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Il résulte de ces explications que nous devons poser, en thèse absolue, cette règle l'auteur d'une infraction, commise en pays étranger, ne peut être poursuivi en France s'il a été définitivement jugé à l'étranger. La loi pénale, en effet, est, avant tout, territoriale; elle n'a qu'un titre subsidiaire pour frapper les infractions commises hors du territoire.

169. Mais l'infraction a été commise, sur le territoire français, par un individu qui a été poursuivi et jugé à l'étranger : cet individu peut-il de nouveau être poursuivi et jugé en France? Cette hypothèse n'est pas prévue par les textes, et les principes rationnels s'opposent à ce que la chose jugée à l'étranger épuise le droit de poursuite en France. C'est la société française qui a été directement lésée par l'infraction; c'est en France que l'ordre public a été troublé. La France est donc directement intéressée à la répression, et son droit de juridiction. ne saurait être paralysé par l'existence d'une sentence étrangère qui peut ne pas lui offrir des garanties suffisantes. Il s'agit de l'application

été jugé définitivement à l'étranger. Sic, LABORDE, op. cit., no 95; Le PoitteVIN, op. cit., p. 212. Sur la question générale: FUSINATO, op. cit., p. 66; DIENA, op. cit., p. 31.

5 En ce sens : GRIOLLET (Revue pratique, 1867, p. 40); BONFILS, De la compétence, no 377; RENAULT (Revue critique, 1881, p. 461); BARD, Précis de droit international, p. 33, no 22. Cfr. Metz, 19 juill. 1859 (S. 59.2.641). Dans l'espèce, le prévenu avait été l'objet de poursuites en France, mais il s'était réfugié en Bavière, avant que le jugement fût intervenu. La Cour allègue, entre autres motifs, pour justifier la deuxième poursuite, les intérêts du Trésor qu'il convient de sauvegarder en ne laissant pas à la charge de l'État les frais de la procédure instruite en France avant la fuite de l'inculpé en Bavière. Cass. belge, 31 déc. 1859 (J. Palais, 1862, p. 919); Cass., 21 mars 1862 (S. 62.2.551). Cet arrêt a été rendu sur le rapport de M. Faustin Hélie et le réquisitoire de M. Savary, avocat général. Cass., 11 sept. 1873 (S. 74.1.335); Douai, 31 mars 1879, Revue de droit international privé, 1880, p. 576. Dans l'espèce soumise à la Cour de Douai, la juridiction étrangère avait été saisie par une dénonciation de l'autorité française. On aurait pu soutenir que cette dénonciation impliquait, de la part de l'autorité française, renonciation au droit de poursuivre l'inculpé. La Cour a jugé le contraire, et avec raison. Le fait de révéler à l'autorité étrangère l'existence d'une infraction commise sur notre territoire, n'implique nullement l'intention de renoncer à poursuivre l'inculpé en France. L'inculpé se trouve hors des atteintes de la loi française, il faut éviter que son crime ne reste impuni; les autorités fran

d'une loi de sûreté. Pour les lois de cette sorte, la France entend garder sa souveraineté exclusive et complète reconnaissant aux autres nations ce qu'elle réclame pour elle-même, elle admet qu'à l'étranger les lois étrangères de même nature gardent aussi leur souveraineté exclusive et complète et ne s'inquiète de la répression, pour les délits commis hors de son territoire, que si les autorités du pays n'ont pas agi ou n'ont pas pu agir.

170. Les législations étrangères présentent sur la question qui nous occupe une certaine analogie. Presque toutes punissent certains actes délictueux, commis hors du territoire, mais toutes reconnaissent que le même fait ne doit pas être puni deux fois; elles diffèrent seulement dans la manière dont elles. appliquent ce principe. Les unes (législations norvégienne, suédoise, etc.) décident que l'inculpé, condamné à l'étranger, ne peut plus être poursuivi dans sa patrie, s'il a subi ou prescrit sa peine; les autres (législations autrichienne, danoise) auto

