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mes : « S'il y a eu excès dans la défense, le juge atténuera librement la peine; toutefois l'auteur sera libéré de toute peine s'il a agi dans un état excusable d'excitation ou de trouble ».

§ XLIX.

CAS EXCEPTIONNELS DE LÉGITIME DÉFENSE

(C. p., art. 329.)

307. Caractère de l'article 329. 308. Premier cas. Escalade et effraction la 309. Second cas. Vol ou pillage avec violence.

nuit.

-

307. Après avoir posé la règle générale, le Code pénal prévoit, dans l'article 329, deux cas qu'il considère comme rentrant dans la légitime défense: « Sont compris dans le cas de nécessité actuelle de défense les cas suivants : 1o Si l'homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés en repoussant pendant la nuit l'escalade et l'effraction des clôtures, murs ou entrée d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances. 2° Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ».

Quel est le caractère de cette disposition? Pour certains auteurs, ce texte n'est qu'un exemple d'hypothèses où se rencontrent les conditions de la légitime défense, le développement, par voie d'explication, du principe de l'article 328. Mais alors quelle en serait l'utilité? Pourquoi d'ailleurs le législateur aurait-il pris soin de préciser si nettement, dans les espèces qu'il prévoit, les conditions de la légitime défense, alors que, pour

§ XLIX. C'est le caractère que paraissait donner, à la disposition, le rapporteur du Code pénal au Corps législatif, Monseignat. Après avoir dit que l'homicide, commis dans les circonstances prévues dans l'article 329, était offert par le projet de loi pour exemple de l'homicide légitime, le rapporteur ajoutait : « Ces espèces particulières indicatives, mais non restrictives de l'homicide légitimement commis, sont consignées dans la loi pour avertir que, si elle consent à regarder comme légitime l'action qui a pour objet de repousser la mort dont nous sommes menacés, elle réduit l'usage de ce droit au seul cas où l'impérieuse nécessité nous en ferait un devoir ».

les autres cas, la détermination de ces conditions est abandonnée à la sagesse des magistrats? Pour nous, avec la jurisprudence, nous croyons que la loi a entendu créer une double présomption de légitime défense, qui existe par cela seul que les circonstances, prévues par le texte, sont reconnues constantes par le juge. Mais, en admettant ce point de vue, on peut donner, à cette présomption, soit la valeur d'une présomption simple, soit la valeur d'une présomption irrefragable. C'est ce dernier caractère que la jurisprudence paraît lui reconnaître. Mais lorsqu'il s'agit d'apprécier la culpabilité d'une personne, il n'y a point de présomption irréfragable pour ou contre l'inculpé. Les conditions de la légitime défense sont toujours requises. Mais, en général, l'inculpé, qui invoque ce moyen, doit établir que l'homicide ou les coups et blessures « étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense ». Tandis que, dans les deux hypothèses prévues par l'article 329, la loi présume l'existence de ces conditions. L'effet de cette disposition est donc de rendre inutile, en faveur de l'accusé, la preuve des conditions habituelles de la légitime défense, en la remplaçant par celle des faits mêmes sur lesquels la présomption est fondée. Ce sera donc, par un renversement des règles générales, à l'accusation qu'il appartiendra d'établir, si elle veut obtenir une condamnation, que les conditions de la légitime défense n'existaient pas.

308. Le premier cas de légitime défense se rattache à deux idées corrélatives celle du domicile qui doit être, surtout la nuit, un asile inviolable; celle du danger que fait courir aux habitants l'emploi de l'escalade ou de l'effraction. Celui qui cherche à s'introduire, par ces procédés, dans une maison habitée, est probablement un malfaiteur qui ne reculera pas devant la violence la loi proclame que tous les moyens sont permis pour l'empêcher de mettre ses projets à exécution: Præsumitur, disait Farinaccius', quod eo tempore fur habuerit

2 Cfr. Cass., 8 déc. 1871 (S. 72.1.346) et, surtout, Limoges, 17 juin, et Cass., 11 juill. 1844 (S. 44.1.777). Dans ce sens : LE SELLYER, op. cit., t. I, n° 196; TRÉBUTIEN, op. cit., t. I, p. 155, note 46; BLANCHE, t. V, no 72. 3 Quæstio 125, no 199.

animum, non solum furandi, sed etiam occidendi, vel saltem, cum si de nocte veniat, ratione temporis, discerni non posset an ad furendum, an vero ad occidendum venerit.

