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réflexions fort justes, et qui méritent d'être rapportées.

« La question, dit cet historien, est de savoir en quel temps les premiers évêques ont prêché l'Evangile dans les Gaules. Nous n'ignorons pas que la plupart de ces églises rapportent le temps de leurs fondateurs à celui des apôtres, et leur mission directement à saint Pierre ou à saint Clément. Mais beaucoup de gens qui ont fort étudié ces temps, disent qu'en cela elles ont moins cherché la vérité que l'honneur de paraître anciennes ; ils ajoutent que cette passion s'accrut plus fort, au préjudice de la vraie antiquité, vers le huitième et le neuvième siècle, lorsqu'abondant en richesses et sous des princes très-pieux, elles se mirent à contester de leur rang et de leur dignité avec tant de chaleur, qu'elles employèrent même l'autorité des conciles et celle des papes pour persuader leur tradition. Ainsi, nous voyons trois conciles assemblés et des décisions des papes pour faire croire que saint Martial avait été envoyé à Limoges par saint Pierre. Ils ont remarqué de plus, que, quand les siéges épiscopaux ont rapporté la mission de leurs premiers évêques à saint Clément, les métropolitains l'ont souvent rapportée à saint Pierre même.

<< Par exemple, l'église de Reims, à cause qu'elle voyait que ceux de Châlons soutenaient que leur saint Memmius avait été envoyé par saint Clément, l'envia sur eux, et s'avisa de dire que son saint Sixte avait eu sa mission de saint Pierre même, quoique avant cela l'archevêque Hincmar, fort jaloux de sa grandeur et de celle de son siége, eût assuré que ce pre

mier évêque de Reims avait eu sa mission seulement du saint Sixte. Pareillement celle de Sens, pour pape

précéder celle de Paris, qui croyait avoir reçu saint Denis du pape Clément, se vanta que saint Savinien lui avait été envoyé par saint Pierre. »

Quoi qu'il en soit, les plus zélés défenseurs de la gloire de l'Eglise se sont fait un mérite, et pour ainsi dire un devoir, de la rattacher, par une succession de progrès non interrompus, à sa source divine: ils n'ont pu voir qu'avec une sorte d'indignation briser cette chaîne sacrée, où la fondation de nos premières églises se lie, comme un premier anneau, à l'oeuvre immédiate des apôtres; et comme ils ont raisonné bien moins par conviction que par sentiment, on conçoit qu'ils n'aient pu s'accorder avec des critiques désintéressés qui, jugeant à froid la question, ont vu les faits tels qu'ils étaient, ou du moins tels qu'il est naturel de les supposer.

Il s'est établi d'abord deux opinions mutuellement opposées, d'où naquit une troisième opinion moyenne. Les uns ont prétendu que la religion a été prêchée dans les Gaules par les disciples des apôtres, dès le premier siècle : de sorte que nos premiers évêques auraient été disciples de saint Pierre et de saint Paul, dont ils avaient reçu leur mission; que saint Denis, évêque de Paris, qui, selon l'opinion commune, n'apparut qu'au milieu du troisième siècle, n'était autre que Denis l'aréopagite, évêque d'Athènes, converti par saint Paul, dont la mort est rapportée à l'an 95 de l'ère chrétienne; que saint Trophime d'Arles et

saint Paul de Narbonne sont disciples de saint Paul;

que saint Saturnin de Toulouse et saint Martial de Limoges ont aussi été des hommes apostoliques; qu'enfin, plusieurs autres fondateurs de nos églises avaient la même qualité, et que quelques-uns avaient scellé leur prédication par l'effusion du sang (1).

