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à quelque degré qu'elle soit parvenue. La folie, survenue après la déclaration d'appel ou de pourvoi, suspendrait, sans aucun doute, le jugement à rendre par la cour d'appel ou la Cour de cassation. Mais j'irai même plus loin: l'accusé a été frappé d'aliénation mentale au moment où il entendait la lecture de l'arrêt de la cour d'assises le condamnant à la peine de mort cet arrêt n'est pas définitif, puisque le condamné a trois jours pour se pourvoir étant fou, il ne songe pas à profiter de cette dernière et suprème ressource: le délai du pourvoi sera suspendu à son profit, tant qu'il n'aura pas recouvré la raison.

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b) La démence survient après la condamnation devenue irrévocable peut-on appliquer au condamné, en état d'aliénation mentale, la peine prononcée contre lui? Il est deux catégories de condamnations à propos desquelles aucune difficulté ne s'élève. La condamnation à la peine de mort ne sera pas exécutée avant que le condamné ait recouvré la raison. La peine n'a pas été seulement prononcée pour l'exemple des autres, mais pour l'expiation du condamné 26. Or, ne serait-il pas odieux et absurde de faire monter sur l'échafaud un insensé, en expiation d'un crime dont il n'aurait plus conscience? Si la peine prononcée est une peine pécuniaire, une amende, une confiscation, la démence du condamné ne fera pas obstacle à son exécution. L'amende et la confiscation, dès qu'elles sont prononcées, perdent, à certains points de vue, leur caractère pénal: elles deviennent des dettes, grevant le patrimoine et peuvent être exécutées sur le patrimoine, en quelque main qu'il ait passé et quelle que soit la condition du débiteur. Mais si l'insensé était insolvable, pourrait-on employer la contrainte par corps contre lui? Nous ne le pensons pas; la contrainte par corps joue un double rôle en matière pénale; elle est tout à la fois une peine et une épreuve de

26 Les anciens criminalistes n'étaient pas d'accord sur ce point. « A l'égard de celui qui, depuis la condamnation, est absolument tombé en démence, dit ROUSSEAU DE LACOMBE (Matières criminelles, p. 82), Julius Clarus estime qu'en ce cas, il ne doit pas être exécuté à mort, mais seulement que la confiscation doit avoir lieu; ce qui ne serait pas suivi parmi nous, l'exécution du condamné ayant l'exemple pour principe ».

solvabilité: or, ni à titre de peine, ni à titre d'épreuve de solvabilité, on ne la conçoit employée contre un insensé, puisque cet insensé ne sait plus ce qu'il possède et ne peut comprendre pourquoi on le punit.

Si la condamnation est d'une peine privative de liberté, l'emprisonnement, la réclusion, les travaux forcés, elle ne peut certainement être exécutée contre un aliéné, telle qu'elle a été prononcée : on n'écroue pas un fou dans une maison centrale, on ne l'embarque pas pour la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane: on l'enferme dans un hospice d'aliénés. Mais cette détention dans un hospice, détention qui est une mesure de précaution et non une mesure pénale, comptera-t-elle dans la durée de la peine? Je le crois, malgré l'avis contraire de la plupart des auteurs: est-ce que le temps, passé par un condamné malade à l'infirmerie, ne compte pas dans le calcul de la durée de la peine"? Pourquoi n'en serait-il pas de même du temps passé par un fou dans l'asile? On objecte que l'homme ne peut être châtié que s'il comprend le châtiment qu'on lui inflige et que la peine est. avant tout, expiatrice; nous sommes d'accord sur ce point: mais, la condamnation étant devenue irrévocable, la peine s'exécutait; la maladie est survenue: pourquoi arrêterait-elle cette exécution dans un cas, alors qu'elle ne l'arrête pas dans l'autre 28?

