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l'agent porte volontairement des coups ou fait volontairement des blessures qui occasionnent la mort de la victime, sans intention de la donner; l'intention criminelle existe quant aux coups et blessures; il y a faute, quant à l'homicide, à raison du défaut de prévoyance qui a amené la mort de la victime. Dans ce cas, doit-on appliquer à l'agent la peine ordinaire du meurtre? Les anciens criminalistes le pensaient, et l'un d'eux Carpzovius, dans sa Practica criminalis, no 63, avait formulé, en adage, une règle dont il a été bien souvent fait abus: Danti operam rei illicitæ imputari debet quidquid fuerit præter ejus intentionem ex acto secutum. Avant la révision du Code pénal par la loi du 28 avril 1832, la Cour de cassation, se rattachant à la tradition, punissait, comme meurtrier, celui qui, par des coups et blessures, avait déterminé la mort de sa victime, sans cependant avoir l'intention de la donner. Par la même raison, elle appliquait la peine de l'avortement à celui qui provoquait l'avortement d'une femme, à laquelle il portait volontairement des coups ou faisait des blessures, dans l'ignorance de son état de grossesse. La révision de 1832 a condamné, comme excessive, la jurisprudence de la Cour de cassation relativement aux coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner et a modifié, en ce sens, l'article 309 du Code pénal, en ne punissant ces coups et blessures que des travaux forcés à temps, tandis que le meurtre est puni des travaux forcés à perpétuité (C. p., art. 304). La même solution s'impose pour l'avortement, on n'appliquera les peines de l'article 317, § 1, qu'à celui qui a eu l'intention de le provoquer. De même, pour l'exposition d'un enfant en bas-âge, la loi distingue suivant que l'enfant a été abandonné dans un lieu solitaire ou non solitaire. Si l'abandon s'est produit dans un lieu solitaire et s'il en est résulté, pour l'enfant, des blessures ou la mort, la loi voit, dans cet abandon, un dol indéterminé et applique les peines des blessures volontaires ou du meurtre (C. p., art. 351) Dolus indeterminatus determinatur eventu. Si l'abandon s'est produit dans un lieu non solitaire, l'intention n'existe que quant à l'abandon, qui est

6 Voy. les arrêts cités par BLANCHE, op. cit., t. IV, no 465.

punissable, en lui-même, de trois mois à un an d'emprisonnement et de seize à cent francs d'amende (C. p., art. 352). Mais s'il en est résulté des blessures ou la mort, il y a, quant à ce résultat, une faute de l'agent, responsable, dès lors, du délit de blessures ou d'homicide par imprudence (C. p., art. 319 et 320). Le seul fait intentionnel est le délaissement; les blessures ou la mort, ce sont des conséquences que l'agent n'a pas voulues et qu'il pouvait raisonnablement ne pas vouloir, puisqu'elles n'étaient ni nécessaires, ni même habituelles. Seulement, la loi aurait dû faire de la faute une circonstance aggravante du délit intentionnel et non un délit distinct".

282. Nous arrivons à la simple faute, à l'absence d'intention criminelle. La répression d'une action ou d'une omission inintentionnelle paraît être en contradiction avec cette idée qui forme, dans tous les Codes, la base même de la responsabilité pénale: à savoir que l'homme ne peut être puni que lorsqu'il a volontairement fait le mal. Deux notions corrélatives l'expliquent cependant et la justifient. C'est d'abord l'idée qu'il était possible de prévoir les conséquences de telle action ou de telle omission : la possibilité de prévoir, le « prévidibilité », si je puis m'exprimer ainsi, est, en effet, la condition nécessaire et suffisante de la simple faute la condition nécessaire, car, sans la possibilité de prévoir, on rentre dans le cas fortuit; la condition suffisante, car, avec la possibilité de prévoir, on reste dans le domaine de la volonté. C'est, en second lieu, l'idée de l'utilité et de la justice de la peine pour contraindre l'homme, qui est doué de la faculté de prévoir, à se servir de cette faculté, si bien que sa responsabilité se trouve engagée précisément parce qu'il n'a pas fait usage de sa volonté, alors qu'il pouvait en faire usage.

Il y a des degrés dans la faute. Les distinctions, anciennes ou modernes, entre la « faute avec prévoyance » et la «< faute sans prévoyance », la « faute par omission » et la « faute par commission », la « faute de témérité » et la « faute d'inadvertance », n'offrent pas grand intérêt pratique. Plus importante est la vieille

7 Surtout, avec le système français du concours de délits (C. instr. cr., art. 365).

distinction romaine entre la faute lourde (culpa lata), légère (culpa levis), très légère (culpa levissima), parce que si la faute lourde touche aux frontières du dol, la faute très légère touche à celles du cas fortuit, et qu'il peut être difficile de classer nettement, dans un domaine ou dans l'autre, les espèces si variées qui se présentent. Les Romains formulaient, à cet égard, des règles qui ne seraient plus vraies aujourd'hui; telles que l'assimilation de la faute lourde au dol. Le juge, qui n'est plus lié par des formules, appréciera souverainement les limites du dol et de la faute, de la faute et du cas fortuit.

Le premier degré de la faute (culpa lata) consiste, soit dans un défaut de cette prudence, de cette prévoyance qu'on rencontre habituellement chez les hommes, soit dans l'inobservation des prescriptions légales. Ce sera, la qualification que méritera, par exemple, la faute du chasseur, s'introduisant dans un lieu clos, un parc, pour y suivre le gibier, et blessant ou tuant quelqu'un en action de chasse. Ce sera le cas du voiturier, s'endormant sur sa charrette, et écrasant quelqu'un (C. p., art. 475, § 2; art. 319 et 320).

