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CHAPITRE III.

Caire.

Superficie de l'Egypte.

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La ville va crouler.

Boulak.

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Les macherebiehs.

Place d'El-Esbekyeh.

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-

La

Les

Elle n'est pas éclairée la nuit. Beauté intérieure des anciennes maisons Jardins. Mauvais goût moderne. charité musulmane les ouvre à tout le monde. Celui de Rodha. - Les ânes. âniers merveilleux coureurs. Facilité d'accès chez les Orientaux. Réception. Les Orientaux signent toujours avec un cachet. Citadelle. Architecture polychrôme. — Puits de Joseph. Panorama du Caire. Ménagerie du vice-roi d'Egypte. Mariage de pauvres pour célébrer la circoncision.

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Nous avions atteint au lever du soleil la pointe du Delta, où le Nil se divise en deux branches. Le fleuve, qui est appelé là le Franc-Nil, y présente une nappe d'eau magnifique.

Le Delta, qui constitue presque à lui seul la Basse-Egypte, est la province la plus fertile et la plus étendue du pays.

myr. kil. mèt.

La Basse-Egypte a 260 myriam. de superficie, tandis que la Moyenne - Egypte

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a donc .

144 myriam. de fleuve.

625 myr. (1,600 lieues) carrés dérou

lés, en suivant le cours sinueux du Nil, sur une longueur de

84 myriam., depuis Assouan, confin de la Nubie inférieure, jusqu'au port d'Alexandrie.

A peine a-t-on pénétré dans le Franc-Nil, qu'on aperçoit Boulak, d'ou s'élèvent, comme des obélisques, les cheminées des machines à vapeur de diverses usines, et dont les bords, couverts d'une multitude d'embarcations de toutes formes et de toutes dimensions, annoncent bien une grande cité. Mais si Boulak, vu du fleuve, donne une haute idée du Caire, la route poudreuse qui conduit à la ville est faite pour détruire cette impression; on n'y rencontre qu'une population en guenilles, à moitié nue; des soldats d'une saleté honteuse, avec des chameaux et des ânes affreusement harnachés.

L'aspect du Caire console l'artiste d'un aussi triste spectacle. C'est un amas de maisons de style arabe, peintes de grandes bandes horizontales, rouges et blanches, accumulées les unes sur les autres de la manière la plus originale, avec des milliers de petites rues inextricables et d'impasses si tortueux et si étroits qu'on craint toujours, en y entrant, de s'engager dans une allée de maison. Il serait d'autant plus facile de s'y tromper, que ces ruelles obscures, étranglées, décrivant de fantastiques zigzags, ont encore des portes, restes du temps où l'on était obligé de se défendre contre les incursions nocturnes que les bédouins venaient faire jusqu'au cœur de la capitale. Les maisons, toutes d'un seul étage, sont si rapprochées qu'elles se touchent souvent par leurs macherebiehs, larges balcons toujours placés en saillie pour les exposer au courant d'air. Cette disposition particulière a un grand avantage : elle transforme les rues en galeries couvertes, où le soleil ne peut pénétrer. Les macherebiehs, vitrés à l'intérieur, sont en outre enveloppés d'un mystérieux grillage en bois, à compartiments variés et d'une grâce parfaite, derrière lequel sont cachées les femmes qui viennent là prendre le frais.

Du reste, ceux qui veulent voir la vieille et célèbre capitale ́de l'Égypte doivent se hâter. Le Caire s'écroulera certainement avant un demi-siècle: toutes ses maisons surplombent et semblent ne se tenir encore debout qu'en dépit des lois de la gravitation,

comme ces vieilles ruines chancelantes que l'on s'attend chaque jour à voir tomber.

Le Caire n'est pas éclairé la nuit: chaque personne qui circule doit avoir une lumière. Les bourgeois ont simplement un fallot qu'ils font porter devant eux. Les gens de luxe sont poétiquement précédés de deux ou trois serviteurs chargés de grands pots à feu dont les flammes s'élèvent dans les airs, sillonnent les murailles, et d'où l'on s'étonne qu'il ne sorte pas plus d'incendies.

L'étroitesse des rues de la ville donne un grand prix pour les habitants à la place d'El-Esbekyeh, qui serait moins célèbre, si elle n'était la première promenade que l'on ait vue en Orient. Tout se réduit à un vaste terrain en friches, entouré d'une allée d'acacias et renfermé dans un canal sans eau, sur lequel sont jetés trois ponts sans parapets. On pourrait certainement faire une très belle place à l'Esbekyeh, mais elle n'est encore que dégrossie.

