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leurs rapports avec l'État. Ces faits prennent leur criminalité dans une volonté perverse, et celui qui les commet se place, par sa conduite, en dehors des conditions nécessaires de l'ordre social établi c'est un criminel, un malfaiteur.

Notre législation positive n'a pu méconnaître cette distinction qui résulte de la nature même des choses. Mais, dans le but pratique de mettre les différentes infractions en rapport avec l'organisation judiciaire, elle les a classées en trois catégories : les crimes, les délits et les contraventions.

21. II. Le mot « peine » indique, dans son acception ordinaire, une douleur; dans le sens technique, que nous lui donnons ici, la peine est une souffrance, que le pouvoir, au nom de l'intérêt public, fait subir à l'homme reconnu coupable d'un délit prévu par la loi, en vertu d'un jugement proclamant la culpabilité, en retour et, autant que possible, en proportion du mal dont cet homme est lui-même l'auteur. La peine est distincte, et du mal fait ou rendu à l'agresseur au moment de l'agression et pour la repousser, mal qui est une conséquence du droit de défense, et de la réparation due à l'offensé pour le dommage qui lui a été causé par le délit, réparation qui s'ajoute au mal de la peine et qui a un tout autre objet que ce mal.

La souffrance, élément essentiel de toute peine, peut consister dans la privation ou la diminution d'un bien auquel, dans l'opinion commune, on attache de l'importance. Sur la question de savoir quels sont les biens dont l'homme peut être privé par mesure pénale, on a voulu distinguer, les biens acquis, tels que les droits de propriété, de cité, de famille, des biens naturels, tels que la vie et la liberté la privation ou la diminution des premiers pourrait seule offrir la matière d'une peine légale. Cette distinction s'appuie sur une hypothèse c'est qu'il existe, pour l'homme, des droits dont l'exercice serait indépendant de l'état social. Aucune législation pénale n'a, du reste, admis cette distinction; toutes, plus ou moins, ont atteint le condamné dans son corps et sa liberté, comme dans son patrimoine et ses droits. Mais tandis que les législations anciennes, exclusivement préoccupées de faire souffrir, se caractérisent, au point de vue de leur système pénal, par deux traits la nature des pei

nes employées, destinées à affliger l'homme dans son corps; la variété, la multiplicité et la cruauté des supplices; l'histoire de l'évolution pénale, dans les législations modernes, se formule dans ces deux lois : substitution des peines négatives, privatives de liberté, aux peines positives, corporelles; simplification du régime pénal. Établir, au moyen de l'emprisonnement, avec les variétés de régime et de durée auxquelles il se prête, l'unité de la peine principale, tel est le système pénal vers lequel convergent les législations des peuples civilisés. La nôtre est encore éloignée de cette unité : en dehors des déchéances de l'exercice ou de la jouissance de certains droits, peines ordinairement complémentaires ou accessoires, nous trouvons, en effet, dans notre droit positif, trois grandes classes de peines principales: les peines corporelles; - les peines privatives ou restrictives de liberté; les peines pécuniaires.

-

a) La seule peine corporelle, qui figure dans le Code pénal français, est la peine de mort. Cette peine ne consiste plus que dans la simple privation de la vie, sans tortures. C'est une peine unique, extrême, la plus forte expression de la puissance pénale; elle n'est ni réparable, ni réformatrice, ni divisible; on se demande même si elle est légitime. Du reste, la peine de mort ne tient qu'une place accessoire dans tout Code pénal; une place de plus en plus restreinte dans le nôtre elle est, en effet, destinée à la répression des attentats les plus graves contre les personnes, heureusement fort rares, et il faut organiser des peines pour cette multitude d'infractions que toute législation doit prévoir et réprimer.

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Aussi, les peines privatives ou restrictives de liberté et les peines pécuniaires sont le fond de tout système pénal, du nôtre comme de celui des pays étrangers.

3 Sur la question de l'assimilation légale de toutes les peines, voy. la discussion qui a eu lieu au congrès pénitentiaire de Stockholm de 1878: DESPORTES et LEFÉBURE, La science pénitentiaire au congrès de Stockholm (Paris, 1880), p. 31 à 54. Nous verrons, du reste, que cette idée de l'unité de la peine par l'emprisonnement ne tient pas compte des différentes catégories de criminels, pour lesquelles il faut organiser des institutions répressives de nature différente.

-et c'est leur grand avantage,

peuvent

b) Les premières, se graduer suivant les nuances les plus diverses de la culpabilité et s'adapter aux conditions individuelles du délinquant, comme au danger social qu'il peut faire courir: elles se com¬ posent, en effet, de deux éléments : la durée et le régime, qui, par leur combinaison, donnent la plus grande élasticité à leur organisation. Au point de vue de la durée, il existe des peines perpétuelles, qui n'ont d'autre terme que la vie même du condamné, et qui sont les travaux forcés à perpétuité, la déportation dans une enceinte fortifiée et la déportation simple, la relégation; des peines temporaires, qui durent de un jour à vingt ans, et qui sont les travaux forcés à temps, la réclusion, la détention, le bannissement, l'interdiction de résidence, l'emprisonnement correctionnel et l'emprisonnement de simple police. La durée des peines est fixée par le juge dans les limites tracées par la loi, c'est-à-dire que le juge condamne à tant de jours, tant de mois, tant d'années de prison. Le système des sentences indéterminées est encore étranger à notre législation. Au point de vue du régime, le droit français s'est inspiré, pour organiser les peines privatives de liberté, des idées de deux écoles, l'école pénitentiaire et l'école de la transportation: nous avons, en effet, des peines dans lesquelles la privation de liberté s'exécute par un emprisonnement plus ou moins rigoureux sur le territoire continental; d'autres, dans lesquelles elle s'exécute par la transportation, avec ou sans travaux forcés, dans des colonies pénitentiaires.

c) Les peines pécuniaires, qu'organise notre législation pénale, sont au nombre de deux : l'amende et la confiscation spéciale.