Le droit de tuer le voleur de nuit, pris sur le fait, est reconnu par les plus anciennes législations, par les lois de Moïse et de Solon, par la loi des XII Tables*. On lit, dans l'Exode : « Si effringens fur domum sive suffodiens fuerit inventus, et accepto vulnere mortuus fecerit, percussor non erit reus sanguinis. Quod si orto sole id fecerit, homicidium perpetravit, et ipse morietur ». Démosthène, dans son plaidoyer contre Timocrate, rapporte cette loi de Solon : « Si quelqu'un a volé quelque objet pendant la nuit, qu'il soit permis de le tuer, de le blesser en étant à sa poursuite, et de le conduire, si cela convient, devant les magistrats. » Les jurisconsultes romains rappellent souvent que la loi des XII Tables « furem nocti deprehensum occidere permittit ut tamen id ipsum testificetur ». Le Code pénal français a conservé cette distinction traditionnelle.

Quelles que soient, du reste, l'étendue et la force de la présomption de légitime défense, il faut la restreindre, comme toute présomption, dans les termes mêmes où elle a été édictée par la loi.

L'homicide, les coups et blessures ne seront justifiés qu'à trois conditions: -1° Il faudra qu'ils aient été accomplis en repoussant l'escalade ou l'effraction... L'article 329 serait-il encore applicable si l'escalade ou l'effraction était consommée? Cette situation ne répond pas exactement aux termes du texte, qui suppose l'escalade ou l'effraction seulement tentée; mais presque tous les auteurs et la jurisprudence estiment, par un argument a fortiori, qu'elle y est implicitement comprise. Nous

On consultera THONISSEN, Études sur l'histoire du droit criminel, t. I,

p. 189.

5 Exode, chap. XXII, V, 2 et 3.

6 GAIUS, Loi 4, D. Ad legem Aquiliam. Comp. ULPIEN, Loi 9, D. Ad legem Corneliam de sicariis; AULU-GELLE, 8, 1; MACROBE, Satires, 1, 4, 19. Le texte de la loi des XII Tables nous est rapporté par ces deux derniers auteurs : Si nox furtum faxsit, si im occidit jure cœsus esto.

7 La jurisprudence a étendu les dispositions de l'article 329, § 1, à cette situation. Voy. Amiens, 16 mars 1843 (S. 43.2.140); Cass., 11 juill. 1844 (S. 44.1.358); 8 déc. 1871 (S. 72.1.366). « Attendu, disait le réquisitoire.

R. G. Tome I.

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avons quelque peine à admettre cette solution. Sans doute, les personnes de l'intérieur qui, se trouvant en face d'un malfaiteur, le blesseront ou le tueront, pourront invoquer, pour justifier leurs actes, la légitime défense, mais dans les termes de l'article 328, et sans pouvoir se couvrir de la présomption légale de l'article 329. L'escalade et l'effraction pendant la nuit permettent à l'habitant de craindre, pour sa personne, un danger immédiat qu'il serait peut-être impossible d'éviter en laissant les auteurs de l'escalade et de l'effraction s'introduire dans la maison voilà pourquoi la loi autorise à repousser l'escalade ou l'effraction par tous les moyens. Mais quand le malfaiteur s'est introduit dans l'habitation, le droit commun reprend son empire et l'homicide ne peut être justifié que s'il est «< commandé par la nécessité ». - 2° Il faut que la maison soit habitée. Aux termes de l'article 390 du Code pénal, est réputé maison « habitée» tout bâtiment, tout appartement et généralement tout lieu qui, « sans être actuellement habité, est destiné à l'habitation ». Cette définition ne nous paraît pas devoir être appliquée ici. L'article 329 donne le droit de repousser par la force l'escalade et l'effraction, parce qu'il envisage ces actes comme des attentats qui menacent les personnes : il doit donc supposer que la maison est actuellement habitée. -3° L'homicide, les coups et blessures ne seraient justifiés que si l'escalade et l'effraction avaient eu lieu pendant la nuit. Si l'escalade et l'effraction ont présenté à la Chambre d'accusation de la Cour d'appel d'Amiens, que cette disposition (C. p., art. 329, § 1) est conçue d'une manière générale; qu'elle ne doit pas être restreinte au cas où l'escalade, l'effraction n'aurait point encore été consommée, mais serait seulement commencée ou sur le point de l'être; qu'elle comprend évidemment dans ses termes le cas où l'escalade, l'effraction aurait été consommée, et, par conséquent, celui où l'introduction des malfaiteurs dans la maison habitée aurait été accomplie; que, s'il en était autrement, la protection dont la loi a voulu entourer les citoyens dans leur domicile serait incomplète, puisqu'elle leur manquerait dans le cas le plus grave, celui où leur propriété serait, en quelque sorte, livrée à la merci des malfaiteurs et où leur vie pourrait courir de véritables dangers, etc... ». Comp., LE SELLYER, Traité de la criminalité, t. I, no 97 bis.

