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Or, le premier confond le droit de punir et le droit de défense; il oublie que le droit de défense s'exerce et s'épuise dans l'acte de repousser l'attaque injuste, et qu'il ne peut survivre au danger sans perdre son caractère de légitimité. Le second méconnaît cette idée nécessaire que le droit de punir, supposant le droit de commander, ne peut appartenir à un égal sur un égal. Le troisième enfin, en soutenant que le droit de punir est le droit que chaque individu a sur lui-même et qu'il transfère à la société pour le cas où il violerait les lois sociales, conduit à renfermer la pénalité dans le cercle restreint des amendes et des confiscations. Dans ce système, en effet, la société n'aurait le droit d'enlever aux individus, pour les punir, que les biens dont ils peuvent disposer; elle devrait, par conséquent, renoncer, non seulement à la peine de mort, mais aux peines privatives de ces droits que l'homme ne peut volontairement abdiquer. Aussi, quand on donne à la peine le caractère d'une sorte de clause pénale, on enlève au système pénal toute efficacité, si l'on respecte la logique; toute justice, si l'on s'en

écarte.

Même en prenant le contrat social comme base de la société idéale telle qu'on la voudrait constituée, la notion du contrat ne saurait être acceptée. L'erreur de tous ces systèmes est de ne donner au droit d'autre fondement et d'autre raison d'être que la

cet ouvrage, ce philosophe a repris la thèse du Contrat social, en la dégageant des erreurs historiques de ROUSSEAU. Il a essayé de concilier les deux systèmes, du contrat social et de la sociabilité. Il soutient que, loin d'être opposées, les théories de contrat volontaire, soutenues par J.-J. Rousseau. Hobbes, etc., et celles de l'évolution organique, que développent les philosophes anglais, particulièrement HERBERT SPENCER, sont inséparables, et que, dans la société humaine, les idées d'organisme naturel et de contrat social, loin de s'exclure, doivent, au contraire, être ramenées à l'unité; il adopte enfin, comme base de la science sociale, cette formule: l'organisme contractuel. Pour lui, le contrat social n'est pas une réalité primitive, mais plutôt un idéal que tend à réaliser l'évolution progressive de la société. « La justice pénale doit être elle aussi contractuelle. La peine doit être acceptée d'avance, fixée même indirectement et médiatement par celui qui la subit tel est l'idéal. C'est au nom du contrat librement accepté qu'on doit juger l'individu qui s'est montré infidèle à ce contrat même ».

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volonté commune. Or, la vie sociale n'est pas un fait humain. La societé, pas plus que la famille, ne se constitue et ne se maintient par le seul consentement des individus. Il y a, dans toute collectivité, des conditions d'existence, indépendantes d'un accord: de ce nombre est la répression. Justifier ce fait par le consentement, c'est vouloir faire dépendre, de la convention ou du consentement, les conditions substantielles de toute société. Si la loi est l'expression de la volonté générale, elle n'exprime qu'un fait, le fait que tant d'hommes ont voulu cela. Soit, ils l'ont voulu mais avaient-ils raison de le vouloir? et ce qu'ils ont voulu est-il juste? Toute théorie qui ne répond pas à cette question élude le problème et ne le résout pas.

37. Systèmes utilitaires. Les systèmes utilitaires, qui ont inspiré, au commencement du siècle, les rédacteurs de notre Code pénal, justifient le droit de punir par sa nécessité même. Ce sont des systèmes simplistes, en ce sens que la légitimité de la répression résulte de la seule responsabilité du criminel vis-à-vis de la société. Ces systèmes ont été présentés particulièrement sous deux formes, sous la forme philosophique et sous la forme naturaliste.

