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répandu, ni de croire que le plus saint et le plus « parfait sacrifice fût de couper la gorge à des hom<«<mes (1)! » Il est vrai néanmoins que par ce principe, les Gaulois ne prétendaient pas exclure les sacrifices d'animaux; mais ils donnaient la préférence aux sacrifices humains, fondés sur ce qu'il fallait offrir aux dieux la victime la plus parfaite, et que l'homme était la plus parfaite de toutes les victimes (2).

Le second principe exposé par César, est que l'on ne peut racheter la vie d'un homme que par celle d'un autre homme; cela suppose que celui dont on devait ainsi racheter la vie était déjà coupable et déjà condamné à mort par les dieux. Aussi Jules - César observe que ces sortes de sacrifices de rachat ne se faisaient que quand on était dans quelque pressant danger: Qui sunt affecti gravioribus morbis, quique in præliis periculisque versantur.

Le troisième et dernier principe était

que les sup

(1) Plut., Traité de la supers., vers. fin.

(2) Ideo dicit (Varro) à quibusdam pueros ei (Saturno) solitos immolari, sicut à Pœnis, et à quibusdam etíam majores, sicut à Gallis, quia omnium seminum optimum est genus humanum. (August., de Civit. Dei, l. 7, c. 19.) Gentes Galliæ superbissima, aliquandò etiam immanes, adeò ut hominem optimam et gratissimam diis victimam cæderent; manent vestigia feritatis, jam abolito, atque ab humanis cædibus temperant, ità nihilominùs ubi devotos altaribus admovêre, delibant. (Pomponius Mela, 1. 3, c. 2.)

plices des hommes coupables, surtout ceux des meurtriers, sont un spectacle très-agréable aux dieux offensés par leurs crimes; et que pour prix de ces justes et sanglantes exécutions, ils accordaient à la terre une grande fertilité.

De tous leurs principes, ce dernier semblerait le moins déraisonnable; mais par quelle affreuse application les étendaient-ils à des innocens, et comment pour de pareils sacrifices choisissaient-ils les uns plutôt que les autres? Je réponds que cette difficulté ne peut tomber sur la substance du fait, attesté par des témoins irréprochables, mais seulement sur la manière. L'histoire nous offre une infinité de faits ou d'usages si contraires à la nature, que pour l'honneur des hommes on serait tenté de les nier, s'ils n'étaient prouvés par des autorités incontestables. La raison s'en étonne, l'humanité en frémit: mais comme après un mûr examen la critique n'oppose rien aux témoins qui les attestent, on est réduit à convenir en gémissant, qu'il n'y a point d'action que l'homme ne puisse commettre, comme il n'y a point d'opinion qu'il ne soit capable d'embrasser (1).

Quelques auteurs ont même voulu révoquer en doute l'usage des sacrifices humains chez les nations: on a prétendu fonder le pyrrhonisme à cet égard, sur des raisonnemens généraux, soutenus de quelques inductions particulières.

(1) On en peut voir la preuve note (1), p. 14, et note (2), p. 19 ci-dessus.

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L'entreprise était certainement louable et glorieuse pour l'humanité; mais elle n'a pas réussi. En matière de faits, les raisonnemens ne peuvent rien contre les autorités. Les différentes sciences ont chacune leur façon de procéder à la recherche des vérités qui sont de leur ressort, et l'histoire, comme les autres, a ses démonstrations. Les témoignages unanimes d'auteurs graves, contemporains, désintéressés, en un mot, dont on ne peut contester ni les lumières, ni la bonne foi, constituent la certitude historique; et ce serait une injustice d'exiger d'elle des preuves d'une espèce différente.

La coutume d'immoler des victimes humaines est un de ces usages barbares et révoltans, dont la certitude est trop bien établie pour qu'on en puisse douter; et ce qui paraît encore plus étrange, c'est qu'on trouve chez les nations les plus policées des exemples de ces cruels sacrifices.