Il n'y a d'autres monuments au Caire que ses innombrables mosquées et quatre ou cinq fontaines publiques. Les façades de ces fontaines demi-circulaires, en bronze ou en marbre, sont magnifiquement et délicieusement ciselées et sculptées à jour.- Le musulman semble avoir voulu indiquer que sa maison est un lieu secret en n'appelant l'attention sur elle par aucun ornement extérieur. Le luxe est réservé pour l'intérieur, où les inépuisables fantaisies du style arabesque se joignent dans les anciennes habitations à des mosaïques et à des eaux jaillissantes au milieu d'immenses salles revêtues de marbre. Pourquoi faut-il que la mode turque ait remplacé la mode arabe? Les murailles des appartements modernes sont barbouillées de grands paysages exécrables. Un paysage turc est généralement composé d'une double colonnade bien blanche, sous prétexte de marbre, avec un jet d'eau sur le devant, et pour fond un rideau d'arbres droits comme des piques, le tout découpé sur un ciel d'un bleu éclatant. Quelquefois, à la place du rideau d'arbres, le fond est occupé entre les deux corps de colonnades par un superbe fauteuil cramoisi. De perspective, point; mais, en revanche, la lumière est répandue

partout à profusion avec une égalité républicaine. Nous nous rappelons avoir vu dans un palais du vice-roi ou d'Abbas-Pacha une pièce où le décorateur avait renoncé au paysage. Sous un encadrement en étoffes drapées on voyait une grosse pendule rocaille d'où tombaient des poids en or attachés à des cordes de couleur. Et cela répété autant de fois qu'il se trouvait de panneaux dans un salon d'au moins cinq mètres de haut, sans diversifier même l'heure des horloges, qui marquaient toutes midi et demi avec une précision désolante.

Un luxe fort recherché en Egypte est celui des jardins. Dans les pays chauds, l'ombre, l'eau, le feuillage, sont des jouissances réelles. Au Caire et surtout à Alexandrie, tous les hommes riches ont un jardin qu'ils ouvrent au public par suite du principe de charité, base fondamentale du Coran. Ils ne le ferment que quand ils descendent avec le harem dans un kiosque à jet d'eau et à treillage, qui embellit toujours ces lieux de plaisance. La nature du pays permet d'appliquer là un système de décoration interdit à l'Europe, nous voulons parler de draperies de soie tombant des frises du kiosque et mêlées aux plantes grimpantes. L'effet est étrange au premier abord, mais non pas désagréable. Un des plus beaux jardins du Caire est naturellement celui de Méhémet-Ali, à Choubrah. Il est peutêtre trop tiré au cordeau, mais il présente d'épaisses et luxuriantes masses de verdure vraiment superbes; l'œil y plonge avec délices et s'y repose des terribles réverbérations du sable d'Egypte. La plupart des allées sont en cailloutis pour lesquels on a ici un goût particulier; des dessins simples et variés en pierres noires s'y détachent sur un fond blanc. La chose est jolie à la vue, mais un peu dure aux pieds.

Le jardin d'Ibrahim-Pacha, à la fameuse île de Rodha, doit être distingué entre tous les autres; il réunit la science et l'agrément. On y trouve les différentes espèces de bambous, le caféier, le pommier, la cochenille, mille sortes d'arbres et de plantes de l'Inde, de l'Amérique, de l'Europe, de toutes les parties du monde; on y distingue un petit chêne, le seul que l'on soit parvenu à faire vivre en Egypte. Ibrahim-Pacha n'at

tache pas sans raison le plus grand prix à cette belle collection botanique. Elle lui fait beaucoup d'honneur.

L'usage des voitures, nous n'avons pas besoin de le dire, est impraticable dans une ville percée comme le Caire. Il en existe quelques-unes, mais elles sont employées seulement pour aller aux environs ou au palais de Choubrah, résidence d'été du grandpacha. On n'a d'autre moyen de transport que les chameaux, les ânes et les chevaux, encore est-il très difficile avec eux de pénétrer dans les rues et les bazars, où la population est toujours excessivement serrée. Autrefois, il était interdit aux rayas et aux petites gens de monter à cheval, aujourd'hui tous ceux qui ont de quoi en acheter un peuvent s'en servir; mais l'âne est la monture commune et générale. L'âne d'Orient trotte et galoppe admirablement, il paraît plus beau et plus actif que le nôtre, sans doute parce qu'il est mieux traité et qu'on lui demande davantage.

On trouve au Caire et à Alexandrie, au coin des carrefours, à la porte des hôtels et dans tous les endroits fréquentés, des ânes de louange qui stationnent avec leurs conducteurs, comme nos fiacres. La selle est un bât très épais et très doux, le prix est fort modique; on fait une course pour une piastre (25 cent.), la journée entière est de cinq piastres, y compris le salaire du conducteur, mais sans compter, bien entendu, l'inévitable backchis. Quand vous prenez un âne, l'ânier vous suit à pied et l'excite de la voix ou en le frappant sur la croupe; c'est aussi l'ânier qui se charge de crier gare et de faire faire place dans les rues toujours encombrées 1. Il est impossible d'avoir passé un jour en Egypte, sans garder dans la mémoire leur cri continuel de tchemala, tchemala, prononcé avec la syllabe du milieu indéfiniment prolongée. Il n'y a pas au monde de coureurs plus infatigables que ces hommes, dont généralement l'âge varie de quatorze à vingt ans. Ils sont les premiers à vous lancer à fond de train et à vous y maintenir. Voulez-vous, par un sentiment

1 On donne au Caire de 200 à 250,000 âmes. Il nous a été impossible d'arriver à des chiffres plus précis.

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