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Les prérogatives des agents diplomatiques consistent, avonsnous dit, dans l'inviolabilité et l'indépendance ou immunité de juridiction.

a) L'inviolabilité des ministres publics leur procure une situation privilégiée dans le pays où ils exercent leurs fonctions. Ce n'est plus seulement la protection ordinaire accordée par tout État à quiconque vit paisiblement sur son territoire : c'est le droit à la sécurité la plus complète, à la liberté sans restriction, à l'intangibilité de la personne en toute occasion. Deux conséquences corrélatives en résultent. D'abord, les agents diplomatiques sont particulièrement protégés contre toute entreprise des particuliers par une législation spéciale; c'est par application de cette idée que toute atteinte par injure, diffamation ou voie de fait, publiquement commise contre la personne morale ou physique d'un ministre public est sévèrement punie'. De plus l'inviolabilité de la personne a pour conséquence, l'inviolabilité collective de tous les objets nécessaires ou utiles à sa fonction. Ce qui implique, pour l'agent diplomatique, la liberté absolue de correspondre avec son gouvernement, en expédiant ou recevant des dépêches, soit par des courriers spéciaux, appelés courriers de cabinet, soit par la poste locale. Ce qui implique encore la franchise de son hôtel, et de ses meubles, malles ou effets.

b) L'indépendance du ministre public, c'est le privilège en vertu duquel il est exempt de la juridiction de l'État auprès duquel il est accrédité. L'immunité s'étend à tous les degrés et à toutes les formes, sans exception, de la juridiction civile et pénale'.

II. Les motifs qui justifient le double privilège de l'agent diplomatique en déterminent l'étendue :

Voy. art. 37 de la loi du 29 juill. 1881. La juridiction compétente pour connaitre «< des outrages commis publiquement envers les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires » n'est plus la cour d'assises, mais le tribunal correctionnel (Loi du 16 mars 1893, modifiant l'art. 45 de la loi du 29 juill. 1881).

9 Voy. particulièrement pour l'application: Cass., 19 janv. 1891 D. 91. 1.9). Comp. BONFILS, Manuel de droit international public, p. 383 à 398.

a) L'inviolabilité et l'indépendance du ministre public sont absolues, quelle que soit l'infraction, sans distinction entre les délits contre les particuliers et les délits contre la sûreté de l'État. Une opinion assez accréditée, qui a été développée dans un mémoire célèbre du duc d'Aiguillon, ministre des affaires étrangères sous Louis XV, tend à soutenir que la juridiction territoriale est compétente pour connaître des attentats dirigés par l'agent diplomatique contre la sûreté de l'État dans lequel il exerce ses fonctions. Mais cette opinion, fausse dans son point de départ, est dangereuse dans ses conséquences; elle doit être. repoussée. Le droit seul de défense existe dans ce cas; et il s'exerce par le renvoi de l'ambassadeur1".

b) Ces privilèges sont accordés à toutes les personnes revêtues d'un caractère représentatif, à tous les agents, quelle que soit leur dénomination: ambassadeurs, envoyés extraordinaires, nonces, chargés d'affaires, secrétaires d'ambassade, ministres plénipotentiaires, pourvu qu'ils soient attachés à la mission diplomatique avec un caractère officiel.

c) L'immunité ne s'étend pas aux individus de la suite de l'agent diplomatique, quelle que soit leur nationalité, s'ils n'ont aucune mission du gouvernement que celui-ci représente et

10 Cfr. sur cette question: ORTOLAN, t. I, no 515 et suiv.; FAUSTIN HÉLIE, t. II, nos 646 et suiv.; BERTAULD, p. 145; LE SELLYER, Traité de la criminalité..., t. II, no 532. « S'ils (les agents diplomatiques) abusent de leur être représentatif, dit Montesquieu (Esprit des lois, liv. 26, chap. 27), on le fait cesser, en les renvoyant chez eux on peut même les accuser devant leur maître, qui devient par là leur juge ou leur complice »>.

