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étudié, à la fois, comme phénomène biologique et comme phénomène social et l'homme criminel, non seulement comme personnalité individuelle (selbstewesen) et dans sa constitution anatomique, physiologique et psychologique, mais aussi comme membre d'un groupe social (gheldwesen); et la peine, comme une fonction même de l'organisme social.

Ces deux branches de la science criminelle correspondent au double courant d'idées que la découverte d'un crime suggère à la conscience collective un courant de questions juridiques, sur les dispositions légales applicables au fait, sur la peine et sa mesure; un courant de questions sociales, sur les causes qui ont poussé le criminel, sur ses antécédents, ses fréquentations, la crainte qu'il inspire, le milieu dans lequel il est né, les mesures à prendre contre lui, le rôle de la peine comme moyen de préservation et de défense sociales.

Le droit pénal et la sociologie criminelle, bien que reliés par la similitude de l'objet, le crime et la peine, sont séparés par la différence de méthode, ce qui suffit pour leur donner une autonomie respective. Mais tout en étant distinctes, ces deux manières de comprendre le crime et la peine doivent se pénétrer et réagir l'une sur l'autre. La sociologie criminelle a donné une nouvelle orientation au droit pénal, et, déjà, quelque prématurées que soient encore les conclusions qu'elle propose, il y a lieu d'en tenir compte et de préciser les enseignements qu'on en peut retirer. Les juristes doivent beaucoup, en effet, à la sociologie criminelle, et pour l'amélioration des lois, comme pour celle des jugements, il y a un mariage à conclure entre la science d'observation et la science de raisonnement, et cette union c'est la sociologie criminelle qui la rendra possible et féconde. Il ne faut pas à priori déclarer incompatibles le point de vue juridique et le point de vue social, et toute séparation entre deux écoles, ne pourrait que nuire aux conditions de la lutte contre la criminalité, qui est l'objectif commun du droit pénal et de la sociologie criminelle.

Le droit pénal n'est pas, comme le prétend l'école positiviste italienne, un chapitre de la sociologie: le droit pénal et la sociologie ont leur autonomie. Voy. VACCARO, Genesi e funzioni delle legge penali.

§ II.

RAPPORT DU DROIT PÉNAL ET DE LA SOCIOLOGIE
CRIMINELLE1

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3. En quoi l'application du droit civil diffère de celle du droit criminel. — 4. Nécessité pour les sciences sociales de s'appuyer sur les sciences naturelles. Méthode expérimentale appliquée à leur étude. Les nouveaux horizons du droit pénal. 5. Les lois sociales. Le libre arbitre. - 6. Double méthode appliquée à la recherche expérimentale des lois de la criminalité. 7. La sociologie criminelle. Son triple objet. - 8. Le criminel. Pour le législateur, c'est un type idéal. Pour le juge, un individu. Double conséquence. Individualisation de la peine. Condamnés primaires ou récidivistes. - 9. Fonction sociale de la répression. Peines d'élimination. Peines d'adaptation. Les critères anthropologiques et sociologiques. - 10. Les facteurs du crime. Facteurs naturels, individuels et sociaux. 11. Prophylaxie et thérapeutique criminelles. - 12. L'école anthropologique. Le type criminel au point de vue anthropologique et psychique. Explication des caractères qui différencient les criminels. Atavisme. Epilepsie. Folie morale. Dégénérescence. - 13. Ce que deviendrait la répression avec cette conception de la criminalité. Inexactitude du critère anthropologique. 14. École sociologique. 15. Les résultats de la statistique criminelle française depuis 1826. – 16. Répercussion sur le mouvement de la criminalité de tous les faits d'ordre économique, matériel et social. 17. La marche parallèle de la criminalité et de la récidive. 18. Conclusions.