27 Le temps passé par un condamné dans un hospice ne s'impute sur la durée de la peine, d'après la pratique de la chancellerie, que lorsque le dépôt dans l'hospice a eu lieu conformément aux articles 15 et 16 de la loi du 4 vendémiaire an VI, relative à l'exécution des peines par les condamnés malades. La question a été discutée à la Chambre des députés (J. O., 25 mars 1877). Comp. CABAT, Du calcul de la durée des peines à l'usage du parquet (Paris, 1878), no 32.

28 Une question d'un grand intérêt, et que nous examinerons plus loin, est celle de savoir si la prescription de l'action publique ou de la peine peut continuer à courir pendant la démence. Le prévenu frappé d'aliénation mentale ne peut être poursuivi; certaines peines ne peuvent être exécutées contre un fou le temps fait-il, malgré cela, son œuvre pour empêcher la poursuite ou l'exécution?

XL. DE L'INFLUENCE SUR LA RESPONSABILITÉ D'UN TROUBLE MOMENTANÉ DES FACULTÉS MENTALES

260. Observation générale. 261. Fièvres. Épilepsie. Hystérie.

riode menstruelle. Période de grossesse. 263. Surdi-mutité.

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meil. Songes. Somnambulisme.-265. Hypnotisme. Suggestion. 266. Ivresse, alcoolisme. 267. Passions, colère, haine, amour, jalousie, cupidité, etc.

260. L'altération des facultés intellectuelles peut provenir de certaines causes qu'il est difficile de faire rentrer dans la démence, alors même que l'on donnerait à cette expression le sens le plus large, tel est le cas, pour le délire qui se manifeste dans certaines maladies aiguës ou chroniques, pour la grossesse, la surdi-mutité, l'ivresse, le somnambulisme et l'hypnotisme, etc. Le législateur français a négligé de régler ces situations. Il ne l'a pas fait expressément, puisqu'aucun texte ne s'en occupe; il ne l'a pas fait implicitement, puisqu'il ne peut être permis d'étendre la disposition sur la démence à ces troubles des facultés mentales. Cela ne signifie certes pas que le juge ne puisse ou ne doive en tenir compte. Le problème de la culpabilité, qui lui est soumis, sous ses divers aspects, dans tout procès pénal, l'oblige à examiner, en fait, toutes les circonstances qui excluent ou diminuent la culpabilité, soit pour écarter la répression, soit pour modérer la peine. Les pouvoirs généraux du juge suffisent donc, sans qu'il soit besoin de dispositions spéciales, qui seraient plus dangereuses qu'utiles. En cette matière, la loi doit s'en rapporter aux tribunaux, qui ne négligeront pas le secours de la médecine judiciaire, à laquelle il appartiendra de dire sur quelles facultés le trouble ou l'altération constaté exerce son influence et quelle peut être la conséquence de tel phénomène au point de vue de la responsabilité.

261. Certaines maladies aiguës, telles que la méningite, la fièvre typhoïde, etc., et quelques maladies chroniques, telles que l'épilepsie et l'hystérie, déterminent des crises de délire pendant lesquelles tout discernement disparaît et, avec lui, toute responsabilité.