11 Les consuls, vice-consuls, agents consulaires, n'ont point de caractère représentatif et ne participent pas aux prérogatives qui appartiennent aux agents diplomatiques. Ils ne sont pas accrédités auprès du président de la République, ni même auprès du ministre des affaires étrangères; leurs commissions sont simplement soumises à l'exequatur, c'est-à-dire à une simple autorisation donnée par le gouvernement du pays où ils exercent leurs fonctions. Sic, Paris, 28 avr. 1841 (S. 41.2.544); Cass., 23 déc. 1854 (S. 54.1. 811); 9 févr. 1884 (S. 85.1.512); Paris, 8 janv. 1886 (S. 87.2.13). Cfr. dans le même sens LORIMER, Principes de droit international, traduit par Nys, p. 149; HEFFTER et GEFFEKEN, Le droit international de l'Europe, p. 565; HAUS, op. cit., no 212; LE SELLYER, op. cit., no 517; Répert. gén. alph, du droit français, vo Agent diplomatique, nos 118 et suiv.

sont attachés a sa personne par sa propre volonté 12. Toutefois, les usages internationaux font participer, au privilège de l'agent diplomatique, les personnes de sa famille; ils ne permettent pas non plus de poursuivre les gens de sa maison sans son assentiment préalable.

III. Au lieu de faire découler la franchise de l'hôtel, comme une conséquence naturelle et logique, de l'inviolabilité personnelle des ministres publics, on a prétendu la tirer de la fiction d'exterritorialité. L'hôtel de l'ambassadeur, a-t-on dit, est censé situé en dehors du territoire, parce qu'il est la demeure de l'ambassadeur qui, lui-même, est considéré comme domicilié dans son pays la fiction d'exterritorialité serait ainsi tout à la fois personnelle et réelle. L'hôtel d'une ambassade ou d'une légation serait la continuation du sol de l'État, que représente le diplomate qui l'habite. Mais, il n'est pas sans inconvénient d'appuyer sur un mauvais motif une solution vraie.

Cette fiction, que semblent admettre quelques jurisconsultes, présente, en effet, l'inconvénient grave de donner à l'inviolabilité à laquelle l'hôtel de l'ambassadeur participe, ainsi que sa personne elle-même, des conséquences qui n'en découlent pas. 'Si cette fiction était exacte, il faudrait, en effet, décider: 1° que l'hôtel de l'ambassadeur étant terre étrangère, les infractions commises dans cet hôtel, quelle que fùt la nationalité du coupable, seraient réputées commises en pays étranger; 2° que les auteurs ou les complices de ces infractions ne pourraient être poursuivis en France que dans les mêmes cas et dans les mêmes conditions que les auteurs des infractions commises en pays étranger;

que les prévenus ou condamnés qui s'y réfugieraient n'en pourraient être enlevés que sur une demande d'extradition régulière. Ces trois conséquences sont inadmissibles 13 : aucune

12 Comp. Cass., 11 juin 1852 (S. 52.1.467). V. cependant LE Sellyer, op. cit., no 539. L'article 61 du Code de procédure criminelle autrichien consacre le principe de l'immunité de juridiction pour les gens de service qui appartiennent à la nationalité de l'ambassadeur.

13 Comp. Cass., 13 oct. 1865 (S. 66.1.33). Un sujet russe avait tenté d'assassiner, dans l'hôtel de l'ambassade de Russie, un attaché. L'ambassadeur se trouvait alors en congé. Le coupable fut immédiatement arrêté et

d'elles n'est imposée par le respect dû à l'inviolabilité de l'ambassadeur ou des choses nécessaires à ses fonctions. La franchise de l'hôtel est le complément nécessaire de l'inviolabilité du ministre public, exactement comme l'inviolabilité du domicile est le complément de l'inviolabilité du simple particulier. Il n'y a, en effet, entre l'inviolabilité d'un ambassadeur et celle d'un simple particulier, qu'une différence du plus au moins. Or, s'il n'a fallu aucune fiction pour expliquer l'inviolabilité du domicile privé, pourquoi en faudrait-il une pour expliquer l'inviolabilité de l'hôtel de l'ambassade? Si l'agent diplomatique est inviolable dans sa personne et dans ses biens, c'est-à-dire exempt de toute atteinte, affranchi de toute poursuite, «< c'est qu'il est l'image de l'État représenté, de l'État souverain, de l'État indépendant »>. Il n'y a donc pas besoin d'inventer une fiction pour expliquer l'inviolabilité de l'agent diplomatique et de son hôtel.