Qu'on ouvre Manéthon, Sanchoniaton, Hérodote, Pausanias, Josephe, Philon, Diodore de Sicile, Denis-d'Halicarnasse, Strabon, Cicéron, Jules-César, Macrobe, Pline, Tite - Live, Lucain (1), la plupart

(1) Lucain, l. 1, p. 450, s'exprime ainsi :

Et vos barbaricos ritus moremque sinistrum
Sacrorum druida positis repetistis ab armis.

L'auteur de la Religion des Gaulois prétend (1. 1, p. 239) que ces mots, moremque sinistrum sacrorum, désignent la coutume singulière de se tourner du côté gauche dans l'exercice de

des poètes grecs et latins ; qu'on parcoure le Lévitique, le Deuteronome, le Livre des Juges, le quatrième Livre des Rois, les Paralipomènes, le Pseaume 105, Isaïe, Jérémie et Ezéchiel; qu'on fouille dans une partie des Pères de l'Eglise : de toutes ces dispositions jointes ensemble, il résulte que les Phéniciens, les Egyptiens, les Arabes, les Cananéens, les habitans de Tyr et de Carthage, ceux d'Athènes et de Lacédémone, les Ioniens, tous les Grecs du continent des îles, les Romains, les Scythes, les Albanais, les Allemands, les Anglais, les Espagnols et les Gaulois, étaient également plongés dans cette cruelle superstition, dont on peut dire ce que Pline disait autrefois de la magie, qu'elle avait parcouru toute la terre, et que ses habitans, tout inconnus qu'ils étaient les uns aux autres, et si différens d'ailleurs d'idées et de sentimens, s'étaient réunis dans cette pratique malheureuse: Ista toto mundo consensére quanquam discordi et sibi ignoto.

On pratiquait à Rome ces affreux sacrifices dans des occasions extraordinaires. Entre plusieurs exemples que l'histoire romaine en fournit, un des plus frappans arriva dans le cours de la seconde guerre pu

la religion. Il me semble que pour tout homme qui entend le latin, c'est évidemment le barbare et sinistre usage d'immoler des victimes humaines. Les Romains l'avaient interdit avec beaucoup de raison; mais, selon les apparences, ils ne s'embarrassaient guère que les Gaulois se tournassent à droite ou à gauche en faisant leurs prières.

nique. Rome consternée par la défaite de Cannes, regarda ce revers comme un signe manifeste de la colère des dieux, et ne crut pouvoir les apaiser que par un sacrifice humain. Après avoir consulté, dit Tite-Live (1), les livres sacrés, on immola les victimes prescrites en pareils cas; un Gaulois et une Gauloise, un Grec et une Grecque furent enterrés vifs dans une des places públiques, destinée depuis long-temps à ce genre de sacrifices, si contraires à la religion de Numa. Ils furent défendus par un sénatusconsulte, l'an 657 de Rome, sous le consulat de CN. Cornelius-Lentulus et P. Lucinius-Crassus (2); mais malgré cette défense, la superstition les avait tellement autorisés, et même rendus si communs, que les particuliers immolaient des victimes humaines à Bellone. Pour les abolir, il fallut que les lois s'armassent de toute leur autorité.

On ne peut douter que cette coutume sanguinaire ne fût établie chez les Phéniciens. Ceux-ci ne se contentaient pas de sacrifier des hommes souvent coupables, quelquefois innocens, mais toujours étrangers à ceux qui les immolaient : ils voulaient de plus que les victimes immolées fussent ce qu'ils avaient de plus cher au monde, leurs propres enfans, leur fils aîné, leur fils ou leur fille unique. Les Livres d'Eusèbe de Césarée (3), ceux de Philon le Juif et

(1) Tit. Liv., l. 22, c. 57.

(2) Plin., I. 30, c. 1.

(3) Apud veteres mos fuit in magnis periculis ut reges urbium

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