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principe posé par l'article 901, C. civ., en matière de testament; nous pourrions le traduire ainsi : « Pour être coupable d'une infraction, il faut être sain d'esprit ». Mais, pas plus dans l'article 64, C. p. que dans l'article 901, C. civ., le législateur n'aurait déterminé les faits qui constituent la démence ou l'insanité. Il se serait servi d'un mot très vague, afin que ce mot put embrasser toutes les causes qui privent l'homme de raison 16. Pourrait être reconnu, par conséquent, en état de démence, dans le sens légal du mot, l'individu en état d'ivresse, de somnambulisme, etc., comme l'individu atteint d'une des formes caractéristiques de l'aliénation mentale.

b) Il y a, dans cette manière de voir, quelque chose d'exact : il est bien certain, en effet, qu'il ne saurait y avoir culpabilité, si l'agent, pour une cause quelconque, s'est trouvé privé de la conscience ou de la liberté de ses actes au moment de l'infraction. Toutes les fois, par conséquent, qu'une juridiction pénale reconnaîtra qu'il existait, chez l'inculpé, au moment du délit, une altération suffisante des facultés mentales pour détruire sa culpabilité, elle devra le renvoyer de la poursuite, quelle qu'en soit la cause. Mais pourra-t-elle toujours motiver, en droit, sa décision sur l'article 64? Je ne le crois pas, et c'est en quoi je me sépare de l'opinion exposée. L'expression « démence » n'a certainement pas, en droit criminel, le sens restreint que lui donne le Code civil, dans l'article 489, où elle est opposée « à l'imbécillité » et à la « fureur ». Elle est prise dans une acception générale et vulgaire. Mais laquelle? Les causes perturbatrices des facultés mentales, en dehors bien entendu de la faiblesse de l'âge, peuvent se classer en trois catégories distinctes, à savoir: 1o Lorsque des arrêts de développements et des dégénérescences pathologiques ont affecté le cerveau avant l'époque où il doit normalement acquérir sa maturité complète (idiotie, imbécillité, faiblesse d'esprit avec perversion des instincts, folie morale); 2° Lorsque, après cette époque normale de maturité,

16 Cfr. BLANCHE, t. II, no 175; CHAUVEAU et HÉLIE, t. I, p. 525; DALLOZ, J. G., v Peine, no 389. C'est l'opinion qui paraît être admise par la majorité des auteurs.

R. G. Tome I.

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des causes organo-pathologiques viennent entraver le libre jeu des facultés intellectuelles (folie proprement dite, sous toutes ses formes); 3° Lorsque l'individu adulte est sous le coup de troubles psychiques passagers, provenant d'une altération transitoire des fonctions cérébrales (états de rêve, délire des affections fébriles ou aiguës, ivresse, etc.). Eh bien! ce que le législateur appelle « démence », ce sont les états psychiques qui rentrent dans les deux premières catégories, c'est-à-dire les cas d'absence de raison provenant, soit d'une organisation cérébrale incomplete, soit d'une maladie du cerveau.

Mais cette expression ne comprendrait pas ces altérations passagères, qui ont pour cause l'ivresse, le somnambulisme, l'hypnotisme, le sommeil, la surdi-mutité. Certainement, les rédacteurs du Code pénal n'ont pu vouloir faire allusion, par l'expression démence, à des états physiologiques et psychologiques, qui portent un nom spécial dans la langue pratique, comme dans la langue scientifique. Un jugement qui constaterait, en fait, que l'accusé se trouvait en état d'ivresse absolue au temps de l'infraction et qui motiverait, en droit, l'acquittement, prononcé à raison de cette circonstance, sur l'article 64, contiendrait donc une fausse application de ce texte. Qu'on n'exagère pas ma pensée. J'admets bien que l'irresponsabilité peut résulter et résultera souvent, non seulement de la démence, c'est-à-dire d'une maladie du cerveau, mais de causes de diverses sortes, telles que l'ivresse, le somnambulisme, le surdi-mutisme, etc., qui ont pu produire chez l'agent l'inconscience. Ce que je veux dire, c'est qu'il n'est pas permis aux juridictions d'instruction et aux tribunaux correctionnels ou de simple police de motiver, sur l'article 64, un renvoi d'instance 1 dans ce

