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nonce, un acte de nature à troubler ce sentiment de sécurité que doit donner l'ordre établi.

Nous en disons autant du complot, que l'article 89, § 5, punit de la détention, sans qu'il ait été suivi d'aucun « acte commis ou commencé pour en préparer l'exécution ». Le complot n'est pas, en effet, une simple résolution, mais une résolution d'agir, concertée et arrêtée entre plusieurs personnes, fait externe, que le pouvoir social peut et doit punir. C'est par suite de la même considération, que l'article 89, in fine, punit la simple proposition, même non agréée, de former un complot. Cette invitation à prendre part à un complot est un acte de propagande, dangereux pour l'ordre social. Mais la seule résolution de commettre le crime prévu par l'article 89, même communiquée à autrui, verbalement ou par écrit, pourvu que ce soit sans l'invitation d'y participer, ne serait pas punissable".

C'est enfin en qualité d'acte extérieur, alarmant pour la société, que le Code pénal punit, dans les articles 265 et suiv., modifiés par la loi du 18 décembre 1893, l'association et l'entente formée dans le but de préparer ou de commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés.

C'est si peu la volonté, la résolution de commettre telle infraction que la loi veut atteindre, qu'elle érige les menaces, les complots, les associations et ententes de malfaiteurs en délits spéciaux, qu'elle ne considère pas ces faits comme des tentatives du délit que les coupables ont eu peut-être l'intention d'accomplir'.

3 Cfr. BOITARD, sous l'article 2 du Code pénal, qui met très exactement ce point en lumière. On remarquera que l'article 90, qui punissait de la détention, l'individu qui seul a formé la résolution de commettre un attentat contre la vie ou la personne du chef de l'État, dès qu'il a seul et sans assistance commis ou commencé un acte pour en préparer l'exécution, n'est plus en vigueur. Cette disposition était un des derniers vestiges des abus de répression auxquels avait donné lieu le crime de lèse majesté.

Le Code pénal russe actuel est le seul, parmi les Codes européens, qui punisse la simple résolution criminelle, lorsqu'elle est constatée (art. 111). Cette disposition me paraît contraire aux principes rationnels du droit pénal. Mais je comprends très bien qu'une législation punisse, d'une manière générale, et comme délits spéciaux, les propositions de commettre un crime, car

195. Lorsque l'infraction est projetée, l'agent, s'il ne s'arrête, manifeste sa résolution par des actes extérieurs, tendant à la réaliser. Mais tous ces actes ne constituent pas l'élément matériel, nécessaire pour qu'il y ait infraction. La première forme que prend la réalisation de la résolution coupable, c'est l'acte préparatoire, par lequel l'agent dispose ses moyens d'action. La seconde forme consiste dans les actes d'exécution. Les uns et les autres sont des actes matériels; mais les seconds seuls sont incriminés comme actes de tentative.

I. Les faits préparatoires sont ceux qui ne constituent pas l'exécution du délit projeté, mais qui se rattachent à ce délit dans l'intention de l'agent et qui tendent ainsi indirectement à son exécution c'est, par exemple, le fait de se procurer du poison, par rapport à l'empoisonnement; la fabrication d'un explosif, par rapport au crime d'explosion; l'achat d'une échelle pour commettre un vol. En ce qui concerne ces faits, trois règles doivent être posées.

1o Les faits préparatoires ne sont pas punissables comme tentative du délit que l'agent en vue ce délit n'est encore que subjectif, il n'existe que dans l'intention et par rapport à l'intention de l'agent. Mais pris en eux-mêmes, sans relation avec l'acte coupable qu'ils ont probablement pour but de faciliter, les actes préparatoires sont souvent incriminés par la loi pénale. Il s'en trouve, en effet, qui, par leur nature ou par la condition de ceux qui les commettent, sont généralement considérés comme des faits tendant à préparer, à faciliter ou à occasionner certains délits, et dont le caractère éventuellement dangereux

ces propositions sont certainement des faits extérieurs, que la société a le droit d'ériger en délits, puisqu'ils sont de nature à troubler la sécurité publique. Aussi la loi belge du 7 juillet 1875, qui punit, comme délits spéciaux, la provocation à un crime passible de mort ou des travaux forcés, l'offre de le commettre et l'adhésion à une proposition de cette nature; et la loi allemande du 26 février 1876, qui érige en délit les faits de même nature, quel que soit le crime projeté, loin d'être contraires, comme on l'a prétendu, aux principes du droit pénal, me paraissent en faire une saine application. Pour le texte de ces lois et les circonstances intéressantes qui les ont provoquées : Annuaire de législation étrangère, 1876, p. 634; 1877, p. 135. Cfr. HAUS, t. I, nos 443 et 444.

est suffisamment caractérisé pour être l'objet d'une prévision spéciale. La loi incrimine alors ces faits, non comme des tentatives de délits, mais comme des délits sui generis. On peut citer, à titre d'exemples, le port d'armes prohibées (C. p., art. 314); la contrefaçon ou l'altération de clefs (C. p., art. 339); les actes de violence, punis comme tels, bris de clôture (C. p., art. 437 et 456), violation de domicile (C. p., art. 134 et 184), etc. Ces divers faits peuvent donc avoir un double caractère : par eux-mêmes, et à raison de leur gravité propre, ce sont des infractions spéciales; par rapport aux délits qu'ils ont pour but de faciliter, ce sont des actes préparatoires. S'ils sont punis au premier point de vue, ils échappent à la répression au second. Le mouvement législatif moderne, en France comme à l'étranger, tend, de plus en plus, à prévoir et à punir comme des délits particuliers tous les actes compromettants, c'est-à-dire tous les actes par lesquels on peut porter atteinte à la sphère juridique des droits sans cependant y pénétrer encore. Dans cet ordre d'idées, la loi pénale se fait préventive.