I. La peine est un moyen d'intimidation ou de réparation dont l'emploi est légitime par cela seul qu'il est nécessaire pour le maintien de l'ordre social. Bentham, que nous pouvons considérer comme l'apôtre principal des doctrines utilitaires, a ainsi résumé ce système : « Par rapport à l'origine du droit de punir, <«< il n'y a rien de particulier à en lire; elle est la même que « celle des autres droits du gouvernement. Ce qui justifie la « peine, c'est son utilité, ou, pour mieux dire, sa nécessité ». La pénalité est une mesure que la société prend pour sa propre defense. Pour que le châtiment soit légitime, il est nécessaire mais suffisant que le but poursuivi par la société soit légitime'.

6 Comp. sur la doctrine de Bentham et ses conséquences, au point de vue de la pénalité : MOLINIER, Revue de législation, 1836, t. V, p. 209.

7 Ceci est un sophisme, car il n'est pas vrai de dire que tous les moyens soient justes pour protéger le droit le but ne légitime pas le moyen. Or, on ne nous dit pas pourquoi la peine est un moyen légitime de protection juridique. C'est ce qu'il faudrait cependant expliquer.

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Si la société usait de la contrainte pénale contre le droit des particuliers, le châtiment serait certainement injuste. Mais si elle s'en sert pour protéger ce droit contre les agressions criminelles, le châtiment est légitime. La société ne peut agir injustement, pas plus que l'individu en protégeant le droit bis. Donc, avec ou sans libre arbitre, avec ou sans responsabilité individuelle, la pénalité est légitime, dans la mesure où elle est nécessaire pour atteindre le but de toute société qui est la protection du droit.

Les diverses variétés des systèmes utilitaires tiennent aux points de vue différents auxquels se placent leurs auteurs dans la recherche de l'effet immédiat et direct que doit produire la pénalité pour être un moyen de protection sociale. Parmi ces systèmes 1° les uns les plus barbares s'attachent à l'inti

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midation de là le système de l'intimidation; 2° les autres, à l'effet préventif de là les théories de la prévention, soit générale, soit spéciale; celle de la contrainte psychologique ; 3° les autres, à l'effet réparateur : de là les théories de la réparation, de la défense soit sociale soit juridique; 4° d'autres enfin, à l'effet réformateur de là la théorie de l'amélioration du coupable. En résumé, tous ces systèmes se concrètent dans la formule Punitur ne peccetur.

II. De nos jours, la vieille idée de la défense sociale est présentée sous une autre forme. La répression, pour certains philosophes naturalistes qui empruntent leurs doctrines à la physiologie, ce serait la réaction instinctivè, naturelle et reflexe de

7 bis Le plus célèbre des représentants de cette école est Fuerbach, qui, à la place de la vieille théorie de l'intimidation, déjà indiquée par Aristote et complètement développée par Hobbes, substitua celle de la contrainte psychologique. A côté de la violence physique, la violence psychologique doit servir à empêcher les collisions de droit.

8 Sur tous ces systèmes HAUS, op. cit., t. I, no 38 à 40; BRusa, op. ctt., nos 11 à 16.

Ainsi, «< une nécessité impérieuse, dérivant de la nature des choses, qui veut que les préceptes juridiques aient une sanction efficace et ne demeurent pas à l'état de simple conseil », telle est, pour Carrara, la justification du droit de punir. Voy., MOLINIER, Recueil de l'académie de législation de Toulouse, t. XXII, p. 42 et suiv. C'est la formule de la tutela giuridica.

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tout organisme vivant, blessé par une cause extérieure, le choc en retour de la société contre le criminel. On suit, dans l'histoire, les diverses phases de l'évolution parcourue par cette réaction défensive des sociétés humaines; on la montre, successivement exercée, par l'individu, sous forme de vengeance indiriduelle, par la famille, la tribu, le chef de la tribu, sous forme de vengeance collective. Enfin, la division des pouvoirs conduit à confier à des magistrats, agissant sous le contrôle de la loi, la défense sociale et à réglementer ses conditions. Mais, même dans cette organisation des sociétés civilisées, on retrouve toujours, comme base de la répression, cette idée simple et primitive de réaction naturelle pour la conservation de l'être, cette lutte pour la vie dont la nécessité s'impose à tous les organismes. La société serait, en effet, un organisme vivant, dont l'existence se maintiendrait par un double travail d'assimilation et de désagrégation. Le délit ou plutôt l'offense, qui menace la vie ou la santé de l'être social, aurait, pour conséquence nécessaire, une réaction, que l'on qualifierait à tort de peine, mais qui serait bien plutôt une défense de l'être contre l'attaque dont il est l'objet. Le droit de punir ne serait ainsi qu'une manifestation de la loi de nature en vertu de laquelle tout organisme, et en particulier l'organisme social, réagit contre ce qui trouble ses conditions d'existence1o.

