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ne connaissent que l'offense individuelle, amenant la réparation individuelle du dommage, mais ne donnant à la communauté aucun droit de répression. C'est la crainte de la vengeance qui sert de frein à l'activité malfaisante; mais, le plus souvent, les représailles effectives sont écartées moyennant une indemnité ou composition; puis, par l'action de la coutume ou de la loi, cette composition, dûment tarifée, s'impose. Cependant, des peines proprement dites, consistant, le plus souvent, dans la mort ou dans des mutilations, frappent certains crimes contre les êtres vénérés, la tribu et la divinité. Telle paraît avoir été partout la première phase de l'humanité. Nous constatons ces usages dans les lois de Moïse, dans les livres d'Homère, dans les coutumes primitives de Rome, chez les Gaulois et les Slaves. Mais c'est dans le droit pénal germanique qu'on trouve, sous sa forme la plus complète, le système de la vengeance privée. Il ne faudrait pas croire enfin que cette conception ait été particulière aux peuples de race aryenne, car nous voyons, au témoignage des voyageurs, que, chez certaines peuplades de l'intérieur de l'Afrique, chez les Aschantis, chez les Touaregs, par exemple, c'est encore par une composition pécuniaire qu'on se rachète d'un meurtre 3.

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3 Comp.: L. PROAL, Origine de la justice pénale (Rev. gén. du droit, 1890, p. 290 à 306); LUBBOCK, Les origines de la civilisation, trad. BARBIER (Paris, 1873, p. 459, 460); THONISSEN, op. cit., p. 75, note 3; DE VALROGER, Les Celtes et la Gaule celtique, p. 181. Nous constatons ces usages dans les lois de Moïse (Lévitique, chap. XXIV, v. 19; Exode, chap. xxi, v. 28); dans les livres d'Homère (Iliade, liv. IX, vers 632). Homère nous montre, représentés sur le bouclier d'Achille, deux hommes, plaidant l'un contre l'autre, pour savoir si la rançon du meurtre avait été acquittée par celui qui l'avait commis. Nous retrouvons ces usages dans les coutumes primitives des Romains (Gaïus, III, § 223); dans les lois barbares; dans les anciennes lois suédoises et russes (DARESTE, Mémoires sur les anciennes lois suédoises, p. 14). Enfin, des voyageurs ont retrouvé ces usages chez les peuples sauvages de l'Afrique (Comp. HARTMAN, Les peuples sauvages de l'Afrique, p. 213 et 216; E. TRIVIER, Mon voyage au continent noir, 1891, p. 292). Au Monténégro, la conscience publique a conservé le droit de vengeance et l'applique encore. Dès 1850, Louis KŒNIGSWARTER, dans son mémoire intitulé Études historiques sur le développement de la société humaine (p. 54 et s.), établissait le caractère général du système de la vengeance privée et

C'est en partant de l'idée du dédommagement particulier que les sociétés humaines aboutirent progressivement au principe de la justice sociale, telle qu'elle est exercée aujourd'hui. Une première étape fut parcourue sous l'influence religieuse. On sait. que les premiers civilisateurs furent des prêtres; seuls, ils eurent assez de puissance pour s'emparer de la direction des instincts de l'homme, et substituer, à la notion de la vengeance privée, la notion de la vengeance divine. Durant la période théocratique, que l'on retrouve dans l'histoire de presque tous les peuples, la jurisprudence fit partie de la catégorie des sciences sacrées, et les prêtres, à peu près seuls chargés des fonctions de juges, furent ses dépositaires et ses interprètes naturels. Alors, le délit, quel qu'il soit, est une atteinte à la constitution religieuse, et la pénalité, qui est destinée à l'expier, revêt un caractère symbolique et sacré. C'est dans l'Orient mystique et cruel, dans les lois de l'Inde, de la Chine, de l'Iran, de la Judée, de l'Égypte et de Carthage, dans ce que nous connaissons des civilisations mexicaine et péruvienne, enfin dans les coutumes gauloises, que se rencontre nettement cette conception religieuse du délit ".