Le second degré de la faute (culpa levis) consiste dans l'imprudence qu'un homme prévoyant n'aurait pas commise. C'est le fait de manier une arme chargée, lorsqu'on ne sait pas s'en servir, ou bien de monter un cheval fougueux, lorsqu'on n'est pas en état de le conduire, et de tuer ou blesser quelqu'un.

Le dernier degré de la faute (culpa levissima) consiste dans une absence de cette précaution ou de cette prévoyance dont un homme excessivement prudent ne se serait peut-être pas abstenu. Ce sera, par exemple, la faute à reprocher à celui qui blesse ou tue quelqu'un, en jetant, d'une fenêtre, un objet, alors que cette fenêtre est ouverte au-dessous d'un lieu où l'on ne passe que très rarement ou même jamais.

La faute lourde ne doit pas plus être assimilée au dol que la faute légère ne peut l'être au cas fortuit: 1o Dans la faute lourde, l'intention de causer le mal incriminé n'existe ni directement, ni indirectement ce qu'on peut reprocher seulement à l'agent, c'est de n'avoir pas employé ses facultés à prévoir les conséquences possibles de ses actes. C'est donc l'imprévoyance qui

constitue la faute lourde. Or, dans le dol, même indéterminé, il y a acceptation des conséquences que l'acte peut avoir. C'est toujours la volonté qui s'applique à un acte en raison de ses conséquences. 2o Le cas fortuit est un événement que la prudence humaine ne peut prévoir, ni empêcher. Nul n'en est responsable, parce qu'aucune faute n'est imputable à celui qui peut en être l'auteur. Or, dans la faute, même très légère, il y a une dose, faible il est vrai, de négligence, d'imprévoyance ou d'imprudence. 283. La question capitale que soulève la théorie de la faute consiste à déterminer le point où s'arrête la responsabilité. Celui qui est la cause médiate, indirecte d'un fait dommageable peut-il être incriminé comme s'il en était la cause immédiate et directe? Par exemple, dans un train de chemin de fer en marche, une portière a été laissée ouverte par l'inadvertance d'un employé un enfant tombe sur la voie; son père affolé se précipite pour le sauver : l'enfant n'a aucun mal, le père est tué. L'employé sera-t-il pénalement responsable de l'homicide, parce que cet accident a pour cause originaire sa négligence, bien que la cause immédiate ne puisse lui en être attribuée? Évidemment, la causalité juridique, sur laquelle se base la responsabilité, ne saurait avoir la même étendue que la causalité matérielle. Dans cet enchaînement indéfini des causes et des effets, qui est la loi de tout phénomène, on peut constater, parfois, le point de soudure des anneaux successifs qui en forment la trame et faire remonter l'imputabilité matérielle d'un événement à telle action ou à telle omission, souvent fort éloignée. Mais la causalité juridique, qui permet d'imputer un fait au point de vue social et d'en rendre un individu responsable, suppose, entre la faute commise et l'événement qu'il s'agit d'imputer, un rapport certain et direct, c'est-à-dire tel qu'il eût été possible de prévoir que telle action ou telle omission aurait telle conséquence; or, s'il intervient, dans la chaîne des effets et des causes, un nouveau fait, non seulement imprévu, mais venant rompre, en quelque sorte, le lien qui unissait la faute originaire à sa dernière conséquence, le rapport de causalité n'est plus suffisant pour servir de base à la responsabilité pénale. C'est à ce point de vue surtout qu'il est nécessaire de distinguer la condition ou

l'occasion d'un événement quelconque de sa cause directe. Même en acceptant la vieille maxime: causa causarum est causa causati, il reste toujours à rechercher si la «< cause de la cause >> ne serait pas seulement, en réalité, l'« occasion de la cause ». Dans le cas supposé, entre l'omission de l'employé et la chute de l'enfant, on voit bien un rapport de causalité efficiente, une succession de faits qu'on pouvait et, par conséquent, qu'on devait prévoir. Mais quand le père, volontairement, se lance du train sur la voie, alors intervient une nouvelle « cause », « OCcasionnée », sans doute, par l'inadvertance de l'employé, mais n'ayant jamais pu entrer dans les prévisions de celui-ci.

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284. La négation de l'intention criminelle peut être directe, ou bien résulter de l'erreur de fait ou de l'erreur de droit. - 285. Du cas où l'auteur du fait nie directement l'intention criminelle. 286. La classification des infractions en crimes, délits, contraventions, mise en rapport avec la division des infractions en infractions intentionnelles et inintentionnelles.

284. Le prévenu ou l'accusé, qui reconnaît avoir commis l'action ou l'inaction prévue par la loi pénale, dans la plénitude de son intelligence et de sa liberté, mais qui conteste sa responsabilité pénale par défaut d'intention, peut essayer d'établir sa bonne foi 1° en prouvant directement qu'il n'avait pas l'intention de violer la loi pénale; 2° en établissant qu'il a commis une erreur de fait; 3° en prouvant qu'il a commis une erreur de droit. Que l'on parcoure les diverses hypothèses où la question d'intention est en cause, et l'on verra que toutes peuvent être groupées sous l'un de ces trois chefs. En nous plaçant à ces divers points de vue, nous chercherons à apprécier l'influence et l'effet de ce que l'on a souvent appelé l'« excuse de la bonne foi ».

C'est seulement le premier cas que nous examinerons dans ce paragraphe, réservant l'étude des deux autres pour le paragraphe suivant.

285. L'inculpé, tout en reconnaissant qu'il est l'auteur du

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