Toutes ces théories, qu'elles rajeunissent ou non la vieille doctrine utilitaire, expliquent bien objectivement le fait brutal du châtiment; mais aucune d'elles ne rend compte de sa légitimité, aucune d'elles n'explique pourquoi le châtiment serait juste subjectivement, c'est-à-dire par rapport à l'individu auquel on l'inflige. Or la question n'est pas de savoir si le crimitel est responsable vis-à-vis de la société, mais pourquoi il est responsable. Tous ces systèmes présentent le problème sous une forme plus ou moins ingénieuse; aucun ne le résout. La técessité des peines ne fait pas de doute: mais cette constata

19 li est à remarquer, du reste, que tandis que l'école utilitaire avait pris pour objectif de limiter la réaction sociale, l'école positiviste voudrait l'encourager.

tion n'est pas une justification, puisque le but ne légitime pas le moyen. D'un autre côté, ces systèmes manquent de base morale. Ils confondent l'idée du juste et l'idée de l'utile. Ils tendent à introduire, dans l'application des peines, une excessive sévérité. Ils mesurent les châtiments, moins sur la mora- · lité des actions humaines que sur les nécessités extérieures de l'intimidation. Ils ont enfin pour résultat de sacrifier les droits de l'individu à la protection des intérêts sociaux.

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38. Systèmes moraux. D'autres systèmes, partant d'un point de vue complètement opposé, fondent le droit de punir sur la seule moralité des actions humaines, et sur les nécessités de la justice absolue, qui exige que toute action coupable soit. suivie d'un châtiment. L'auteur du délit doit être puni, parce qu'il est juste que celui qui a mal fait soit châtié et expie sa faute". Ces systèmes ont pour base unique le principe d'expiation (malum actionis propter malum passionis) et ne diffèrent que dans la manière dont ils le conçoivent. Ainsi, la théorie de la vengeance divine ou de la vengeance publique, sur laquelle l'antiquité et le moyen âge ont fondé le droit de punir, est une des formes grossières de cette idée. Elle inspire encore l'école théocratique moderne, dont l'un des plus brillants adeptes définit le droit social de punir: « Une délégation divine du droit de punir le mal12 ». Cette théorie se concrète dans la formule: Punitur quia peccatum est.

11 Le philosophe KANT a développé ce point de vue, avec une grande force et une véritable éloquence, dans ses « Éléments métaphysiques de la doctrine du droit », parus en 1797. Cet ouvrage a été traduit en français par BARNI en 1833. Dans le système de Kant, la peine reste fin à elle-même. Elle ne doit pas être appliquée comme moyen de produire un résultat (l'intimidation, la défense sociale, la prévention, etc.), mais simplement parce qu'une violation de la loi a été commise. La loi pénale est un Impératif catégorique. La peine doit être infligée, non parce que cela est utile, mais parce que la raison commande qu'elle soit infligée. La théorie de Kant a été développée et mise en œuvre sous des formes diverses, en Allemagne, par K. S. ZACHARIÆ, Anfangsgründe des philos. Kriminalr. (Principes philosophiques du droit pénal), 1805; HENKE, Streit der Strafrechtstheorien; HEGEL, Rechtsphilosophie, etc.

12 Lucien BRUN, Introduction à l'étude du droit, 1879, p. 254 et 259. Cette

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