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punir, sur son territoire, une infraction commise en pays étranger, elle pourra et devra le faire, soit pour protéger sa propre existence, soit pour protéger ses nationaux. Pour nous, cet intérêt se rencontre dans une double hypothèse : 1° ou bien quand il s'agit d'une infraction offensant directement la sécurité de la nation ou son crédit, sa vie nationale ou économique; 2° ou bien quand il s'agit d'une infraction grave, commise contre un national ou par un national. A raison soit de la nature du fait, soit de la nationalité de l'agent, soit de la nationalité de la victime, l'État français devra punir les infractions commises en pays étranger, parce que le châtiment, certainement juste en luimême, est utile pour la conservation de l'ordre public français. C'est dans ces termes simples et pratiques que se pose la question. En un mot, il n'y a pas lieu d'examiner si la loi pénale d'un peuple est territoriale ou personnelle; il y a lieu de constater que tout État a pour mission de faire respecter, dans les limites de l'intérêt national, l'ordre public sur le territoire même où s'exerce sa souveraineté; or, en cas de crime ou de délit commis à l'étranger, l'ordre public d'un État peut être troublé par répercussion. Sans doute, ce ne sera jamais qu'à titre exceptionnel et subsidiaire que la justice nationale interviendra pour réprimer un crime ou un délit commis hors de son territoire; mais cette intervention sera légitime dans la mesure où elle pourra être utile.

153. Avant la Révolution, les auteurs les plus considérables, suivant en cela notre ancienne jurisprudence, faisaient de la loi pénale une loi personnelle qui s'imposait au Français partout où il lui plaisait de résider, de même que la loi qui règle son état et sa capacité. Si donc, après avoir commis un crime à l'étranger, il rentrait en France, il y trouvait cette loi personnelle qui l'attendait pour le punir. Les étrangers, qui résidaient sur le territoire du royaume, pouvaient également, dans certains cas, être jugés par les tribunaux français, pour des crimes commis hors des frontières de France. L'extension de l'au

3 On peut voir ce que disent sur ce point: JOUSSE, Traité de la justice criminelle, t. Ier, p. 422; ROUSSEAUD DE LACOMBE, Matières criminelles,

torité de la loi pénale hors du territoire, tel paraît être le trait caractéristique, à ce point de vue, de notre ancienne législation. Cette conception ne se retrouve pas dans le Code pénal de 1791 qui consacre le principe de la territorialité de la loi pénale. Un décret des 3-7 septembre 1792 ordonna même la mise en liberté de tous les auteurs de délits commis hors de France, détenus à cette époque dans les prisons françaises. Mais l'ancienne doctrine se retrouve dans le Code du 3 brumaire an IV. L'article 11 déclare formellement que : « Tout Français qui s'est rendu coupable, hors du territoire de la République, d'un délit auquel les lois françaises infligent une peine afflictive ou infamante, est jugé et puni en France lorsqu'il y est arrêté ». L'article 12 décide, en outre, que les étrangers ne seront jugés et punis en France que pour certains crimes attentatoires à la sûreté et au crédit de l'État français, mais, pour les crimes d'une tout autre nature, l'article 13 ajoute que « les étrangers, qui sont prévenus de les avoir commis hors du territoire de la République, ne peuvent être jugés ni punis en France ». La question de savoir quelle législation, on adopterait à cet égard fut nécessairement posée lors de la discussion du Code d'instruction criminelle de 1808, qui précéda celle du Code pénal. Le projet contenait deux articles consacrant le principe de la personnalité des lois. Dans la discussion qui s'engagea, surtout entre Treilhard et Target, les deux systèmes absolus de la personnalité et de la territorialité furent vivement défendus. Mais on fit, entre les deux opinions, une transaction. Si le Code d'instruction criminelle, dans ses articles 5, 6 et 7 adopte comme point de départ, le système de la territorialité, il apporte, à l'application de ce système quelques restrictions, que l'on

IIe partie, chap. 1er, p. 164, no 34 (Je cite la 4me édition, 1751). La législation française s'inspirait ainsi des idées d'expiation et de vengeance, idées indépendantes de la nationalité du coupable et du lieu du délit. Un exemple, resté célèbre, de l'application extra-territoriale de la loi pénale française, nous est fourni par l'affaire Sydney Hamilton. Il s'agissait d'une Anglaise, victime, dans son pays, d'un rapt de séduction de la part d'un sieur Beresford la victime et l'auteur du délit étant venus s'établir à Paris, le Parlement de Paris statua sur l'affaire le 21 octobre 1771 et le 25 mars 1882.

DE L'INFRACTION. devait, plus tard, élargir. Les seules infractions qualifiées crimes, lorsqu'elles étaient commises en pays étranger, pouvaient être poursuivies en France. Ces crimes étaient-ils attentatoires à la sûreté de l'État? Ils pouvaient être poursuivis sans condition de nationalité. Étaient-ils attentatoires à la sûreté ou à la propriété des particuliers? Pour que la juridiction française fût compétente, la loi exigeait la réunion de cinq conditions il fallait 1° que le crime eût pour auteur un Français; 2° qu'il fût commis contre un Français; 3° que la partie lésée ou ses héritiers eussent porté plainte; 4o que le coupable fût de retour en France; 5° qu'il n'eût pas été poursuivi et jugé à l'étranger.

