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et très naïve, elles n'ont rien de funèbre, et l'on peut supposer, en les voyant, que ceux qui les commandèrent eurent pour but de transmettre à la postérité des détails sur les usages domestiques de l'Egypte. Dans la première, consacrée à la marine, on voit des barques de formes différentes, avec leurs gréements et leurs voiles de couleurs variées. Dans la seconde, des armes de toute espèce, sabres recourbés, épées droites, casques, lances, carquois garnis de flèches, étendards avec des emblèmes semblables aux enseignes romaines, et non en étoffes comme les nôtres; cottes d'armes, et jusqu'à des cravaches. Dans la troisième, des lits et des siéges. Les siéges sont très compliqués, artistement décorés, et ont des dossiers ne montant qu'à mi-corps. Les lits sont très bas, sans matelas apparent, et portent seulement ces chevalets-oreillers en bois que nous avons décrits plus haut. Dans la quatrième, des poteries peintes et de plusieurs formes, dont quelques-unes sont encore en usage; des alambics en verre, des corbeilles de jonc et des paniers plats et carrés, avec des anses, absolument pareils à nos cabas, mais ornés de dessins. Dans la cinquième, les travaux de l'agriculture, le labourage, les semailles, et le Nil, d'où sortent des canaux figurant le système d'irrigation. Le Nil porte des bateaux que l'on tire à la cordelle, absolument de la même manière qu'il se pratique aujourd'hui. Dans la sixième, des images, des figures plus ou moins bizarres, probablement les dieux pénates que les particuliers avaient chez eux. Dans la septième, des instruments de musique, et entre autres deux femmes debout pinçant de grandes harpes, où nous avons compté 22 cordes. Enfin, dans la huitième, les travaux culinaires un pétrisseur de pain, un homme qui souffle le feu placé sous un chaudron, un autre qui pile dans un mortier, puis des comestibles, des gigots, des perdrix, des paniers remplis d'œufs, de fleurs, des petits pains et des fruits, parmi lesquels on distingue des grenades et des pommes de nopales.

Nous ne nous lassions pas d'examiner, d'analyser toutes ces peintures où la vieille Égypte semblait renaître à nos yeux, vivre et marcher devant nous; où elle nous faisait assister elle-même

à son existence intime, où elle nous initiait à ses habitudes de tous les jours. On admire les temples et les palais avec un sentiment analogue à celui qu'inspirent, dans l'histoire, les grands évènements du monde; mais ici on est captivé, comme il arrive à la lecture de ces mémoires particuliers qui montrent l'homme sous le héros.

Les magnifiques hypogées de Biban-el-Molouk sont déjà malheureusement très dégradés et subissent tous les jours des mutilations nouvelles. Entièrement livrés à la discrétion du premier-venu, chacun peut y commettre à son gré, en employant la pioche et le marteau, s'il en a envie, les plus sauvages déprédations; et l'ou a peine à se figurer la barbarie de certains voyageurs. Afin d'arracher une petite figure, une tête, ou le moindre motif qui leur plaisent, ils taillent tout à l'entour et détruisent ainsi à jamais une large surface de délicieuses sculptures séculaires. Des groupes entiers, des panneaux complets, ont été sacrifiés par de détestables savants pour s'emparer des cartouches hieroglyphiques qui en étaient la légende explicative. Et encore la plupart s'y prennent-ils avec tant de brutalité et d'ignorance, qu'ils ne parviennent pas à leur fin. Presque toutes ces tentatives ont échoué: un coup porté à faux, un éclat a rendu sans prix le morceau que l'on convoitait; il a été abandonné, et il ne reste plus que les irréparables traces d'une rapacité déçue. Le grand et superbe bas-relief colorié qui est encore dans les magasins du Louvre, et que nous avons pu voir, grâce à l'obligeance éclairée de M. Clarac, est un produit de ce vandalisme soi-disant scientifique. Il représente Menephta Ier, en pied, faisant une offrande à la déesse Athor; il appartenait à un des gros piliers carrés de la chambre sépulcrale de ce prince. Pour avoir cette quatrième face, il a fallu sacrifier les trois autres, et c'est Champollion jeune lui-même, dit-on, qui a commis un pareil attentat! Lorsque M. Eusèbe de Salles visita ce tombeau, il trouva les restes du pilier, chargés de malédictions, presque toutes en langue anglaise, contre le profanateur. Il est impossible, en effet, de voir sans colère ces dévastations et de marcher sans quelque tristesse sur les débris encore brillants de couleur dont

elles ont jonché le sol. On admire trop souvent dans les collections européennes des choses qui n'ont pas coûté moins cher aux archives de l'humanité. Les Anglais, dont l'indignation allait jusqu'à souhaiter sur la poitrine de Champollion le poids de la montagne que la colonne brisée ne peut plus soutenir, ne se doutaient peut-être pas qu'ils flétrissaient du même coup la présence, au milieu du musée britannique, des bas-reliefs du Parthénon, ravis par le barbare lord Elgin.