17 La jurisprudence paraît arrêtée en ce sens : Cass., 25 juin 1827; 1er join 1843 (S. 43. 1. 813). Ces arrêts exagèrent, du reste, le principe dont ils s'inspirent car ils paraissent interdire à la justice de rechercher la nonculpabilité et de la fonder sur des états psychologiques voisins de la démence, comme le surdi-mutisme et l'ivresse. Que le surdi-mutisme et l'ivresse ne soient pas des causes d'excuse légale; que le défenseur ne puisse pas demander à la cour de poser une question spéciale sur ces faits, distincte de la question de culpabilité personne ne le conteste. Mais on ne peut pas in

cas. Pour moi, les divers états physiologiques et psychologiques, où l'on doit admettre un obscurcissement de l'intelligence, un affaiblissement de la volonté, supprimant ou diminuant la responsabilité pénale, rentreront dans l'examen général de la question de culpabilité. La doctrine ne peut poser que des principes il appartient aux juges, avec le secours et l'expérience des médecins aliénistes, de les appliquer dans chaque espèce.

255. Ceci indiqué, le problème de l'aliénation mentale a un côté philosophique et un côté scientifique. Il s'agit, en effet, de déterminer pour quelle raison l'aliéné ne peut être puni et d'établir à quel signe on reconnaîtra qu'un délinquant est un aliéné.

I. Au premier point de vue, la question se rattache aux bases mêmes de la responsabilité. Pour ceux qui ne voient de délit que dans un acte libre et volontaire, exécuté avec discernement, l'aliéné ne peut être un délinquant, car il lui manque l'une ou l'autre de ces facultés, la conscience ou la liberté. Pour ceux qui fondent la responsabilité pénale sur la responsabilité sociale, la seule mesure qui se conçoive comme réaction contre l'aliéné, est une mesure de défense, distincte de la peine, et ayant simplement pour objet de l'empêcher de nuire. Pour ceux qui conservent la notion de personnalité, en dehors du libre arbitre, la folie enlève la responsabilité, parce qu'elle nous désassimile et nous aliène, parce qu'elle nous fait étranger à notre milieu et à nous-même. On voit que si les systèmes diffèrent sur la cause de l'irresponsabilité résultant de la démence, tous sont d'accord pour l'admettre. C'est qu'en effet la société édicte la menace et prononce la peine seulement contre les individus que la répression peut convaincre et arrêter, parce qu'ils jouissent d'un état psychique normal; et lorsque cette condition fait défaut, il est bien certain qu'une répression n'aurait plus de raison d'être.

terdire à une juridiction de déclarer non coupable un individu qui ne jouissait pas de sa raison au jour du délit. Tous les jours, les tribunaux renvoient d'instance des individus qui ne sont certainement pas des déments, à raison de ce qu'ils ont été inconscients de leurs actes.

II. Les tribunaux, pour rechercher le diagnostic de la démence et son influence sur la responsabilité, ont suivi, pas à pas, les évolutions de la médecine mentale 18.

Au début du siècle, les fous sont parqués, par les aliénistes, en quatre catégories : les idiots, chez qui l'intelligence a toujours

