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En parlant des prisons dans le chapitre précédent, nous avons omis de mentionner celle des femmes. Elle n'a que les quatre murs, mais du moins est-elle planchéiée et existe-t-il une petite cour où les détenues peuvent se promener pendant le jour.

Nous n'avons trouvé là que des courtisanes. La vie retirée des femmes musulmanes, loin de toutes les passions de la société, en dehors de toute action publique, les sauve des crimes et même des délits. Le vol, si commun parmi les nôtres, est un acte presque phénoménal chez elles. Elles n'ont pu cependant échapper à la prostitution, à ce vice déplorable, qui semble inhérent à tous les systèmes d'organisation sociale dont on ait fait l'application jusqu'à ce jour.

Les courtisanes, qui ont toutes pour profession avouée celle de danseuses sous le nom d'almées, formaient il y a peu de temps encore, en Egypte, une corporation qui payait une grosse redevance au gouvernement. Le scandale public devint si criant avec le nombre toujours croissant des Européens employés et des voyageurs, que Méhémet fut obligé d'abandonner ce honteux tribut, et de prohiber les danses et le commerce des courtisanes.

Toute femme arrêtée dans ce cas est détenue pendant un

temps laissé à la discrétion du juge, et à la troisième récidive elle est déportée à Esneh, ville de la Haute-Egypte. Le costume de celles que nous avons trouvées dans la prison (environ une vingtaine) indiquait une extrême misère, d'où l'on peut conclure que les riches savent fermer les yeux des agents de la loi.

Méhémet-Ali renonce à une branche de revenu déshonorante et poursuit la prostitution. Certes, voilà qui est bien. Mais pourquoi une loi aussi morale est-elle localisée ? Les plus célèbres courtisanes ont été déportées en bloc à Esneh. Ce qui peut être mortel au Caire et à Alexandrie est-il donc sans danger à Esneh? Cette malheureuse petite ville avait-elle commis quelque crime irrémissible, pour être impitoyablement vouée à la débauche? Esneh, depuis lors, est devenu un lieu de désordre où s'arrêtent tous les voyageurs, afin d'y faire quelqu'orgie dont la curiosité est le prétexte. Au surplus, on trouve presque partout de ces femmes renvoyées du Caire. Nous en avons vues, entre autre part, à Keneh, à Atkim, où elles ont un quartier spécial, et jusque dans de misérables villages, comme Onasana (Moyenne-Egypte) et Kafr-Saya (Delta). A Louqsor, elles sont venues, le matin de notre arrivée, nous donner une représentation de leurs danses, publiquement, sur les bords du fleuve, comme elles font pour tous les étrangers. Qu'est-ce donc que cette pudeur de grandes villes? Chasser les prostituées des deux capitales pour les répandre au fond des provinces, c'est changer le mal de place et non pas le détruire; c'est infecter dix endroits pour en purger un seul.

En vérité, il est impossible de saisir la moindre intelligence du bien dans le demi-décret du grand-pacha contre les almées ; les honnêtes gens ne lui en tiendront aucun compte: on n'y peut voir que l'effet d'un caprice d'autant moins explicable que la mesure semble prise au profit d'une immoralité plus grande encore et plus affreuse.

Le voudra-t-on croire, en effet? là où la prostitution des femmes est interdite, celle des hommes est tolérée! Les khowals, qui servent un vice contre nature, trop répandu en Orient, exécutent à toute heure, dans les rues du Caire, identiquement les

mêmes danses que les almées, et exercent la plus misérable partie de leur métier. Ces jeunes garçons, par une contradiction étrange, cherchent autant qu'ils le peuvent à éloigner l'idée de leur sexe et à ressembler à des femmes. Ils s'habillent entièrement comme elles; comme elles ils se noircissent le bord des yeux, pour les rendre plus grands et plus vifs, ils se fardent le visage, se teignent les ongles en rouge, portent de longs cheveux mêlés de joyaux, se chargent les doigts et le cou de bagues et de colliers; enfin ils sont aussi horribles à voir que leur rôle est ignoble. Dans les cafés où ils vont également danser et promener leur sébile à la ronde, il n'est pas rare que des assistants les prennent sur leurs genoux et les traitent comme s'ils s'adressaient à de jeunes filles... Ceci, nous l'avons vu au Caire, de nos yeux, à la face du soleil, le jour de la fête des Coptes.

Et les admirateurs de Méhémet-Ali osent le louer d'avoir expulsé les almées de la capitale de l'Egypte !

Un trait non moins saillant de la réelle indifférence de Méhémet-Ali pour les bonnes mœurs, c'est le genre de parades qu'il permet aux saltimbanques, tels que nous les avons vus à cette même fête des Coptes. Leurs farces, tradition dégénérée sans doute de l'ancienne fête d'Amon-Generator et des divertissements dont Hérodote fut témoin, sont tellement licencieuses qu'il est impossible de les décrire. A peine la noble chasteté de notre langue nous permet-elle de dire qu'un énorme emblème de la virilité y remplit le principal rôle ! Etrange chose, du reste, que les effets de l'usage et les modifications qu'il apporte dans nos sentiments. Ce grossier spectacle, qui révolterait chez nous les êtres les plus corrompus, fait rire en Egypte non-seulement les hommes, mais aussi les femmes de toute classe qui le regardent, sans paraître aucunement blessées. Voudra-t-on présenter cette dépravation spéciale des Egyptiens comme excuse pour Méhémet-Ali? Mais, à ce compte, on l'excuserait donc aussi de tolérer l'anthropophagie, s'il l'avait trouvée sur les bords du Nil? N'est-ce pas le premier devoir des gouvernements aujourd'hui de poursuivre et de détruire les restes de la barbarie des temps passés ?