151. Le chef d'un État souverain représente cet État non pas pour un gouvernement seulement, mais pour tous les gouvernements. Et il n'a pas besoin, comme l'ambassadeur, d'une mission spéciale, tant qu'il conserve sa qualité. Le caractère pleinement représentatif du chef d'un État souverain étant ainsi établi, quelle est sa condition, quand il voyage hors de son pays, par rapport aux pouvoirs publics du territoire où il se trouve? A l'heure actuelle, dans tous les pays civilisés, on reconnaît aux chefs d'États souverains, qui voyagent en territoire étranger, les mêmes immunités qu'aux agents diplomatiques, et pour les mêmes raisons1*.

mis en prison par la police française, qui avait été requise à cet effet. Mais, à son retour, l'ambassadeur réclama l'extradition de l'accusé, sous prétexte que le crime avait été commis en territoire russe. Le gouvernement français répliqua, avec raison, que la fiction d'exterritorialité n'avait rien à voir dans cette affaire, que le crime avait été commis en France et que la justice française était compétente pour le juger: le gouvernement russe finit par céder. Mais le coupable, condamné par la cour d'assises, introduisit un pourvoi fondé sur ce qu'il avait commis son crime en dehors du territoire français et que, par conséquent, la justice française était incompétente pour le juger. La Cour de cassation n'accepta pas ce moyen et rejeta le pourvoi par l'arrêt précité.

14 Voy. l'art. 36 de la loi du 29 juill. 1881, et l'art. 45 modifié par la loi du 16 mars 1893.

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QUELLES INFRACTIONS COMMISES HORS LE TERRITOIRE
LA LOI PÉNALE FRANÇAISE PEUT ATTEINDRE

152. Position de la question. 153. Historique de la question.
154. Division du sujet.

152. La loi pénale française peut-elle atteindre les infractions commises en pays étranger? Faisons observer d'abord que l'on ne doit pas confondre l'autorité de la loi avec son droit d'exécution: en un mot, il ne s'agit pas, pour la loi pénale française, de faire, à l'étranger, acte de souveraineté, de punir, à l'étranger, en vertu de ses dispositions, un acte commis, soit par un Français, soit par un étranger. Mais on conçoit très bien qu'un fait, qualifié infraction par la loi française, étant commis à l'étranger, il puisse être question de le poursuivre, en France, lorsque son auteur se trouve, d'une manière ou d'une autre, sur le territoire français1. De ce que la loi d'un peuple est renfermée, quant à son exécution, dans les limites d'un territoire, il n'en résulte nullement qu'elle ne puisse atteindre, sur ce même territoire, les infractions commises partout ailleurs. Il est bien certain, en effet, que l'État ne peut exercer le droit de répression sur le territoire d'un autre État, mais, en punissant des acles commis au dehors, il exerce ce droit sur son propre territoire. Or, si l'empire absolu de la loi pénale est fondé sur le principe de la souveraineté, ce même principe conduit à cette conséquence que toutes les fois que la nation aura intérêt à

§ XIX. M. BERTAULD (op. cit., p. 122 et 123) insiste sur cette distinction entre l'autorité de la loi et son droit d'exécution. Mais nous ne sommes pas d'accord avec lui sur l'étendue d'application de la loi française qu'il paraît limiter exclusivement aux nationaux.

2 Quand je dis << partout ailleurs », je comprends aussi bien les infractions commises sur le territoire où s'exerce la souveraineté d'une autre nation, que les infractions commises sur un territoire qui n'appartient à personne. La question concerne donc les actes accomplis dans une expédition de découverte, un voyage d'exploration dans des contrées inconnues (les expéditions de Stanley, de Nansen, par exemple).

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