C'est surtout à propos de l'hystérie que la question de responsabilité pénale a dû être examinée par les tribunaux. On sait que l'hystérie est un manque d'équilibre dans le système nerveux déterminant une altération de la volonté. Les hystériques sont fréquemment inculpés de meurtres passionnels, de vols à l'étalage, surtout dans les grands magasins, de dénonciations calomnieuses, etc. Quelle est leur responsabilité dans ces actes? Legrand du Saule, qui a étudié ce sujet d'une manière spéciale1, distingue quatre degrés dans cette affection, qui peut s'étendre, depuis le simple nervosisme, jusqu'à la folie proprement dite. 1° En cas de simple nervosisme, se traduisant par des bizarreries de caractère, la responsabilité reste entière; 2° Au second degré, l'hystérie se manifeste par un besoin de faire parler de soi, amenant des simulations, des inventions, des dénonciations calomnieuses; dans ce cas encore, la responsabilité est complète, et le grand danger, pour les magistrats, c'est de se laisser prendre à des récits mensongers qui peuvent nuire aux tiers; 3° En cas d'hystérie grave, la volonté est opprimée, car le système nerveux est détraqué, déséquilibré; le malade obéit, souvent, à des impulsions difficiles à réprimer: dans ce cas, la responsabilité peut être atténuée; 4o Enfin, au quatrième degré, c'est la folie hystérique, qui se manifeste par des signes physiologiques et pathologiques aujourd'hui connus: anesthésie générale ou partielle, zones d'hyperesthésie, douleurs ovariennes, spasmies des voies aériennes et digestives. contraction des membres, paralysies, léthargie et somnambulisme, convulsions et attaques. Les diverses phases de la grande crise hystérique rappellent les phénomènes de démonomanie et de possession qui ont fait, autrefois, tant de victimes judiciaires. L'hystérie, poussée à ce degré, est une véritable folie transitoire qui supprime toute responsabilité. L'article 64 du Code pénal peut être invoqué.

L'épilepsie, la maladie sacrée des anciens, a été particuliè

1

§ XL. Les hystériques, Paris, 1883. C'est à cet ouvrage que nous empruntons le tableau des divers degrés de l'hystérie. Comp. KLEIN, De l'hystérie chez l'homme, Paris, 1880; MARICOURT, L'hystérie chez l'homme, Paris, 1887.

rement étudiée dans ses rapports avec la criminalité. Au point de vue spécial où nous nous plaçons, l'irresponsabilité de l'épileptique, qui commet un délit pendant une crise, est incontestable. Même en dehors de cette période, la plupart des épileptiques présentent des troubles tels, dans le jeu de leurs facultés, que si leur responsabilité peut être admise, on doit, dans tous les cas, avant de l'admettre, analyser minutieusement les situations qui se présentent. Ce serait une doctrine dangereuse, en effet, que d'apporter, dans cette question, une opinion, formulée d'avance, sur la culpabilité ou la non-culpabilité des épileptiques. Quelques physiologistes ont singulièrement étendu le domaine de l'épilepsie, car, s'il fallait les croire, les plus grands hommes de l'antiquité et des temps modernes auraient été des épileptiques, de sorte que le génie ne serait qu'une névrose. De pareilles théories, qui se réclament d'une science hypothétique, relèvent elles-mêmes de l'aliénation mentale".

262. De graves problèmes de responsabilité se posent, relativement à la femme, soit dans la période menstruelle', soit pendant la grossesse. Ces états agissent certainement sur les facultés de la femme, et, sans troubler sa raison, excitent, en elle, des désirs, des envies parfois invincibles. La responsabilité pourra être atténuée, et même disparaître; mais il est impossible de donner des solutions absolues. Je constate que les médecins légistes acceptent difficilement cette prétendue cause d'irresponsabilité; et la défiance de la simulation, dans ce cas, devra être la première règle de la pratique judiciaire.

263. La surdi-mutité n'est point, par elle-même, exclusive, chez celui qui en est atteint, de l'intelligence du bien et du mal :

2 PICHON, De l'épilepsie, Paris, 1885; COLLINEAU, L'épileptique, Paris, 1886; id., L'état mental des épileptiques, Paris, 1886; LEGRAND DU SAULE, Étude medico-légale sur les épileptiques, Paris, 1877. Voy. LOMBROSO, L'homme de génie, 2o éd. franç., Paris, 1896.

3 Voy. les observations présentées dans les Congrès d'anthropologie criminelle de Rome (Actes, p. 146, 147, 228, 238, 502) et de Paris (Actes, p. 196, 229, 232, 234, 235, 236). Comp. ALIMENA, op. cit., t. II, p. 27 à 36. 4 ICARD, La femme durant la période menstruelle, Paris, 1889.

5 MARCE, De la folie des femmes enceintes, Paris, 1888.

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