2o Les actes préparatoires sont incriminés, par relation avec le délit même qu'ils ont en vue, lorsqu'ils sont l'œuvre d'un complice ils empruntent alors la criminalité et la qualification du fait principal: ils sont punis parce que ce fait principal est puni et ils sont punis de la même peine que ce fait principal (C. p., art. 60, § 2).

3o Enfin, les actes préparatoires peuvent être punis par rapport à l'infraction, comme circonstances aggravantes du délit tenté ou consommé. C'est ainsi que l'escalade et l'effraction sont des circonstances aggravantes du vol.

II. Les faits d'exécution sont ceux dont la série et l'ensemble constituent le corps du délit. Or, le corps du délit n'est autre chose que le délit lui-même. La tentative prend naissance avec le premier acte d'exécution, et c'est à ce moment précis que commence la répression de la volonté criminelle manifestée par un acte extérieur.

196. La distinction, ainsi expliquée et limitée, il importe de rechercher quelle est la raison d'être de cette conception de la tentative, universellement admise par le droit pénal moderne,

et pourquoi toutes les législations exigent, pour l'existence de cette forme de criminalité, un commencement d'exécution du délit que l'agent a en vue. Les actes préparatoires ont tout d'abord un caractère équivoque; ils ne se rattachent pas à une infraction déterminée. Ce sont des actes à double sens, à double portée. Sans doute, l'achat, soit d'une arme non prohibée, soit d'une substance vénéneuse, peut constituer la préparation d'un assassinat ou d'un empoisonnement; mais cet acte peut être également indifférent, si l'acheteur n'a eu en vue qu'un usage licite de l'objet dont il s'est procuré la possession. La volonté de commettre le délit n'est, dans ces cas, aucunement manifestée par le fait considéré en lui-même, et cette incertitude sur la relation entre l'infraction et les actes qui ont servi à la préparer est, certes, un des motifs qui ont porté la loi à laisser les actes préparatoires impunis. Mais ce motif n'est pas le seul; car l'impunité existerait encore, même si la preuve était rapportée, par suite d'aveux ou par tout autre moyen, que tel acte n'a été accompli que pour préparer telle infraction. Cet acte obtiendra néanmoins l'impunité, parce qu'il n'a produit jusqu'ici aucun mal déterminé; parce qu'il n'en produira que par suite d'une persistance de volonté chez l'agent dont la loi n'est certaine que par l'exécution même de l'infraction; parce que, jusqu'à cette exécution, il est plus utile à la société de pardonner, pour arrêter l'agent, que de le frapper pour le pousser à consommer l'infraction. Ces motifs nous expliquent que le législateur ait puni, par exception, un acte préparatoire, dans l'article 89, § 1. Aux termes de ce texte, le complot, formé en vue de détruire ou de renverser le gouvernement, qui est puni, par le simple fait de son existence, de la peine de la détention, est punissable d'une peine plus grave, la déportation, s'il est suivi d'un acte «< commis ou commencé pour en préparer l'exécution ». Cette disposition s'explique, tout d'abord, par l'idée même qui a fait ériger en délit le complot, par le trouble immédiat qu'il entraîne. Elle s'explique aussi par le caractère exceptionnel des délits qui ont pour objet de renverser le gouvernement établi. On ne saurait attendre, en effet, que le complot soit suivi d'un commencement d'exécution pour le punir, car une tentative heureuse rendrait

toute répression impossible. Mais c'est là une idée que nous développerons à propos des crimes contre la sûreté de l'État.

§ XXVII. DE LA TENTATIVE ET DE LA CONSOMMATION DU DÉLIT (C. p., art. 2.)

197. Des éléments de la tentative. 198. Du commencement d'exécution. 199. Double problème. Distinction des actes préparatoires et des actes d'exécution. Question de droit. Critère de la solution. - 200. De l'intention en matière de tentative. 201. Du désistement volontaire de l'agent. 202. Expression des conditions essentielles de la tentative punissable dans les décisions judiciaires. - 203. Des deux formes de la tentative. Délit tenté. Délit manqué. Délit consommé.

197. La tentative légale est constituée de deux éléments et d'une circonstance essentielle un élément matériel, le commencement d'exécution du crime; un élément intentionnel, la volonté déterminée de le commettre; une circonstance contingente, l'absence de désistement de l'agent. La réunion de ces trois faits permet seule, aux termes de l'article 2 du Code pénal, d'incriminer une tentative.

198. Du commencement d'exécution en matière de tentative. En quoi consiste le commencement d'exécution qui rend la tentative punissable? Telle est la première question à résoudre. On est d'accord pour reconnaître qu'en sériant les actes extérieurs qui s'acheminent vers le délit, on en distingue de trois sortes: les actes préparatoires, les actes qui tendent à l'exécution du crime, les actes d'exécution du fait matériel qui est incriminé. Assurément, il n'est pas indispensable, pour que la tentative existe, que le fait précis, constituant l'infraction, se trouve commencé, par exemple que le voleur ait mis la main sur l'objet, qu'il se propose de soustraire, que le meurtrier ait porté le premier coup. Celui qui est surpris en train de forcer le meuble dans lequel se trouve la somme ou l'objet qu'il veut soustraire se rend coupable, sans contestation possible, d'une tentative de vol, comme celui qui est arrêté, au moment où il se précipite un poignard à la main sur sa victime, se rend coupa

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