8 La loi pénale ne détermine pas ce qu'il faut entendre par nuit. Nous retrouverons plus loin la question. Mais il est certain qu'on ne peut appliquer

eu lieu le jour, l'emploi de la force n'est plus légitime et constitue une simple excuse atténuante (C. p., art. 322 et 326).

Ce qu'il faut remarquer, c'est que la présomption légale de légitime défense parait justifier les actes accomplis dans les termes de la loi, quel qu'ait été le but de l'escalade ou de l'effraction, que l'auteur de l'agression en ait voulu à la vie des personnes habitant la maison, à leur propriété, ou même à leur honneur. C'est surtout à ce dernier point de vue que la disposition de l'article 329 est dangereuse : elle permet de justifier, en effet, jusqu'au meurtre commis dans des circonstances où il serait avéré qu'aucun des habitants de la maison n'a couru de danger personnel et savait ne courir de danger personnel'. Le législateur eût mieux fait de laisser les hypothèses qu'il prévoit sous la règle générale de l'article 328, en donnant au juge une pleine liberté d'appréciation pour examiner et contrôler la question de savoir si les conditions générales de la légitime défense existaient 10.

ici aucune des règles de la nuit légale (C. proc. civ., art. 781 et 1037); c'est de la nuit effective qu'il s'agit, c'est-à-dire de l'espace de temps qui suit le crépuscule du soir jusqu'au crépuscule du matin. L'article 478 du Code pénal belge s'explique, d'une manière formelle, sur la manière d'interpréter les mots jour et nuit : « Le vol commis pendant la nuit est le vol commis plus d'une heure avant le lever et plus d'une heure après le coucher du soleil ».

La question s'est présentée dans un certain nombre de circonstances. a) Dans l'affaire de la comtesse de Jeufosse, qui fit tuer, par son garde Crépin, un de ses voisins, Guillot, coupable d'avoir escaladé, la nuit, la haie du parc pour venir déposer un billet sur la fenêtre de Melle de Jeufosse. Sur la plaidoirie de Berryer (Cour d'assises du Loir-et-Cher, 18 déc. 1857), le jury prononça l'acquittement des accusés, qui avaient été renvoyés devant la Cour d'assises, la Chambre des mises en accusation, n'ayant pas admis l'application de l'art. 329, § 1. b) Dans l'affaire Pochon, coupable d'avoir fait fusiller, par son fils, un jeune homme qui se rendait, par escalade, la nuit, à un rendez-vous dans la chambre de sa fille; le jury déclara encore les accusés non coupables (Cour d'assises de la Moselle, 27 févr. 1858). c) La jurisprudence a admis plusieurs fois l'application de l'article 329, à l'occasion d'escalades nocturnes ayant pour objet des rendez-vous adultères; elle a consacré le droit du mari, informé des intentions de l'auteur de l'escalade, d'user de l'article 329, § 1, et de tuer ou de blesser son rival. Voy. les arrêts cités suprà, note 2.

10 Le Code pénal belge a ajouté à l'article 417, qui correspond à notre

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