Parmi les partisans plus ou moins exagérés de cette opinion, on distingue le savant archevêque de Toulouse de Marca, qui, dans une lettre latine adressée à H. de Valois, soutient avec autant d'érudition que de chaleur, le fait des missions apostoliques du premier siècle (2); le bénédictin Jean Bondonnet, l'un des plus rudes adversaires du docteur de Launoy, dont nous parlerons bientôt (3); le célèbre Chifflet, pour qui Denis l'aréopagite et Denis, évêque de Paris, ne sont qu'un même apôtre, parce qu'en effet cette identité est l'un des principaux fondemens du système qui rattache l'église la plus vénérable de France aux temps les plus reculés du christianisme (4); René Ouvrard, chanoine de Tours (5), et Bernard Labenazie, autre

(1) Dom Liron, Sing. hist., t. 4, p. 50.

(2) Epist. ad Henr. Valesium de tempore quo primùm in Gallis suscepta est Christi fides. 1658, in-8°.

(3) Réfutation des trois Dissertations de M. de Launoy, touchant les Missions apostoliques dans les Gaules, au 1er siècle, 1653, in-4°.

(4) Dissertatio de uno Dionysio primùm Areopagitâ et episcopo Atheniensi, deindè Parisiorum apostolo et martyre. 1676, in-8o. La traduction française in-12 est du même auteur.

(5) Défense de l'ancienne tradition des églises de France, en

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chanoine d'Agen (1), ont aussi combattu dans les mêmes rangs, et défendu avec un zèle plus ardent que réfléchi l'antiquité des églises des premiers siècles, et ce qui leur a paru être la conséquence inévitable de nos plus anciennes traditions.

D'autres ont soutenu, au contraire, que l'établissement du christianisme dans les Gaules ne remonte pas au-delà du milieu du troisième siècle, et que l'Evangile n'y a été prêché, au plus tôt, qu'à la fin du second.

Telle est la thèse soutenue par le docteur de Launoy, dont l'ardeur infatigable dans cette lutte, semblait devoir dompter tous ses adversaires, et n'obtint cependant qu'un demi-triomphe (2).

On lit dans Sulpice Sévère que la persécution ayant recommencé sous Marc-Aurèle, successeur d'Antonin, ce fut alors que l'on vit pour la première fois des martyrs dans les Gaules, la religion chrétienne ayant été reçue plus tard au-delà des Alpes (3).

la Mission des premiers prédicateurs dans les Gaules, du temps des apôtres....; par R. O. (René Ouvrard). 1678, in-8°.

(1) Défense de l'antiquité des églises de France....... contre les principes de Launoy (par Labenazie ). 1696, in-12.

(2) Joannis Launoii, Constantiensis, dispunctio epistolæ de tempore quo primùm in Galliis suscepta est Christi fides. 1659, in-8°. Launoy avait déjà écrit précédemment contre la venue de sainte Madeleine à Marseille. 1643, in-8°.

(3) Hist. sac.

D'un autre côté, Grégoire de Tours nous apprend que, «< vers l'an 250, sous l'empire de Decius, la ville « de Toulouse commença d'avoir un évêque, qui fut «‹ saint Saturnin, et que ce prélat fut envoyé de Rome <«<< avec six autres pour prêcher l'Evangile dans les << Gaules; savoir: Gatien à Tours, Trophime à Arles, « Paul à Narbonne, Denis à Paris, Austremoine à << Clermont, et Martial à Limoges (1). » Voilà ce qu'on appelle la mission des sept évêques.

C'est principalement d'après ces deux autorités que de Launoy et ses auxiliaires ont ramené la fondation des premières églises de France au troisième siècle.

Mais, en admettant que Sévère et Grégoire ne se soient point trompés, et que les passages cités aient été bien compris par ceux qui s'en appuient, la mission des sept évêques, au milieu du troisième siècle, n'excluerait pas absolument la possibilité d'une prédication antérieure; et il se pourrait que l'établissement du christianisme dans les Gaules, sans avoir été général ni florissant, ni même stable dès le temps des apôtres, pût néanmoins se rattacher par quelques liens aux premières missions apostoliques.

De là une troisième opinion moyenne, qui se divise en deux nuances différentes.

Abbadie, chanoine de saint Gaudin de Comminges, entreprit de concilier tous les esprits, en admettant à la fois la mission des sept évêques dans le troi

(1) Hist. fr., l. 2, c. 8.

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