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çaises agissent, dans l'intérêt général des nations civilisées, en révélant le fait délictueux à l'État sur le territoire duquel le coupable s'est réfugié, mais elles n'entendent nullement renoncer au droit de juger. Et d'ailleurs les autorités françaises peuvent-elles valablement renoncer à poursuivre une infraction? Cfr. également dans le même sens : Cour d'assises de Seine-etDise, 9 janv. 1883 (S. 83.1.236); Cass., 17 nov. 1886 (Journal des Parquets, 1887, art. 88). Mais en sens contraire CARNOT, sur l'art. 7 du Code d'inst. crim.; FAUSTIN HÉLIE, op. cit., t. II, no 1042; ORTOLAN, Éléments de droit pénal, t. I, p. 402; MANGIN, De l'action publique, no 70; HEROLD, Revue pratique, 1862, p. 40; DUTRUC, Observations sur l'arrêt de la Cour de Metz du 19 juillet 1859 (S. 59.2.642); GRAND, Observations sur le même arrêt, Journal du Palais, 1859, p. 989. Quelques arrêts se sont prononcés dans le même sens Douai, 31 déc. 1861 (S. 62.1.542); Cour d'assises du Nord, 12 févr. 1862 (S. 62.2.552); Cour d'assises des Pyrénées-Orientales, 18 juill. 1870 (S. 71.2.153). La commission de la Chambre des députés, qui a été saisie du projet de loi tendant à réformer le Code d'instruction criminelle, déjà voté par le Sénat, propose de trancher la question. Après les mots : toutefois qu'il s'agisse d'un crime ou d'un délit, aucune poursuite n'a lieu si l'inculpé prouve qu'il a été jugé définitivement à l'étranger », elle propose d'ajouter, dans l'article 7 nouveau : « Il en sera de même de l'étranger qui, pour un crime ou un délit commis en France, aurait été définitivement jugé à l'étranger sur la plainte du gouvernement français ». Cette disposition a été littéralement insérée dans l'art. 3, § 2, du projet de révision du Code pénal, proposé par la commission de réforme.

risent, même dans ce cas, une nouvelle poursuite, mais en ordonnant au juge de tenir compte, dans sa sentence, de la peine subie à l'étranger; d'autres, enfin (législations allemande et hongroise, Code pénal italien de 1889), distinguent suivant la nature du fait commis à l'étranger, et adoptent le second ou le premier des deux systèmes que nous venons d'indiquer, selon que l'infraction était ou non dirigée contre l'État lui-même. La législation française formerait un quatrième type, puisque, en décidant que tout individu, jugé définitivement par un tribunal étranger, pour une infraction commise à l'étranger, ne peut plus être poursuivi en France, elle ne se préoccupe pas de savoir si le condamné a subi ou prescrit sa peine en totalité ou en partie. Or ce qui est juste, c'est que, pour la même infraction, le coupable ne soit pas puni deux fois. Mais il n'y aurait rien d'injuste à le faire juger deux fois. En donnant au brocard: non bis in idem, cette interprétation : le même fait ne peut être l'objet de deux jugements, et non cette autre interprétation plus vraie : le même fuit ne peut être puni deux fois, la législation française en méconnaît certainement la raison d'être et la portée.

§ XXII.

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DES EFFETS QUE PEUVENT AVOIR EN FRANCE LES
JUGEMENTS RENDUS PAR DES TRIBUNAUX
DE RÉPRESSION ÉTRANGERS

-172. Les ju

171. Division. Condamnations pénales. Condamnations civiles. gements étrangers rendus en matière répressive ne peuvent avoir aucun effet en France. 173. Ils ne peuvent être exécutés. Conséquences. 174. Ils ne peuvent produire un effet de répercussion aux points de vue des incapacités, de la récidive, du cumul des peines. 175. Il y a cependant intérêt à les connaître. 176. Les jugements étrangers rendus sur l'action civile peuvent être exécutoires en France. 177. Effets des jugements étrangers sur l'action publique en ce qui concerne l'action civile.

171. Une sentence étrangère, rendue à l'occasion d'une infraction et prononçant des condamnations, peut-elle être exécutée ou tout au moins produire quelque effet direct ou indirect en France? La question doit d'abord être divisée, suivant que les condamnations intervenues sont pénales ou civiles.

