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d'une exclusivité presque sauvage. Chose étrange! Moïse, Jésus, Mahomet, annoncent un Dieu universel, et ils n'annoncent point universellement leur religion; ils s'adressent, par privilége, à un petit nombre, à la nation choisie du Seigneur! « Je n'ai été envoyé «< qu'aux brebis d'Israël, » répond Jésus aux disciples qui intercèdent pour la Cananéenne. (St Matthieu, chap. 15, v. 24.) << Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter << aux chiens, » dit-il à cette pauvre femme qui insiste. (V. 27.) << Tu n'es point chargé de diriger les infidèles, dit Allah au «< prophète, Dieu éclaire ceux qu'il lui plaît. » (Chap. 2.) << N'allez point vers les gentils; n'entrez point dans les villes des

Samaritains, dit Jésus. » (Saint Matthieu, chap. 10, v .5.) << Ne formez point de liaisons avec les juifs et les chrétiens, dit << Mahomet; celui qui les prendrait pour amis deviendrait sem<< blable à eux. » (Chap. 5 et 60. ) « O croyants, cessez d'aimer « vos pères, vos frères, s'ils préfèrent l'incrédulité à la foi : si << vous les aimez, vous deviendrez pervers. » (Chap. 9.)

Le Christ, élargissant sa pensée d'amour à mesure qu'il la pratiquait davantage, s'agrandissant en quelque sorte dans son œuvre même, finit, nous le savons, par dire aux apôtres : «< Al<< lez, et enseignez toutes les nations. » (Saint Matthieu, ch. 28, v. 19.) « Allez par tout le monde, et prêchez l'Evangile à toute << créature.» (Saint Marc, chap. 16, v. 15.) Mais ce fut seulement après sa résurrection qu'il tint ce langage. Personnellement, il avait appelé les juifs, d'une manière exclusive, au royaume de son Père. Cette idée qu'il n'avait parlé que pour eux, qu'il ne s'était adressé qu'au peuple de Dieu, était si généralement ressortie, pour tout le monde, de ses enseignements, que les premiers juifs convertis au christianisme crièrent au sacrilége quand ils virent saint Pierre et saint Paul prêcher hors des synagogues, et appeler les gentils, comme le maître de la vigne, qui remplace par de nouveaux vignerons ceux qui ont tué jusqu'à son fils. (Saint Matthieu, chap. 2, v. 41.)

La loi qu'apporte Mahomet est si bien une loi particulièrement faite pour un peuple privilégié, et non pour l'humanité entière, que le prophète dit aux Arabes : « C'est par faveur spé

<«< ciale que vous recevez la loi de Dieu. Si vous l'abandonnez, << Dieu appellera d'autres peuples. » (Ch. 5.) La parabole du père de famille, qui, voyant ses conviés refuser de venir au repas préparé, y fait inviter les débiles, les aveugles, les boiteux et les passants, ne signifie point autre chose. En vérité, quand on songe que Moïse, Jésus, Mahomet, ces mortels si éminents par le cœur et l'esprit, si ardemment attachés à la moralisation de ceux qui les entourent, soutiennent de telles théories, éprouvent encore un amour si restreint, on se confirme davantage dans la foi à la doctrine du progrès continu. Nous ne sommes point tenté de blasphémer contre eux; nous comprenons que les préceptes mêmes de leur charité ont éclairé, étendu la nôtre, mais nous sentons ce qu'il y a de funeste à immobiliser la pensée humaine dans la leur, et nous glorifions la science nouvelle qui consacre les droits imprescriptibles de tous les hommes au bonheur. Ne nous lassons donc point, nous qui avons des biens dont ne jouissaient pas nos pères, travaillons avec un ferme courage pour que nos neveux goûtent à leur tour ceux qui nous sont encore refusés. Les temps de la grande délivrance sont proches.

CHAPITRE VI.

Navigation du Nil.

Le Nil. Agriculture.

Barque de voyage, appelée cange.

Hors des villes on ne trouve rien. nent se louer comme mariniers. Nil. Paresse volontaire.

zummara.

en Orient.

quenté. Egypte.

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Mœurs des marins du Nil. Leur musique.

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Danse du Barabra. Café. Douceur de manières des gens du peuple
Backchis à chaque ville. Les domestiques drogmans. Le Nil très fré-
Richesse ornithologique de ses rives. Paysage d'Orient.
Pluie en

Le Nil. S'il se desséchait, l'Egypte disparaîtrait. Excellence de son eau. -Erreur sur l'action fécondante du limon du Nil. Direction précise donnée à l'inondation. La crue du fleuve est loin de suffire à la culture. Sakyeh. Chadouff. Seaux en tresses de feuilles de palmier. Trois récoltes par an.

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au mois de décembre. Une vue de Normandie. Culture. Les vaches au travail.

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Costume des fellahs, hommes et femmes. La tournure des femmes, d'une beauté antique. Mœurs des femmes fellahs. Elles se cachent le visage, et pas la poitrine. les ongles et les mains.