CHAPITRE IV.

Hôpitaux, Ecole de médecine, Ecole de sages-femmes.

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L'Islamisme a toujours eu des hôpitaux et des hospices. La science thérapeutique perdue L'institution médicale, corollaire de l'établissement d'une

en Turquie et en Egypte.

armée régulière.

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Mendiants.

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Hôpital d'Alexandrie.

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Quelques mesures d'hygiène et de propreté en

Maternité. Enfants trouvés.

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licks, véritable jonglerie. médecine en Egypte.

Hospice des fous.

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Hospice civil d'AlexanMaladies des yeux. Leurs arrêteraient le développement. Service sanitaire des Moudyr

La vaccine introduite à coups de bâton.

Belle école organisée par le docteur Clot.

trop limitée. Rare intelligence des élèves égyptiens.

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principales chaires. École de sages-femmes fondée par le docteur Clot.

ses difficultés, ses admirables résultats.

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Ses immenLes sages-femmes musulmanes seront des agents de civilisation. La directrice de l'école de la maternité est une négresse. La langue française mise dans le programme des études. M. Perron. Ses travaux. Hôpital européen d'Alexandrie. Il appartient à la France de le relever.

Du moment que Méhémet-Ali voulut avoir une armée régulière, il lui fallut forcément des médecins, des chirurgiens, des hôpitaux, un service de santé. Il le comprit comme il a toujours bien compris tout ce qui se rattachait aux moyens d'asseoir sa puissance par les forces appartenant à la civilisation, et il demanda des médecins à l'Europe, de même qu'il lui avait déjà demandé des officiers.

Dans une religion qui fait de la charité la vertu la plus méritoire aux yeux d'Allah, les soins à donner aux malades pauvres devaient être regardés comme l'un des principaux devoirs à remplir. L'islamisme, aux temps de sa gloire, eut toujours des hôpitaux et des hospices; toutes les mosquées recevaient gratuitement des malades, et celle, entre autres, d'Ahmed-ibn-Toulon, au Caire, possédait, depuis sa fondation, un hôpital civil et mi

litaire avec un service régulier et classé par ordre de maladies. Ces établissements n'échappèrent point au marasme qui saisit peu à peu toutes choses lors de la décadence de l'empire des califes et des maîtres de Constantinople. La science médicale était complètement oubliée en Egypte comme sur les rives du Bosphore; c'est à Méhémet-Ali que l'on doit de l'avoir restaurée sur la terre des Pharaons, où elle avait eu son berceau.

Mais ce fait ne fut jamais pour Méhémet-Ali le but d'une œuvre de charité pure: ce ne fut qu'un des corollaires du nizam (armée régulière), et il n'y a jamais apporté la volonté ferme, suivie, soutenue, qui résulte d'un amour sincère du bien. Après avoir donné plein pouvoir à M. le docteur Clot, de Marseille ', qu'il avait attiré près de lui, il ne l'a pas suffisamment aidé, et les fondations à la conservation desquelles l'œil européen ne veille plus retournent déjà aux errements de la barbarie.

On en peut juger à Alexandrie. L'hôpital militaire de cette ville, qui reçoit les soldats et les marins, est un bâtiment carré dont la cour, brûlée par l'ardeur du soleil d'Orient, est poudreuse comme une grand' route. Les malades (au nombre de 250 lors de notre visite) sont tenus dans des chambres petites,

1 M. Clot, qui a toute l'adresse et l'infatigable activité des gens de son pays, s'est fait une grande réputation sous le nom de Clot-Bey.

Bey est un titre honorifique qui équivant à peu près à celui de comte chez nous; de même que celui de pacha équivaut à celui de prince. Le fils d'un pacha est toujours bey, celui d'un bey n'est rien. Les titres d'effendi et d'aga sont également honorifiques; mais l'usage en a fait des termes de courtoisie que l'on accorde comme le don espagnol et le gentleman anglais à tout homme un peu distingué. Effendi s'applique plus particulièrement aux gens lettrés, et aga aux militaires.

Un pacha reçoit toujours, à titre d'apanage 300 bourses, soit 37,500 fr. (la bourse est de 125 fr.) Cette somme est indépendante des émoluments attribués aux fonctions qu'il peut remplir. Il y a en Egypte quelques pachas dont les traitements s'élèvent à 500,000 fr., et dévorent ainsi l'impôt de plusieurs villages et de villes entières. Les tyrans n'ont jamais épargné ce genre de séduction pour se faire des créatures, en apprivoiser d'autres, et jeter de l'éclat autour d'eux. Les scandaleuses donations que Bonaparte accordait à ses favoris n'avaient pas d'autre but.

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