3. Le droit criminel, en France et à l'étranger, étudie le délit et la peine comme de pures abstractions, envisagées au double

§ II 1. Cfr. E. FERRI, Dei limiti fra diritto penale ed antropologia criminale (Bologne, 1881); Di diritto de punire come funzione sociale (Turin, 1882); La sociologie criminelle (Paris, 1893); COLAJANNI, La sociologia criminale (Catane, 1888, 2 vol.); H. JOLY, Le combat contre le crime (Paris, 1888); La France criminelle (Paris, 1889); GAROFALO, La criminologie, Etude sur la nature du crime et la théorie de la pénalité (Paris, 2e édit., 1890); R. GARRAUD, Des rapports du droit pénal et la sociologie criminelle (Archives de l'anthropologie criminelle, 1886, t. I, p. 9 à 23), id., Le probleme moderne, la pénalité (Paris, 1888); A. PRINS, Criminalité et répression (Bruxelles, 1886); G. TARDE, La criminalité comparée (1 vol. in-12, 1886, Paris); L. PAOLI, Le droit criminel et ses horizons (La France judiciaire, 1887, t. XI, p. 109 à 117). Pour la contre-partie critique: L. LUCCHINI, Le droit pénal et les nouvelles théories, traduit par A. Prudhomme (Paris, 1892); Albert DESJARDINS, La méthode expérimentale appliquée au droit criminel en Italie, 1888; BRUSA, Sul nuovo positivismo nella giustizia penale (Turin, 1887); CARNAZZA RAMETTA, Il positivismo e le reforme nel diritto e nella procedura penale (Messine, 1884); INNAMORATI, I nuovi orizzonti del diritto penale l'antica scueola italiana (Pérouse, 1887); ARAMBURU, La nueva ciencia penal (Madrid, 1886); H. JOLY, Le crime (Paris, 1888).

point de vue de la logique et du droit. L'œuvre des criminalistes paraît consister à distinguer, avec soin, finesse et simplicité, le vol, l'escroquerie, la tentative, la complicité, etc. Il semble donc qu'un bon juriste puisse être, par cela même et par cela seul, un bon criminaliste. Mais deux différences profondes séparent le droit criminel du droit civil: la manière de juger et la suite du jugement.

Dans le procès civil, non seulement le juge peut, mais il doit faire abstraction des personnes. C'est une espèce qui lui est soumise, un acte ou un fait considéré en lui-même. Presque toujours l'individualité des parties reste étrangère à la solution de la question, et le juge, qui connaîtrait les plaideurs, devrait se déporter, car il lui serait difficile de se montrer impartial. Dans le procès pénal, au contraire, c'est un individu et non un fait qu'il faut juger, un criminel et non un crime. L'idéal de la justice répressive consisterait même à donner au criminel, pour juges, ceux qui le connaissent le mieux dans sa vie tout entière, dans son individualité physique et morale, dans ses antécédents, ses relations, son milieu.

D'un autre côté, le procès ne termine pas une affaire criminelle et le dernier mot du droit n'est pas dit par le juge la condamnation n'est que le prologue de la répression, c'est donc à l'exécution que tout aboutit. L'importance de l'exécution pénale se manifeste, à la fois, pour l'État, qui est chargé d'organiser la peine, et pour le condamné, qui va la subir. C'est de la bonne ou mauvaise solution de la question pénitentiaire que toute législation pénale tire son caractère et sa valeur.

Que résulte-t-il de cette double observation? C'est qu'il ne suffit pas au criminaliste, théoricien ou praticien, d'examiner les actes en eux-mêmes, de les rapprocher des formules ou distinctions juridiques, en un mot de raisonner sur des abstractions; il faut qu'il puisse connaître et juger l'agent, en naturaliste, en moraliste, en psichiatre. La sociologie criminelle, en constatant précisément et en signalant d'étroites relations entre des disciplines demeurées jusque-là étrangères les unes aux autres, a groupé certaines données puisées à des sources multiples (physiologie, psychologie, économie sociale, etc.), et a montré aux

juristes, aux psichiatres, aux médecins, qu'éloignés par leur origine et leurs études, ils avaient pourtant, sans le savoir, des intérêts communs et une tâche commune dans la lutte contre la criminalité.

Ce sont ces diverses contributions dont il nous faut donner une idée générale.