18 Un point, aujourd'hui certain, c'est que la démence est une maladie du corps, de nature organique, et qu'il n'y a pas d'aliénation mentale sans modification physique. Il convient donc, toutes les fois qu'elle sera alléguée, de provoquer une expertise médicale. C'est ce qui se fait en pratique. Mais, nulle part, la loi n'en impose l'obligation: Cass., 30 juillet 1817 (D. J. G., vo Peine, no 393-1o). Cfr. Des expertises médico-légales en matière d'aliénation mentale, par MITTERMAIER, professeur à l'Université d'Heidelberg, ouvrage analysé par le Docteur DAGONET (Annales médico-physiologiques, mars 1865, 4 série, t. V, p. 201); H. COUTAGNE, Manuel des expertises médicales en matière criminelle (Storck, 1887), p. 241-263. Les doctrines d'Elias REGNAULT et de TROPLONG (Traité des donations et des testaments, t. I, p. 120), sur l'incompétence des médecins en matière d'appréciation de la responsabilité fondée sur l'état mental, ont à peu près passé du domaine de la pratique dans celui de l'histoire. Le fou est un malade, dont on détermine le type clinique par les procédés ordinaires de la pathologie, et les éléments sur lesquels la science médicale base le diagnostic d'une maladie cérébrale ne diffèrent pas, en somme, de ceux qu'elle emploie pour déterminer les affections de tout autre organe. On sait, aujourd'hui, que la folie doit être suspectée en dehors des cas où l'incohérence complète des idées, jointe à l'absence d'une cause rationnelle pour expliquer l'acte incriminé, impose a priori le diagnostic de la démence. « La folie silencieuse a, en effet (COUTAGNE, op. cit., p. 242), en médecine judiciaire, une bien autre importance que la folie bruyante, et, dans la majorité des expertises de cette classe, nous avons à rechercher l'origine maladive de faits déduits, avec une logique irréprochable, de conceptions délirantes souvent tenues à l'état latent et sans réaction apparente sur l'état cérébral ». Ces formes de folie sont, aujourd'hui, profondément étudiées par les aliénistes, sous les noms de folie morale, folie affective, folie lucide. Les rapports médicaux, en matière d'expertises mentales, se terminent ordinairement par trois conclusions: a) La première tranche la question du diagnostic médical, c'est-à-dire si le prévenu ou l'accusé est un aliéné et quel type clinique d'aliénation mentale le médecin a constaté. b) La seconde se prononce sur la responsabilité du prévenu ou de l'accusé. L'appréciation par le médecin de la responsabilité pénale n'est que la consécration logique du caractère exclusif de sa compétence en matière d'examen médico-psychologique. c) Dans sa troisième conclusion, l'expert porte le diagnostic de la maladie du sujet et se prononce sur les précautions qu'il estime nécessaires, au point de vue de la sécurité publique.

sommeillé; les déments proprement dits, dont l'intelligence est éteinte; les maniaques; les mélancoliques. A ces quatre formes se borne d'abord le domaine restreint de l'irresponsabilité. Puis, les aliénistes l'agrandissent, en créant une cinquième classe de fous les monomanes, dont le délire est concentré « sur un seul objet ou sur une série d'objets circonscrits ». Mais la doctrine de la monomanie intellectuelle, de la monomanie raisonnante, de la monomanie instinctive, après avoir triomphé avec Esquirol et Georget, est battue en brèche par des observateurs plus récents, qui démontrent que, dans la majorité des cas, pour ne pas dire dans tous les cas, le prétendu délire partiel, loin de s'installer d'emblée dans l'intelligence, n'est que la conséquence et la conclusion d'un état maladif général, dans lequel l'aliéné, assailli d'idées délirantes, fait peu à peu son choix. parmi elles et systématise insensiblement son délire, sans toutefois jamais arriver à l'unité.

Quelle que soit, en effet, dans un cas donné, la prédominance apparente d'un système d'anomalie mentale, une analyse rationnelle doit permettre de la rattacher à un ensemble de troubles morbides plus latents, qui ont atteint, avec une intensité plus ou moins grande, le fonctionnement des diverses facultés psychiques. Il faut donc, aujourd'hui, écarter, du domaine de la pathologie mentale, cette conception fausse d'altérations isolées. de la volonté, de monomanies, caractérisées par une impulsion irrésistible à l'acte dont on est inculpé 19, le libre arbitre n'étant annihilé que par des actes en rapport avec la conception. délirante, mais fonctionnant bien pour tous les actes qui se trouveraient en dehors de sa sphère morbide. Les maladies mentales sont toutes des maladies de l'encéphale, pouvant déterminer un trouble complet ou partiel dans les trois importantes fonctions psychiques, de l'intelligence, du caractère, des sentiments, d'où cette distinction d'ordre, souvent faite par les alié

19 C'est ainsi que l'impulsion au vol, à l'incendie, à l'exhibition des parties sexuelles, a été caractérisée, comme une forme spéciale de monomanie, sous les noms de kleptomanie, de pyromanie, de folie exhibitioniste. Voy. MOLINIER, De la monomanie envisagée sous le rapport de l'application de la loi pénale (Rev. de légis., 1853, p. 253), id., Traité, t. II, p. 153 à 157.

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