose donc comme un principe rationnel. Si nous l'avons écartée en ce qui concerne les lois qui créent des délits ou aggravent des peines, c'est qu'il importait de respecter les principes de justice qui s'opposent à ce qu'on prive un individu d'un droit acquis or, ni le prévenu ou le condamné, ni le ministère public ne peuvent se plaindre qu'on fasse rétroagir la loi nouvelle qui modifie la durée ou les conditions de la prescription. - A quel titre, en effet, se plaindrait le prévenu ou l'accusé de voir la durée de la prescription augmentée ou d'en voir les conditions aggravées par la loi nouvelle? Le prévenu ou le condamné n'avait pas de droits acquis, car le fait d'avoir échappé jusque-là à la poursuite ou à la condamnation ne lui donnait pas le droit d'y échapper toujours. A quel titre se plaindrait le ministère public si la durée de la prescription est diminuée ou si les conditions en sont adoucies par la loi nouvelle, puisque le ministère public représente la société, parle et agit en son nom, et que c'est précisément dans l'intérêt social que la durée ou les conditions de la prescription ont été modifiées? une seule personne pour

Sic, BERTAULD, op. cit., p. 187 et suiv.; VILLEY, op. cit., p. 64.

rait se plaindre la victime de l'infraction. On sait, en effet, que la loi française solidarise, au point de vue de la durée de la prescription, l'action publique et l'action civile; le même laps de temps, qui empêche le ministère public d'agir au point de vue de la répression, empêche la partie lésée d'agir au point de vue de la réparation. Or, dans le cas où la loi nouvelle abrège la durée de la prescription, cette loi, par sa rétroactivité même, pourra éteindre instantanément l'action de la partie lésée, en sorte que la victime de l'infraction se trouvera privée de son action en dommages-intérêts, alors qu'elle pouvait légitimement compter sur un certain temps pour l'exercer en vertu de la législation précédemment en vigueur. Ce résultat ne lèse-t-il pas un droit acquis? Sans dissimuler la gravité de l'objection, on a cherché à l'atténuer : 1° En solidarisant la prescription de l'action publique et celle de l'action civile, le législateur, dit-on, s'est préoccupé de l'intérêt de la société et non de l'intérêt privé. Cela est si vrai, que l'action en dommages-intérêts, naissant d'un délit pénal, dure bien moins longtemps que l'action naissant d'un simple délit civil. Or, la loi qui abrège la durée de la prescription est-elle réputée plus conforme à l'intérêt social? Si oui, ce qui n'est pas douteux, la victime de l'infraction doit sacrifier son intérêt individuel à l'intérêt général. 2° Cette objection subsiste, du reste, dans le système qui est le plus ordinairement soutenu et qu'adopte aujourd'hui la jurisprudence.

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III. Merlin a proposé un système intermédiaire, d'abord suivi par la Cour de cassation", et qui consiste, dans le passage d'une législation à une autre, à régler successivement la prescription par l'une et par l'autre loi on suppute le temps qui a couru sous l'empire de la première loi et sous celui de la seconde, on fait ainsi une règle de proportion dont le résultat sert à décider si la prescription est acquise ou non au prévenu. Ce système

L'objection est bien mise en lumière par LE SELLYER, Traité de l'exercice et de l'extinction des actions, t. II, no 631.

5 Comp. sur ce point: VILLEY, De la durée de l'action civile après l'extinction de l'action publique (Rev. crit., 1875, p. 85).

6 MERLIN, Rép., vo Prescription, sect. 1, § 3, no 12. Ce système fut celui de la jurisprudence de l'an XI à 1808.

est ingénieux; mais il ne s'appuie sur aucun principe, il serait donc nécessaire qu'il se trouvât formulé par un texte de droit positif pour être admissible. Or, les textes font défaut; tout au plus pourrait-on invoquer, en faveur de cette opinion, aujourd'hui abandonnée, un argument d'analogie tiré de l'art. 2266 du C. civ. Mais il est dangereux, comme l'a fait trop souvent Merlin, de transporter dans les matières pénales les règles du droit civil.

IV. Dans le système qui paraît prévaloir en jurisprudence', on traite les lois sur la prescription comme les lois pénales proprement dites, et on applique, dans tous les cas, la loi la plus favorable au délinquant. Par ses résultats, la prescription équivaut à une amnistie ou à une grâce. Elle procure l'impunité aux coupables parce que le temps qui s'est écoulé depuis le délit ou depuis la condamnation rend inutile l'exercice du droit de punir. Par ce côté, qui tient à leur nature, les lois sur la prescription appartiennent aux lois de fond et doivent s'appliquer, dès leur promulgation, aux infractions non jugées comme aux condamnations non exécutées. Mais si la loi ancienne est plus favorable, la loi nouvelle ne saurait avoir d'effet rétroactif au détriment d'une situation qui était acquise et qui doit rester acquise à l'inculpé ou au condamné3.

7 Sic, Cass., 25 nov. 1830 (S. 31.1.392). Cet arrêt vise l'ensemble des dispositions du décret du 23 juillet 1810. Dans ce sens : MANGIN, Act. publ., t. II, no 295; HÉLIE, Prat. crim., t. II, no 15; LABORDE, op. cit., no 75.

8 Dans ma première édition, j'avais combattu le système de la jurisprudence, par cette considération qu'il ne tenait pas compte de la nature de la prescription pénale dont les règles n'ont pas été organisées dans l'intérêt du prévenu ou du condamné, mais dans l'intérêt de la société. Je reconnais que cette objection n'a pas grande portée, car les lois qui organisent les infractions et les peines n'ont également en vue que l'intérêt de la société : cependant, on tient compte de l'intérêt de l'inculpé pour leur donner ou leur refuser un effet rétroactif.

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