172. De l'influence en France des condamnations pénales prononcées à l'étranger. En se plaçant à un point de vue général, on pourrait soutenir que les nations ayant un intérêt commun à ce que nulle infraction ne reste impunie, l'efficacité des jugements criminels ne devrait pas être limitée aux frontières. Mais cette opinion est, au moins, prématurée. Les lois criminelles des différents peuples sont encore loin de présenter une uniformité absolue. L'organisation des juridictions répressives, les formes de procédure n'offrent pas partout les mêmes garanties. Aussi laisse-t-on, à chaque gouvernement, le soin d'assurer l'exécution des sentences pénales prononcées par ses tribunaux, et l'assistance mutuelle entre les États ne se réalise ici que par l'extradition des condamnés dans les cas où elle est admise. Il en est autrement des jugements étrangers rendus en matière civile. Une sentence de cette espèce a pour objet de faire l'application, à des rapports de droit privé, d'une loi qui doit régler les parties en quelque lieu que le débat s'élève. On comprend donc qu'elle soit susceptible d'acquérir, à l'étranger, la force exécutoire, sous réserve d'une révision plus ou moins complète de l'autorité du pays où il s'agit de la faire exécuter (C. civ., art. 2123; C. proc. civ., art. 546). Cette différence si marquée entre les jugements rendus au civil et les jugements rendus au criminel est consacrée par plusieurs Codes étrangers. Notre législation ne contient pas de dispositions expresses sur ce point. Mais, par cela même qu'elle n'organise pas une procédure d'exequatur pour les jugements criminels étrangers, elle reconnaît implicitement qu'ils ne peuvent être exécutés en France. Sur ce point, il n'y a aucun désaccord dans la doctrine et dans la jurisprudence'. Nous allons tirer les conséquences de

§ XXII. 1 V. notamment CARNOT, sur l'art. 7 du Code d'instr. crim., nos 7 et 8; LEGRAVEREND, Traité de la législation criminelle, § 31; FAUSTIn Hélie, op. cit., no 1042; BERTAULD, Cours de Code pénal, p. 130; LE SEllyer, op. cit., no 2505; MANGIN, op. cit., no 70; KLUBER, Droit des gens, § 65; HEFFTER, Droit international de l'Europe, p. 74; MARTENS, Droit des gens, § 104; WHEATON, Éléments de droit international, t. I, p. 140; FŒLIX, Droit international privé, t. I, p. 312; FIORE, op. cit., t. II, p. 139; GODDYN et MAHIELS, Le droit criminel belge au point de vue international, p. 69; Bard,

cette règle, en nous plaçant à deux points de vue distincts. 173. Une condamnation pénale, prononcée par un tribunal étranger, ne peut jamais être exécutée en France. Il en résulte que le Français, condamné en pays étranger, qui se soustrait à l'exécution de la peine par sa fuite en France, bénéficie, avec le texte actuel de l'article 5 du Code d'instruction criminelle, d'une complète impunité : en effet, les autorités françaises n'ont aucune compétence pour faire exécuter les sentences pénales d'un tribunal étranger; elles ne peuvent pas non plus livrer le condamné à l'autorité étrangère, puisque l'extradition ne s'applique pas aux nationaux; elles n'ont même pas, à raison de sa nationalité, la faculté de l'expulser par voie administrative. Nous sommes ainsi dans une impasse qui aboutit à l'impunité; el rien ne saurait justifier cette conséquence légalement forcée de la fuite ou de l'évasion du coupable. Le projet primitif du gouvernement, en 1866, pour prévenir cette situation, exigeait, non seulement que le prévenu prouvât qu'il avait été définitivement jugé en pays étranger, mais en cas de condamnation, qu'il avait subi ou prescrit sa peine. Il est regrettable que cette restriction ait disparu dans l'élaboration définitive de la loi.

Précis de droit international, p. 123. Cfr. Instit. droit intern., Session de Munich (1883). Propositions votées sur le rapport de MM. Bar et Brusa, art. 14: « L'exécution de la peine ne peut jamais avoir lieu hors du pays où le jugement est prononcé, sauf le cas d'une convention internationale ou conclue entre les membres d'un Etat formant un système fédératif ».

2 Cette lacune, si souvent signalée, est corrigée dans le projet de révision du Code pénal. La rédaction de l'article 5, § 3, du Code d'instruction criminelle, est ainsi modifiée : « Dans tous les cas, aucune poursuite n'a lieu, si l'inculpé prouve qu'il a été jugé définitivement à l'étranger et qu'il a subi sa peine ou a obtenu sa grâce ». On a fait observer que cette disposition conduirait, si elle n'était pas modifiée, à des conséquences excessives. Supposons, en effet, que le condamné ait déjà subi une partie de sa peine seulement strictement, le tribunal français devrait statuer comme s'il n'y avait pas eu déjà, dans un autre pays, condamnation définitive partiellement exécutée. Il faudrait donc insérer le palliatif que l'on trouve dans les autres législations. Ainsi, l'article 13 de la loi belge du 17 avril 1878, décide que : «< Toute détention subie à l'étranger, par suite de l'infraction qui donne lieu à la condamnation en Belgique, sera imputée sur la durée des peines emportant privation de liberté ». Comp. HAUS, t. I, no 237. Comp. C. p. alle

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