Cette législation ne faisait pas une part assez large aux moyens répressifs pour les infractions commises en pays étranger', et ses inconvénients se manifestaient surtout dans les départements frontières, où il est si facile, pour les étrangers ou les Français, de passer d'un pays dans l'autre. Du reste, elle n'était pas en rapport avec les autres législations européennes qui, presque toutes, punissaient les infractions graves commises par leurs nationaux en pays étranger. En 1842, le gouvernement présenta à la Chambre des députés un projet de réforme qui, entre autres points, traitait de la répression des infractions commises hors du territoire. Le projet fut voté en 1842. L'année suivante, il fut porté à la Chambre des pairs et rejeté après de brillants débats. En 1845, M. Roger reprenait, pour son compte, le projet du gouvernement. Enfin, par lettre du 18 mars 1845, M. Martin (du Nord), garde des sceaux, consulta, sur ce projet, les cours royales et les facultés de droit,

Les inconvénients de ce système se manifestèrent au lendemain de la promulgation du Code. Des Français coupables de crimes commis à l'étranger contre des étrangers venaient se réfugier en France, sans avoir été jugés, et obtenaient ainsi l'impunité. Un décret, rendu après avis du Conseil d'État, le 23 oct. 1811, vint remédier provisoirement à cette situation, en autorisant le gouvernement à accorder l'extradition du Français. On considéra, à tort, ce décret comme non avenu à partir de 1814, par suite de la disposition de la Charte donnant à tous les Français le privilège de ne pouvoir jamais être distraits de leurs juges naturels.

5 Sur ces points: ORTOLAN, t. I, no 916; MOLINIER, Traité théor. et pral. de droit pénal, t. I, p. 262.

qui donnèrent leur opinion motivée. C'est à ce point que s'arrêtent les travaux préparatoires, antérieurs à la Révolution de 1848. Ils forment un ensemble de documents précieux, où la question est examinée et approfondie sous toutes ses faces. La réforme fut reprise en 1850', puis en 1852. A cette époque, les dispositions du projet, adopté par le Corps législatif, soulevèrent les susceptibilités des gouvernements étrangers qui crurent y voir un empiètement sur leur souveraineté. Il y eut des représentations diplomatiques, et l'Empereur renonça à soumettre la loi à la sanction du Sénat. Mais ce projet a servi de point de départ à la réforme qui s'accomplit par la loi du 27 juin 1866.

Cette loi se compose de deux articles : l'article 1", modifiant les articles 5, 6 et 7 du Code d'instruction criminelle, a pris, dans ce Code, la place de ces textes; l'article 2 n'y est pas incorporé.

154. L'ensemble de ces dispositions soulève une double question:

1° A quelles conditions une infraction, commise en pays étranger, peut-elle être poursuivie et punie en France?

2o Comment résoudre les conflits de législation et de juridiction qui naissent de la double compétence établie, en cette matière, entre les lois et les tribunaux étrangers, les lois et les tribunaux français?

Pour la solution de ces deux problèmes, notre législation tient compte d'un double élément : 1o la gravité de l'infraction; 2o la nationalité du coupable. Les tribunaux auront donc toujours à examiner, en cas de poursuite d'une infraction commise à l'étranger, pour juger de sa recevabilité, ces deux questions

On peut consulter, par exemple le rapport présenté par M. ORTOLAN, au nom de la Faculté de droit de Paris (Revue de législation, 1847, t. XXVIII, p. 200 et sniv.); le rapport présenté par M. le conseiller ROCHER, approuvé par la Cour de cassation le 8 janv. 1847 (Journal de droit criminel, art. 4045).

Sur le projet de 1850, consultez : VALETTE, Mélanges, t. II, p. 295-302. 8 Sur cette loi, comp.: THÉZARD (Revue critique, 1866, t. XXVIII, p. 364); BERTAULD (Revue critique, 1866, t. XXIX, p. 24).

préalables: quelle est la qualification de l'infraction? quelle est la nationalité du prévenu ou de l'accusé? Ils devront exclusivement se placer, pour les résoudre, au point de vue de la loi française.

§ XX. CRIMES, DÉLITS, CONTRAVENTIONS COMMIS A L'ÉTRANGER (C. instr. cr., art. 5, 6 et 7; L. 27 juin 1866, art. 2.)

156. Crimes

155. Distinction entre les crimes, les délits et les contraventions. commis à l'étranger. 157. Dans quelle mesure les étrangers commettant un crime hors du territoire devraient échapper à la loi pénale française. 158. Delits commis à l'étranger. - 159. A quelle condition essentielle ces délits sont punissables. 160. Règles exceptionnelles de la poursuite en matière de délits commis à l'étranger. 161. Modification à la compétence en cas de crimes et délits commis à l'étranger. 162. Délits spéciaux et contraventions commis à l'étranger. – 163. Condition générale du retour en France.

155. Pour résoudre la première question, je vais successivement supposer que l'infraction, commise en pays étranger, soit par un Français, soit par un étranger, est qualifiée crime, délit, contravention par la loi pénale française.

156. Crimes commis en pays étranger. - Une infraction, qualifiée crime par la loi française, c'est-à-dire punie d'une peine afflictive ou infamante, est commise à l'étranger; c'est un meurtre, par exemple : l'auteur peut-il être poursuivi en France et à quelles conditions? Pour répondre à cette question, je distinguerai, avec les articles 5 et 7 du Code d'instruction criminelle, deux catégories de crimes.

I. Les crimes «< attentatoires à la sûreté de l'État, ou de contrefaçon du sceau de l'État, de monnaies nationales ayant cours, de papiers nationaux, de billets de banque autorisés par la loi », commis hors du territoire de la France, peuvent être poursuivis et jugés en France, d'après les dispositions des lois françaises, quelle que soit la nationalité des auteurs et des complices de l'infraction (C. p., art. 75 à 108, 132 et 139). D'une part, en effet, l'État français est directement intéressé à réprimer les infractions de cette espèce, car, c'est contre lui que l'attentat est dirigé, et il importe peu qu'il s'accomplisse en

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