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accompagnent dans vos visites aux tombeaux, il n'y a pas la moindre différence.

Cette intégrité du sang est garantie par une propriété terrible du climat. Sans cause appréciable, sans que la science ait encore pu rendre compte de ce phénomène, l'air d'Egypte est mortel à la descendance des étrangers. Les hommes de tous pays peuvent vivre ici parfaitement, mais ils ne peuvent s'y perpétuer; leur progéniture meurt en bas âge, et quand elle dépasse l'enfance, elle arrive très rarement au delà de quinze à dix-huit ans. Arabes, Turcs, Géorgiens, Européens, subissent tous cette loi commune. Les mameloucks n'ont laissé aucune postérité. Tous leurs enfants mouraient, et l'on sait qu'ils étaient obligés de se recruter par des achats de jeunes Circassiens. Méhémet-Ali a eu quatre-vingt-dix enfants; il ne lui en reste que cinq, et encore le premier est-il natif de Roumélie. On nous a cité un Turc, Maho-Bey, qui, sur quatre-vingt-quatre garçons et un nombre incalculable de filles, n'avait pu conserver un seul ni des uns ni des autres. Chose étrange! les nègres mêmes ne peuvent non plus ni vivre ni engendrer des enfants doués de vie en Basse et Moyenne-Egypte 1. Le mulâtre n'y dépasse presque jamais l'âge de puberté. On porte la mortalité des enfants des immigrants blancs à quatre-vingt-huit pour cent, et la mortalité de ceux des immigrants noirs à quatrevingt-dix-huit. Les nègres meurent presque tous de phthisic ou de paralysie.

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Nous ne nous étendrons pas davantage sur la question qui

Ce fait capital n'atteint nullement l'opinion historique et rationnelle qui donne les nègres comme les premiers habitants et les civilisateurs de l'Egypte. La grande émigration éthiopienne s'arrêta dans la Thébaïde, où l'on voit encore les plus beaux monuments de l'Egypte antique. C'est là qu'en se mêlant avec la population du désert et de la mer Rouge, elle aura formé, avec des milliers d'années, la race mixte qui constitua plus tard l'Egyptien proprement dit. Hérodote nous apprend que la Thébaïde, cette contrée touchant à la Nubie, et qui avait Thèbes pour métropole, était à elle seule autrefois toute l'Egypte et en portait le nom. (Liv. II, sect. 15, trad. de M. Miot.)

nous a occupé dans ce chapitre. Elle est immense, et nous n'avons pas eu, on le pense bien, la prétention de la traiter en quelques pages. Nous avons seulement voulu, nous trouvant en présence des choses mêmes, émettre les idées qu'elles nous suggéraient.

CHAPITRE IX.

Haute-Égypte.

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Monfalout. Syout. Les crocodiles ne descendent jamais plus bas que Syout. Leur immobilité sur les flots où ils viennent respirer. -Le trochilus. Les causes finales. Le crocodile est très peureux. On est obligé de se cacher pour le chasser. Girgeh. Le Nil a déjà dévoré un quart de cette grande ville, qu'on lui abandonne. Incurie. L'esprit d'ordre et d'ensemble manque aux Orientaux. Incohérence de leurs idées. Alliance des choses les plus opposées.- Bazar de Girgeh.— Tapis fabriqués par les Arabes du désert. -Missionnaires catholiques. Haute-Egypte. -Température. — Changement dans le costume des femmes, nudité des hommes. Sommeil en plein air, cause principale des ophthalmies. — Pigeonniers de la Haute-Egypte. Tous les paysans filent de la laine en marchant. Divan d'un mamour. Bonheur prêté à la simplicité de l'état de nature. Commerce de transit de Keneh avec Kosseyr. - L'Egypte entière est logée dans de la boue. Fabrication des gouleh. Sentiment artistique des potiers. L'invention des vases à rafraîchir l'eau est de tous les pays. Flottille de cruches. Poterie. Assainissement de la ville. Nombreuses morts par la piqûre du scorpion. Le vent toujours rare sur le Nil. -Khous. Les femmes avec double paire d'oreilles et un anneau de nez. — Village de Louqsor. - Fours à poulets. - Fêtes des Coptes. Jeux semblables aux nôtres. Les conteurs. Manière d'applauLeur impassibilité.

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dir des Orientaux.

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à Alexandrie et au Caire, non fréquentés.

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Le vent du nord nous a fait faire aujourd'hui des pas de géant. Nous avons laissé derrière nous les catacombes de DjebelAboufedah, sur la rive droite, et successivement sur la rive gauche Monfalout et Syout. Trois minarets tout blancs, avec leurs broderies variées, décorent Monfalout, et dominent les maisons, assez soigneusement recrépies d'un lavis de boue.

