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minimum à un maximum, de sorte que la même peine puisse frapper des faits différents, et que, pour le même fait, elle permette de tenir compte des nuances de la culpabilité individuelle. La divisibilité sert ainsi de mesure, soit au législateur, soit au juge. Il est bon que les peines soient réparables, à cause des erreurs possibles de la justice humaine. Il est bon enfin qu'elles soient rémissibles, c'est-à-dire qu'elles n'enlèvent pas au coupable corrigé l'espoir de reprendre sa place dans la société.

44. Le premier effet que la loi doit rechercher dans la détermination des peines, c'est la mesure. On dit souvent, dans cet ordre d'idées la peine doit être proportionnée au délit (Pœna debet commensurari delicto). Cette règle peut être admise, mais non d'une manière absolue, puisqu'il n'y a pas de commune mesure entre les délits et les peines. On doit l'entendre avec certains tempéraments: 1° Il faut d'abord que la peine ne soit pas excessive. Le législateur, en réprimant telle action, se propose d'en détourner les individus qui seraient tentés de la commettre. Atteindra-t-il ce résultat, en exagérant la pénalité? On l'a pensé longtemps; et de cette idée fausse est née la sévérité, la cruauté même des législations anciennes. Mais il est aujourd'hui bien reconnu que la cause de tous les relâchements, « vient, comme l'a dit Montesquieu, de l'impunité des crimes et non pas de la modération des peines ». L'excessive sévérité des peines a deux résultats la loi n'est pas appliquée, parce qu'il faudrait, pour la mettre en œuvre, des juges impitoyables, et qu'il n'en existe pas; la loi n'est pas respectée, parce que l'opinion publique finit par prendre parti pour le coupable contre la justice elle-même; 2o Il faut ensuite qu'il y ait un rapport, non plus de mesure, mais de nature entre le délit et la peine. Est-ce à dire que la peine doive être analogue au délit? Cette idée de la similitudo supplicii domine les législations primitives: elle s'exprime par le principe du talion matériel, œil pour œil, dent pour dent. Mais on a reconnu, depuis longtemps, que la loi du talion conduirait,

6 Expression que l'on trouve dans le Digeste, loi 11, De pœnis.

Sur ce point, Voy. les observations faites par : BENTHAM, Théorie des peines, p. 23 et 24; Rossi, Traité de droit pénal, t. III, p. 102; MOLINIER, Traité théorique et pratique du droit pénal, t. I, p. 297.

R. G. Tome I.

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dans son application logique, à des peines soit impossibles, soit insuffisantes, soit ridicules. Il y a des cas, sans doute, où cette idée peut recevoir une juste part d'application, mais ils sont fort rares. Dans ces cas seulement, il est désirable que le droit atteint par la peine soit, autant que possible, analogue au droit lésé par le délit, que des peines pécuniaires, par exemple, soient prononcées contre les délits qui ont leur source dans un sentiment de lucre; la privation des droits électoraux, contre les infractions politiques, etc. C'est le talion moral3; 3° La proportionnalité de la peine au délit suppose simplement que, pour fixer la peine et pour la prononcer, le législateur et le juge doivent tenir compte, objectivement, de la gravité du fait reproché, et, subjectivement, de la culpabilité de son auteur.

Le second effet à rechercher dans la détermination des peines, c'est l'égalité de la répression. Il faut que le législateur fasse une application égale des peines à tous les coupables, c'est-àdire qu'il prononce la même peine pour le même délit, quel qu'en soit l'auteur.

Le troisième effet à rechercher, c'est la certitude: 1° Il faut que celui qui commet un fait punissable sache à quel châtiment il s'expose. Le devoir du législateur est donc de fixer tout à la fois le délit et la peine. Mais il faut, d'autre part, que la peine infligée soit individuelle et proportionnée, non seulement à la gravité du délit, mais à la culpabilité du délinquant. N'est-ce pas là une antinomie insoluble? Cependant, les législations des peuples civilisés se sont efforcées de la résoudre, en distinguant la détermination de la culpabilité légale et celle de la culpabilité individuelle. Les procédés seuls diffèrent. La loi ne peut se dispenser d'établir un maximum et un minimum dans la peine. Mais si le maximum doit être infranchissable pour le juge, le minimum peut-il être abaissé? A côté du procédé des circonstances atténuantes, existe le système du minimum général commun à tous les cas, tel que l'organise le Code pénal hollandais. Nous examinons plus loin les diverses combinaisons aux

8 Voy., pour l'analyse de l'idée du talion soit matériel soit moral, MOLINIER, op. cit., p. 298 à 301.

quelles a donné lieu la solution de ce problème. 2° Il faut, de plus, que le coupable ne soit pas encouragé par l'espoir de l'impunité. La certitude du châtiment est plutôt, il est vrai, une condition du bon fonctionnement de la justice pénale qu'une qualité de la répression. Mais l'intimidation préventive, qui est le but protecteur des lois pénales, dépend de la promptitude et de l'efficacité de la poursuite, bien plus que de la sévérité et de la bonne organisation des peines. La supériorité des chances d'impunité sur celles de répression est un état anormal qui paralyse toujours l'efficacité du meilleur régime pénitentiaire. Ce qui affaiblit, en effet, la contrainte psychologique qu'exerce le châtiment sur l'esprit du coupable, c'est l'espoir de l'éviter. Un malfaiteur, sollicité par ses instincts ou ses passions, n'ayant en regard des satisfactions immédiates du crime que le risque éloigné de la peíne, sera d'autant plus vivement déterminé à violer la loi, qu'il aura plus souvent constaté l'impuissance de la justice vis-à-vis d'autres malfaiteurs.