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Les barques dans lesquelles on remonte le Nil jusqu'à la HauteÉgypte sont appelées canges. Une cange est pontée, et possède deux mâts qui portent, chacun à sa tête, une très grande vergue avec une voile latine. La vergue, suspendue par le milieu, élève par son mouvement de bascule la pointe de la voile à une hauteur extraordinaire. Ce gréement, un peu dangereux, est indispensable pour donner de la prise au vent, car le Nil coule au fond d'une vallée encaissée entre deux chaînes de montagnes. Les mariniers du Nil, quoiqu'ils aient acquis beaucoup d'adresse à manier ce système de voilure, ne parviennent pas toujours à en dominer les vices; et comme ils ont d'ailleurs

toute l'imprévoyance arabe, les canges chavirent assez fréquemment.

Une autre cause encore contribue à ces accidents: les cordages sont faits de lyfs de dattiers (fibre de la gaîne qui enveloppe la base des feuilles). Cette matière première, dure, sans souplesse et très courte, se lie mal, se sèche vite et se brise avec une extrême facilité, ne laissant aux mains des matelots que des débris avec lesquels ils font le feu de leur cuisine. Pourquoi ne fabrique-t-on pas de cordages de chanvre? Parce qu'il y a des siècles qu'on emploie les lyfs. Tout, en Egypte, touche encore à l'état sau

vage.

A l'arrière de la cange, un peu en contre-bas du pont, est une dunette, juste de hauteur d'homme, composée de deux chambres, l'une au fond, fort petite et bonne pour les bagages, l'autre ayant de chaque côté un large banc qui sert de siége le jour et de lit la nuit. Un espace couvert, où l'on peut prendre l'air et manger, précède ces deux pièces. Que l'on place maintenant, pour les voyageurs, une mauvaise cuisine en terre, au pied d'un mât, avec un fourneau de même construction au pied de l'autre mât, pour l'équipage, et on aura l'idée de l'installation complète d'une cange. C'est, en somme, une barque étroite, incommode, toujours encombrée de cordages, de rames, de crocs, où l'on ne trouve point, littéralement, à faire trois pas devant soi, et où il faut cependant se résigner à vivre deux mois, si l'on veut voir Thèbes.

L'Egypte n'a d'autre grande route que le beau fleuve auquel elle doit sa naissance; mais, bien que ces voyages par eau, d'Alexandrie au Caire et du Caire aux cataractes, deviennent chaque jour plus fréquents, rien n'est organisé dans le pays pour les exécuter d'une manière confortable. Il faut que chaque voyageur achète matelas, tabourets, casseroles, linge de table, vaisselle, jarre à filtrer l'eau limoneuse du Nil; enfin, tout sans exception, jusqu'à la cuisine, la barque est nue. Pas un propriétaire de cange, malgré l'augmentation de loyer et le bénéfice qu'il en retirerait, ne s'est avisé de disposer la sienne de façon à éviter ces dépenses, que chacun doit renouveler. Les Egyptiens font aujourd'hui

comme hier, ils ont l'impéritie des peuples barbares. C'est enfin presqu'une traversée de long cours que le voyage de la HauteEgypte; il faut faire toutes ses provisions d'avance pour le temps que l'on veut y rester, sans oublier du charbon et du biscuit de mer, car on ne trouve absolument rien que des poules et des œufs dans les villages qui bordent le fleuve. A peine peut-on se procurer quelquefois du mouton et du pain dans les marchés des villes, dépourvus des objets les plus communs de la subsistance journalière.

Une cange se loue généralement 1,500 piastres par mois (375 fr.) plus ou moins, y compris l'équipage; et pour ne pas rester à la disposition du raïs (capitaine), les étrangers ont coutume de passer un traité avec lui à la chancellerie de leurs consulats. Il s'engage à être complètement aux ordres du voyageur et à naviguer à la voile nuit et jour, s'il y a du vent, ou bien, faute de vent, à marcher à la cordelle depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. Quant au retour, comme on est porté par le courant, il doit avoir lieu à la rame nuit et jour, lorsque le vent

manque.

Dix ou au plus douze hommes, outre le raïs et le timonier, composent l'équipage d'une cange.

Toutes les provinces indistinctement fournissent des matelots à cette navigation. Parmi eux se trouvent aussi beaucoup de nègres barabras1, qui viennent se louer en Egypte et s'en retournent dans leur pays, lorsqu'ils ont gagné une petite fortune, comme les Auvergnats qui émigrent à Paris. Ils sont généralement gais, ouverts, prompts et toujours de bonne volonté à l'ouvrage. Nous en avons un à bord: c'est le facétieux de la troupe, et, dès qu'il ouvre la bouche, les autres se prennent à sourire avant même qu'il ait parlé, comme il arrive aux gens que l'on sait spirituels. Son caractère contraste vivement avec celui de ses compagnons égyptiens, presque tous lents, graves et mé

'Les Barabras, plus communément appelés Barbarins, forment une tribu de la Nubie qui confine à l'Egypte. Ce sont des nègres à cheveux crépus, mais ils n'ont pas le nez écrasé.

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