Aux environs de cette ville, cinq ou six enfants se mirent, quand la cange fut en vue, à faire la roue et des culbutes sur le rivage, en criant: Backchis! backchis; ils étaient, filles et garçons, complètement nus.

Syout, l'ancienne Lycopolis (8 myr. de Mynieh, 27 du Caire), est la capitale de la Haute-Egypte. Quelques rares maisons en pierres, l'habitation et le divan (les bureaux) du gouverneur, un palais du vice-roi, quatre ou cinq minarets, une grande caserne de cavalerie, des écrivains publics au coin des rues, pour rédiger les requêtes des gens qui ne peuvent s'adresser au gouverneur, voilà tout ce qui caractérise la ville officielle d'une des trois grandes divisions de l'Egypte. Le reste n'est que de la boue. Mais on ne regrette pas de trouver ici la plus inculte de toutes les misères. On voudrait à cette ville sacrilege un sort plus affreux encore. Nul homme, doué d'une âme honnête, n'y aborde sans un mouvement de honte et d'horreur; c'est là, comme nous l'avons dit plus haut, c'est là que se font les eunuques. C'est là aussi que se trouve l'entrepôt général du commerce des esclaves. Les grandes caravanes, qui amènent les nègres de l'Abyssinie, de la Nubie, du Kordofan et du Darfour, aboutissent toutes dans cette Gomorrhe nouvelle.

Ce que nous avons appris sur ces caravanes et sur la servitude en Egypte prendra place dans un livre spécial. Nous traiterons alors, avec les développements qu'elle comporte, la question de l'esclavage oriental, et nous examinerons ce que la France peut faire pour le détruire, en lui portant les premiers coups dans sa colonie musulmane de l'Algérie.

Du haut de la montagne qui domine Syout, on a un coup d'œil magnifique et rare à trouver en Egypte. Une vaste plaine de verdure où paissent des troupeaux au milieu de quelques bouquets d'arbres, la ville avec ses coupoles et ses minarets, la nécropole moderne, la plus belle d'Egypte, avec ses tombes blanches ornées de jardins; le fleuve qui, de loin, serpente comme un beau ruisseau et scintille au soleil; enfin, de l'autre côté du Nil, les flancs colorés de la chaîne Arabique, tout cela éclairé par une lumière brillante, sous un ciel bleu. On pourrait presque croire à une vue d'Europe, avec ses accidents pittoresques et ses lointains. En ville, nous avons aussi retrouvé un peu de la France dans la cordiale réception de notre compatriote, M. le docteur

Dubrée, qui est devenu Egyptien et regrette d'autant plus sa patrie, qu'il a perdu la volonté de la revoir jamais.

Les matelots ont signalé ce matin, un peu au-dessus de Syout, le premier crocodile que nous ayons rencontré. Les crocodiles descendent rarement au delà de cette place, et l'on a très peu d'exemples qu'ils aient dépassé Mynieh. Pourquoi? Tout le monde l'ignore, car, en été surtout, ils trouveraient certainement autant de chaleur en bas qu'en haut. Même au milieu de leurs parages, ils n'habitent pas le Nil entier, ils se tiennent dans les endroits où il y a des îlots très bas, parce qu'ils peuvent y monter pour respirer et s'enfuir à la moindre alerte. On les voit au soleil sur le sable, où les anneaux flexibles de leur longue et lourde queue laissent une profonde traînée. C'est aussi là qu'ils déposent leurs petits œufs, car la nature, on le sait, a voulu, par un jeu bizarre, que cet animal, dont la taille acquiert 10 et 12 mètres de longueur, sortit d'un œuf à peine gros comme celui d'une oie. Les crocodiles restent sur leurs îlots absolument immobiles, la gueule niaisement ouverte pendant des heures entières, ayant l'air de s'ennuyer mortellement, et ne paraissant pas même s'apercevoir de la présence d'une douzaine de trochilus qui sautillent autour de leur tête. Cet oiseau, fameux dans l'histoire naturelle par ses liaisons avec le grand reptile, n'est autre, au dire de M. Eusèbe de Salles, que le pluvian. Il vit réellement avec le crocodile dans la plus entière. familiarité, ou plutôt il prend, avec son impassible ami, les dernières privautés; il pénètre dans sa gueule béante et le délivre des innombrables insectes qui assiégent sa langue à peine mobile. Lorsqu'on croit aux causes finales, il doit être terriblement difficile de justifier la présence sur terre des crocodiles, à moins qu'on ne l'explique par la nourriture qu'ils fournissent aux trochilus. Il en est d'eux comme des rats, des tigres, des chacals, des serpents à sonnettes et de tant d'autres bêtes horribles ou nuisibles. Rien ne prouve mieux les forces aveugles de la création que l'existence de ces animaux, dont toute la fonction se borne à chercher leur pâture pour mourir bientôt, après avoir engendré quelques monstres semblables à eux.

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