L'amende, qui consiste dans la condamnation du coupable au paiement d'une somme d'argent, a deux vices, qui tiennent à sa nature elle est inégale, car elle frappe autrement le pauvre que le riche; elle est souvent inefficace, car elle ne peut s'exécuter sur l'insolvable. Pour paralyser ces vices, notre législation pénale écarte d'abord les amendes fixes, en donnant au juge une grande latitude dans la détermination de leur chiffre; de plus, elle organise la contrainte par corps, comme

moyen de les recouvrer, et, par conséquent, de les remplacer pour l'insolvable.

La confiscation, qui consiste à enlever à son propriétaire un objet pour en attribuer la propriété à l'État ou pour le détruire, ne s'applique plus qu'à l'objet, au produit ou à l'instrument du délit. Elle est donc bien différente de la confiscation générale des biens du condamné, qui a été abolie, par la Charte de 1814, comme une peine injuste par son étendue et ses conséquences.

Dans l'application des peines, une législation peut suivre l'un de ces trois systèmes : 1° ou bien admettre, pour les juges, le pouvoir de déterminer, d'après le témoignage de leur conscience, quelles actions ou inactions sont délictueuses et quelles peines il faut leur infliger; 2° ou bien poser, en principe, que le système des délits et celui des peines seront fixés par la loi d'une manière inflexible, et que les juges n'auront qu'à appliquer exactement la peine prononcée par la loi au fait qu'ils reconnaîtront constant; 3° ou bien enfin, en décidant que tout délit, pour être incriminé, doit être prévu et puni par la loi, laisser aux juges divers moyens d'arriver à la constatation de la culpabilité spéciale de chaque fait et de chaque prévenu, et d'établir ainsi des proportions équitables entre la moralité particulière de chaque action et le châtiment qui sert à la répri

mer.

De ces trois systèmes, le premier, celui des peines arbitraires, a été en vigueur dans la seconde période de l'histoire du droit romain, à l'époque des judicia extraordinaria. C'était également celui que suivait notre ancienne jurisprudence criminelle. On peut dire que les peuples, chez lesquels il existe, n'ont pas, à proprement parler, de droit pénal positif. Le second, celui des peines fixes, en vigueur pendant la première période de l'histoire du droit romain, à l'époque des quæstiones perpetuæ, fut consacré législativement, dans notre histoire, par le Code pénal de 1791. Le troisième enfin, qui existe en germe dans le Code pénal de 1810, a été développé et perfectionné, lors de la révision dont ce Code a été l'objet en 1832, par l'institution des circonstances atténuantes.

Mais le problème de l'application des peines que je viens de

poser ne se présente pas toujours par rapport à l'agent unique d'une infraction unique : plusieurs personnes peuvent prendre part à un délit; plusieurs délits peuvent être commis par une même personne. Ce sont là deux circonstances que la législation pénale doit prévoir, pour mesurer, dans la première, la culpabilité de chacun des auteurs ou des complices du délit; dans la seconde, la peine ou les peines à appliquer à l'auteur de plusieurs délits. La théorie de la complicité et celle du concours d'infraction sont deux théories importantes, qui se rattachent aux principes de l'incrimination comme à ceux de la pénalité.

Les peines sont naturellement éteintes par leur exécution; le condamné se libère, en les subissant, comme le débiteur, en payant sa dette. Mais, indépendamment de ce mode régulier d'extinction des peines, il est des circonstances qui ont pour effet de prévenir ou de faire cesser l'effet des peines. Il faut donc, après avoir déterminé comment les peines s'exécutent, rechercher comment elles s'éteignent.

22. III. Le procès pénal a sa cause originaire dans la violation de la loi, c'est-à-dire dans l'infraction, et son mouvement initial dans la nécessité de procéder contre l'auteur de cette violation, nécessité qui porte le nom d'action pénale ou publique. La série des actes qui conduisent, par degrés successifs, au jugement et à l'exécution, doit, autant que possible, être soustraite à l'arbitraire de l'homme; c'est pourquoi il faut, dans toute société civilisée, une loi, qui organise à l'avance: 1o la puissance chargée de juger, c'est-à-dire la juridiction; 2o la marche à suivre pour arriver au jugement, c'est-à-dire la procédure. Tel est le double objet d'un Code de procédure pénale. L'importance des garanties judiciaires qui en résultent est telle, que, chez les peuples qui ont le mieux compris et défendu la liberté individuelle, les Romains et les Anglais, par exemple, la procédure est mêlée au droit et même prime le droit. Les

4 Aujourd'hui, du reste, nous considérons la procédure comme une sorte d'accessoire distinct du droit qu'elle a pour objet de sanctionner. Mais il n'en a pas été toujours ainsi. La procédure a eu, dans les législations anciennes, une importance bien plus grande que celle qui lui est attribuée par les lois modernes. On ne distinguait pas alors entre le droit lui-même et la manière

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