4. Le fondateur de la philosophie positive, Aug. Comte, a, le premier, déterminé la véritable nature des sciences sociales et la méthode qui doit être suivie dans leur étude. En plaçant les sciences sociales au sommet des connaissances humaines, non pour leur donner une vaine prééminence, mais parce que c'est en elles que s'opère la convergence de toutes les autres sciences, il a montré que les phénomènes sociaux qui, sans doute, ne s'expliquent pas uniquement par des causes physiologiques, puisqu'ils sont ou peuvent être l'effet de la volonté humaine, ont, cependant, avec ces phénomènes, des rapports constants et nécessaires, et que, si l'on veut construire les sciences sociales sur un terrain solide, il faut les appuyer sur les sciences biologiques et naturelles, c'est-à-dire, sur les sciences qui étudient la nature physique de l'homme et du monde matériel où s'exerce son activité. Et, de même que les sciences biologiques et naturelles se sont constituées, grâce aux méthodes sévères qui excluent les conceptions artificielles, sous l'empire desquelles l'esprit humain avait longtemps vécu, Aug. Comte a montré

2 Sur la classification des sciences, de GRAEEF, Les lois sociologiques (Paris, 1893), p. 1, à 35. « Le tableau hiérarchique des sciences depuis les mathématiques jusqu'à la sociologie est la formule d'une loi à la fois statique et dynamique: statique, en ce sens que l'ordre nécessaire de l'organisme scientifique est tel que les sciences les plus spéciales et les plus complexes reposent, sans exception, sur des sciences plus générales et plus simples; dynamique, en ce sens que, dans leur activité, et notamment dans leur évolution, à la fois historique et logique, elles obéissent à la même loi, au même ordre, déterminés par les mêmes conditions. >> Aug. Comte, s'est proposé, dans sa classification, d'énumérer les sciences d'après les dépendances mutuelles des phénomènes étudiés et d'en montrer la hiérarchie, mais ces dépendances étant exactement inconnaissables, « une telle classification (ainsi qu'il l'avoue lui-même) renfermera toujours quelque chose, siuon d'arbitraire, du moins d'artificiel. »

qu'on ne devait attendre le progrès des sciences sociales que de l'application, à leur étude, des méthodes d'observation directe et d'induction scientifique.

Ainsi, nécessité pour les sciences sociales de s'appuyer sur les sciences naturelles, importance de la méthode d'observation appliquée à leur étude, ce sont là, deux idées fécondes, dont l'application est en voie de renouveler le savoir humain.

Le droit pénal n'a pu échapper à leur influence, et les efforts qui ont été faits, dans ces derniers temps, pour dégager ce qu'on a appelé, avec un enthousiasme peut-être prématuré, « les nouveaux horizons du droit pénal », en appliquant la méthode expérimentale à l'étude des délits et des peines, méritent vraiment qu'on s'y arrête, et qu'on en calcule la portée et les résultats.

5. Les faits du monde inorganique, comme les faits du monde organique, sont enchaînés les uns aux autres par des lois immuables; en d'autres termes, il existe un rapport nécessaire, entre tout phénomène naturel et les conditions où ce phénomène se produit. En est-il de même pour les faits sociaux? Longtemps on a établi, entre les uns et les autres, une ligne de démarcation profonde. L'homme, qui est le facteur essentiel des faits sociaux, n'a-t-il pas la liberté de ses actes? Et, par conséquent, ces faits ne sont-ils pas le produit de l'arbitraire et du hasard? Il faut reconnaître, aujourd'hui, en présence d'observations et de recherches nombreuses, que ces idées ont subi une modification profonde. Les faits sociaux paraissent être, eux aussi, dans des rapports fixes, et l'on constate, l'on pressent, tout au moins, l'existence de lois qui en règlent l'ordre de succession et de coexistence. Les actes qui semblent le plus dépendre de la volonté libre, tels que les mariages et les divorces, ne sont pas, en réalité, livrés au hasard, et, sous la mobilité inouïe des faits individuels, se révèle la loi permanente des nombres.

Le libre arbitre est-il donc une illusion subjective, démentie par la physio-psychologie positive, une de ces antiques concep

3 C'est le déterminisme des phénomènes.

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