Mais si l'on éprouve de tels sentiments contre les actes des savants qui enrichissent les musées, que dire contre les détériorations dues au plaisir dépravé de détruire pour détruire? Que dire surtout de ces martelages de têtes et de figures entières, attribués à des artistes qui, après les avoir copiées, n'ont pas voulu qu'un autre pût les copier à son tour! Il faut bien reconnaître, hélas! que ces dégoûtantes folies de l'égoïsme sont dans la nature humaine, et qu'il existe des gens capables de plus encore, pour avoir la grossière jouissance de posséder une chose unique. O sublime grandeur, ignoble bassesse de l'homme, insondable mystère !

CHAPITRE XI.

L'art dans l'Égypte ancienne.

cères.

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Toutes les villes importantes avaient des hypogées. Les grottes sépulcrales sont remplies d'ossemens humains. Le tombeau de Psamméticus, délicieux palais monolithe. Ce chef-d'œuvre est condamné à la destruction. Nécropole de Syout, transformée en carrière. Nos impressions dépendent de nos idées sur les choses. Les momies ne paraissent plus que des objets de curiosité. Momies contenant encore tous leurs vis- Beny-Assan; ses peintures sont perdues. —Les antiquités devraient être confiées à des gardiens. Dévastation, abandon, profanation des monuments. - Les sculptures des temples et des tombeaux, aussi précieuses pour l'historien que pour l'artiste. Tableau généalogique. — Soldats marchant au pas emboîté. Monceau de mains droites coupées. - Coiffures de plumes, semblables à celles des Mexicains. - Supplice de la décollation. Gymnastique. Les Egyptiens vivaient presque nus. Sandales, souliers. Les femmes portaient de longues robes. Beau style de l'architecture. - Dé carré des chapiteaux. La forme pyramidale plus solide que toute autre. ont dédaigné la voûte cintrée. Caractère dogmatique de la sculpture.

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l'art, malgré l'absence de perspective. — Justesse de mouvement. Immenses composiRecherche du modelé. - Finesse exquise dans des profils de femmes. Les Egyptiens n'excellaient pas moins dans la ronde-bosse que dans le bas-relief. — Ils appliquaient la couleur à l'architecture avec un sentiment d'art parfait. Ces grands et beaux travaux étaient des œuvres collectives. Aucune individualité ne s'y révèle. Pourquoi l'art égyptien n'est pas allé plus loin? La liberté, indispensable pour l'entier développement du génie de l'homme comme pour son bonheur.

Toutes les villes importantes de l'ancienne Egypte avaient des hypogées plus ou moins beaux, du genre de ceux de Thèbes. La double chaîne Lybique et Arabique est criblée d'ouvertures qui donnent entrée dans des grottes sépulcrales, soit naturelles, soit artificielles. Il faudrait des années pour les explorer toutes. Généralement les grottes renferment des puits d'une profondeur énorme, où l'on déposait les morts. Ces puits ont été bouleversés par les chercheurs de curiosités, et les pièces où ils sont creusés sont maintenant pleines d'ossements et de crânes amoncelés sur des lits de poussière humaine.

Parmi les cavernes de la montagne qui regardent l'emplacement de Memphis, il en est une située à la hauteur du village de Sakkarah, que l'on appelle le tombeau de Psamméticus. Royale ou non, il est impossible de ne la pas juger digne d'un roi. Là, ce ne sont plus des bas-reliefs, mais de grandes bandes perpendiculaires d'hieroglyphes, prenant depuis le haut juqu’en bas. Ces hiéroglyphes, sculptés les uns en creux, les autres en relief, sont d'une perfection de travail admirable, et coloriés avec une finesse exquise. Les voûtes brillent d'étoiles blanches, semées sur un fond bleu. L'ensemble est d'une rare élégance, sans manquer de gravité, et l'harmonie des tons satisferait le coloriste le mieux inspiré. La disposition des nombreuses chambres, prises successivement dans les entrailles de la montagne, ajoute encore à la magnificence de ce tombeau. Il y règne une variété et un goût accomplis. Les unes sont carrées, d'autres sont ornées d'une double rangée de colonnes, et leur plafond s'arrondit en cintre bien caractérisé; d'autres ont aux quatre angles des niches couvertes de hieroglyphes, qu'occupaient sans doute autrefois des statues aussi coloriées. Toutes ces pièces étaient fermées avec des portes; on retrouve encore la place des gonds et la rouille verte que le bronze a laissée dans les cavités où il se mouvait. La grotte de Psamméticus est un délicieux palais monolithe, et la civilisation moderne elle-même se glorifierait d'un pareil ouvrage. Quel peuple que celui dont les tombeaux, voués à une éternelle obscurité, renfermaient des richesses d'art d'une aussi rare beauté ! Pourquoi faut-il que ces merveilles soient condamnées à une prochaine destruction? Ce chef-d'œuvre, découvert il y a peu d'années, est livré comme les autres à la rage des voyageurs, qui veulent tous en emporter un fragment.

Quelques années encore, et il ne restera du passé en Egypte que ce qui est indestructible. Les hypogées de Thèbes et de Memphis auront le sort de ceux de Syout et de Beny-Hassan, aujourd'hui perdus sans retour pour la science.

Syout, la grande Lycopolis, appuyée sur la chaîne Lybique, y avait creusé sa nécropole. Dans quelques-unes des nombreuses

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