§ VIII.

ORIGINE HISTORIQUE DE LA PÉNALITÉ1

45. Importance du droit pénal dans les Codes anciens. 46. Remarques sur le développement historique du droit pénal. - 47. Les trois phases de ce développement.

45. Plus on remonte dans l'histoire des législations, plus le droit criminel paraît tenir de place dans l'ensemble du droit : les premiers Codes sont surtout des Codes de pénalités. Mais il

§ VIII. BIBLIOGRAPHIE: DUBOYS, Histoire du droit criminel des peuples anciens (1845); des peuples modernes (1854-1860); THONISSEN, Étude sur l'histoire du droit criminel des peuples anciens (2 vol., 1869); von BAR, Handbuch des deutschen Strafrechts (Berlin, 1882, t. I); S. MAYER, Geschichte der Strafrechte aller Kulturvolker, 1876.

2 « Toutes les collections connues d'anciennes lois se caractérisent par un trait qui les distingue nettement des systèmes de droit perfectionnés : la proportion des lois criminelles et des lois civiles y est tout à fait différente..... Je crois qu'on peut affirmer que plus un Code est ancien, plus les dispositions pénales y sont étendues et minutieuses ». SUMMER MAINE, L'ancien

ne faudrait pas croire que la notion complète d'une pénalité, infligée au nom du pouvoir, basée sur la justice, limitée par l'utilité sociale et appliquée à la défense du droit, se soit immédiatement dégagée : il a fallu bien des siècles pour arriver à cette conception.

46. On peut faire tout d'abord quatre remarques générales sur l'évolution historique du droit pénal.

1° L'État n'a pris conscience que par degré du droit exclusif de punir que nous lui reconnaissons aujourd'hui. Pendant longtemps, il a partagé le ministère pénal, soit avec l'individu qu'il a laissé se défendre et se venger, soit avec des associations, des corporations, qui, au point de vue de la répression, ont formé des États dans l'État même.

2o L'histoire du droit pénal, c'est l'histoire des réactions instinctives que la société oppose aux impulsions instinctives de l'homme. Ces réactions sont d'abord exagérées. Puis, les pénalités diminuent, elles s'adoucissent. Aux peines corporelles positives, succèdent des peines négatives, se résolvant en une privation de liberté, des amendes, des confiscations. Aussi Ihering, a-t-il pu dire : « L'histoire de la peine est une abolition constante ». La dose plus ou moins grande de la contrainte pénale caractérise, en effet, un état plus ou moins avancé de civilisation. L'équilibre entre la sanction pénale et la sanction. civile se fait par l'extension du domaine de la réparation et la diminution du domaine de la répression.

3o Le droit pénal reflète l'état social et les idées qui lui donnent son caractère il se développe et se modifie sous l'influence des mêmes causes qui développent ou modifient cet état social.

4o Le droit pénal, comme le droit civil, se systématise

droit, trad. COURcelle-Seneuil, p. 347 et 348. Deux faits contribuent, dans les civilisations anciennes, à renverser la proportion, aujourd'hui existante, entre les lois civiles et les lois pénales d'un côté, les rapports civils sont alors moins nombreux, moins compliqués qu'ils ne le deviendront plus tard; d'un autre côté, on ne distingue pas suffisamment à cette époque la violation de droit punissable de celle qui ne l'est pas; la séparation du droit civil et du droit pénal n'est pas nettement tracée.

de plus en plus. De quelques prescriptions sans liens et sans règles, on en arrive à un système complet et régulier de législation. Que voit-on, en effet, dans les Codes modernes? des articles édictant des peines par voie de dispositions générales qui englobent, sous une qualification unique, un grand nombre de délits. Les législations primitives procèdent autrement : elles sont analytiques et édictent, pour chaque cas spécial, une disposition spéciale.

47. Dans le développement historique du droit pénal, on peut distinguer trois conceptions ou formes typiques : 1° la conception barbare, durant laquelle les délits sont divisés en délits publics, punis de peines corporelles cruelles, et délits privés, poursuivis et réprimés par la victime ou sa famille; 2° la conception théocratique, durant laquelle le délit, quel qu'il soit, est une atteinte à la constitution religieuse; 3° enfin, la conception politique, durant laquelle le délit est considéré comme une lésion de l'ordre social et la peine comme un moyen de la prévenir et de la réparer. Ces trois phases ne se rencontrent pas partout. L'évolution du droit pénal n'est absolument complète que dans l'Europe moderne. Du reste, le passage d'une période à l'autre, obéissant à la loi du progrès lent et continu des idées, ne se produit pas par révolution mais par évolution.

Chez tous les peuples, la vengeance privée, héréditaire et familiale, tirée de l'offenseur par l'offensé, paraît avoir été l'instrument dont s'est servi la société primitive pour sauvegarder l'ordre social (Blutrache, Vendetta, Faida ou Fehde). Le pouvoir n'intervient que pour régulariser cet instinct. On le voit limiter les représailles par la loi du talion, en empêchant que le mal à rendre ne dépasse, dans l'exercice de la vengeance, le mal éprouvé. On le voit, plus tard, encourager d'abord, rendre obligatoires ensuite, des compositions pécuniaires, qu'il force l'offenseur à payer, l'offensé à recevoir. Par ce procédé, le pouvoir rétablit la paix privée entre les familles; il protège l'offenseur contre tout ressentiment, mais à la charge par lui, de payer à l'autorité le prix de cette protection (fredum, bannum). Les intéressés, qui violent le pacte de paix, sont mis hors la loi et traités en outlaws. A ces époques, les sociétés humaines

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