Plus tard, le droit répressif sort de la théocratie et devient humain (jus humanum). L'idée de l'État, idée abstraite, dans laquelle se personnifie l'intérêt de tous, se dégage; et l'État comprend que le délit cause une lésion au peuple tout entier; il comprend qu'une réparation sociale est aussi nécessaire qu'une réparation privée. Cette phase de développement se retrouve

des compositions. Cfr. également H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, L'antiquité des compositions pour crime en Irlande (Revue historique, 1887, p. 67).

La loi mosaïque a eu une influence considérable sur le droit pénal du moyen âge. Cfr. H. MEYER, Lehrbuch, p. 20.

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Comp. CHASSAN, Revue étrangère et française de législation, 1843, t. X, p. 920. La peine, comme le fait remarquer FILANGIERI, Science de la législation, liv. III, chap. x1 (trad. franç. 1840, t. I. p. 42 et 43), se présente partout avec le caractère expiatoire d'une lamentable prière adressée à la divinité, d'une supplication, supplicium. Le coupable est une victime dévouée aux Dieux. L'échafaud, ainsi que l'a dit de nos jours Joseph de Maistre, est un autel dressé sur la place publique.

dans les deux grandes civilisations anciennes; elle s'achève dans l'histoire des peuples modernes.

En Grèce, si l'on remonte aux origines, l'empreinte orientale est encore profonde dans le droit pénal. A Athènes, par exemple, les lois relatives à l'homicide sont de vieilles coutumes, encore mélangées de rites religieux. Mais la Grèce ne persiste pas dans cette conception du délit. L'État ou la Cité qui, dans la vie sociale, est appelé à être l'organe du droit, apparaît confusément comme l'objet de la protection pénale. Le caractère public, je dirai même le caractère politique du droit criminel, tend à s'accentuer dans la civilisation romaine. On rencontre, il est vrai, dans son histoire, les trois phases du développement pénal; mais les Romains, plutôt et mieux que les autres peuples de l'antiquité, se sont affranchis soit de la conception privée, soit de la conception religieuse du délit, dont il reste simplement des traces dans les textes des lois qui nous sont parvenus. Puis, les évolutions de l'histoire font reparaître, au milieu des peuples civilisés, le système de la composition qui avait à peu près disparu de leurs coutumes. Ce sont les Germains dont l'intervention, dans le monde civilisé, amène ce « recommencement » de l'histoire et ce retour à l'antique barbarie. Mais, bientôt, l'idée de justice suit son développement, un moment arrêté, et malgré l'invasion violente d'un droit propre aux anciens hommes, le droit propre aux hommes civilisés reprend le dessus. L'idée de la composition disparaît la première du droit pénal des peuples du moyen âge, mais l'idée religieuse, ravivée par le christianisme, se perpétue, du reste affaiblie et épurée, jusque dans les lois des peuples modernes.

Le moyen âge, en effet, a été partout la lutte de deux influences celle de l'Église et celle de l'État. Il y a eu un droit de l'Église, le droit canon (jus divinum); il y a eu un droit de l'État (jus humanum), le droit germanique. Le droit canon a donné plus d'importance à la culpabilité, il s'est préoccupé

6 Comp. THONISSEN, Le droit criminel de la République athénienne (Paris, 1875); DARESTE, Esquisse du droit criminel athénien (Journal des savants, 1878, p. 625-639); PLATO, De legibus, IX; Ilias, IX, 607; XVIII, 335; XXI, 26; XXIII, 83.

davantage du point de vue subjectif; le droit germaniqne a considéré surtout la matérialité du délit; il s'est préoccupé du point de vue objectif. Le droit canon a profité d'abord des idées chrétiennes : il a admis l'égalité de tous devant la loi pénale; il a cherché, dans la peine, un moyen d'améliorer le coupable; il a introduit la trève de Dieu et ouvert les asiles. Mais il est tombé dans l'erreur orientale; il a fait de l'infraction une offense envers la Divinité et de la peine un moyen d'expiation et de réconciliation avec elle. C'est le mouvement philosophique du xvII° siècle qui, en recherchant les titres du droit pénal, a fait nettement apparaître cette idée que l'une des bases du droit social de punir est la protection de l'ordre et que le but de la peine est d'assurer cette protection. La législation pénale moderne, fille de cette philosophie, repose essentiellement sur cette base.

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48. Sources du droit criminel français. 49. Les trois périodes
de son histoire.

48. Au cinquième siècle de l'ère chrétienne, se sont rencontrés, sur le sol de la Gaule, deux droits complètement différents et pourtant issus de la même origine, puisque la race germanique, les races romaine et gauloise paraissent être des branches détachées de la grande souche aryenne : le droit germanique, encore dans son enfance, et le droit gallo-romain, dans son complet développement. C'est par le christianisme et sous l'influence du droit canonique, que s'opéra, durant l'espace de quatorze siècles, la fusion de ces deux éléments. Christianisme et Germanisme, ce sont là les deux facteurs historiques du moyen âge. Les grandes périodes de ce travail incessant de législation

§ IX. 1 BIBLIOGRAPHIE: DUBOYS, Histoire du droit criminel en France depuis le xvie jusqu'au xixe siècle (1874); ALLARD, Histoire de la justice criminelle au xvie siècle (Gand, 1868); MAURY, L'ancienne législation criminelle (Revue des Deux-Mondes, 1877, 15 sept. et 1er octobre); ESMEIN, Histoire de la procédure criminelle en France (1882).

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se personnifient dans les noms de Charlemagne, qui crée une première unité, par ses Capitulaires, au milieu des institutions confuses des temps barbares, et qui organise un pouvoir fort, capable de protéger l'individu; de Louis IX et de Louis XI, qui luttent contre l'organisation de la féodalité, comme avait lutté Charlemagne contre l'organisation des tribus barbares. Puis, au seizième siècle, la jurisprudence s'empare de tous les documents épars de notre droit : aidés par le droit romain, dont les recueils, remis en lumière, sont enseignés et commentés partout, nos grands jurisconsultes travaillent à mettre de l'unité dans toutes ces lois diverses et à élever l'édifice de la législation française. Louis XIV pourra, après ce travail préparatoire, créer ces ordonnances générales, parmi lesquelles marque l'ordonnance criminelle de 1670, qui sont les fragments épars d'un Code général des lois françaises; et Pothier n'aura qu'à codifier notre législation et à l'expliquer dans ses immortels traités. La Révolution achèvera l'unité législative, comme l'unité nationale. Notre droit est donc né d'une lutte de quatorze siècles: son caractère propre n'est pas d'avoir éliminé, mais d'avoir combiné les éléments divers qui le composent, de s'être approprié ces matériaux par un travail puissant d'assimilation, de leur avoir donné un caractère impersonnel, qui a permis à la plupart des nations de l'Europe de l'adopter.

49. Il est facile de comprendre que l'histoire de notre droit criminel, comme l'histoire de notre droit privé, a trois périodes principales:

La période de formation, pendant laquelle les trois sources. de notre droit, les sources romaine, germanique et canonique, se combinent cette période dure jusqu'au seizième siècle.

La période d'unification, pendant laquelle, l'œuvre d'unité étant accomplie sur le territoire de chaque coutume, la royauté et les légistes travaillent à la réaliser dans le royaume cette période dure jusqu'à la fin du dix-huitième siècle.

La période d'unité, dans laquelle nous sommes entrés depuis 1789, et qui se caractérise par la codification de notre législation nationale.

Je présenterai un tableau rapide de notre ancien droit crimi

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